Primé à plusieurs occasions, notamment par Amnesty International, « La Révélation », projeté dans les salles depuis le mercredi 17 mars 2010, est un film plaidoyer pour les victimes de la guerre de Bosnie. Il montre également avec justesse les dérives d’un Tribunal censé faire respecter la justice internationale.

L’histoire de « La Révélation », film de Hans Christian Schmid, est largement inspirée du processus judiciaire mis en place à La Haye avec la création en 1993 du Tribunal Pénal International pour juger les crimes commis en ex-Yougoslavie.

Une procureure du TPIY cherche à coincer un ex-général accusé de massacres, lequel est en passe de devenir le président nationaliste de la Serbie. Cette magistrate est très vite discréditée par les déclarations mensongères de son unique témoin. Elle se rend compte que Mira, la soeur du témoin en sait beaucoup plus sur l’accusé qu’elle ne veut bien l’avouer. Cette dernière finit par témoigner.

Le film montre les incertitudes et les limites qui sous-tendent les rouages administratifs du Tribunal. Il met avec lucidité sur le devant de la scène toutes les questions que pose, dans la réalité, le fonctionnement du Tribunal Pénal International pour l’Ex-Yougoslavie : depuis l’arrestation d’un criminel de guerre jusqu’à la sentence, la quête de témoins et le harcèlement moral des anciennes victimes sans parler des négociations politiciennes du président du Tribunal avec les responsables européens et les politiciens balkaniques.

La sortie du film, mercredi 17 mars 2010, coïncide avec la tentative de reprise en ce début du mois de mars 2010 du procès de Radovan Karadzic, inculpé de génocide, crimes contre l’humanité et crimes de guerre, et considéré comme l’un des principaux artisans du « nettoyage ethnique » qui a ravagé l’ex-Yougoslavie au début des années 90. Ce film est donc d’une actualité brûlante ? En témoignent les péripéties qui troublent le fonctionnement de son procès.

Retardant sans cesse la reprise des audiences, arguant du manque de temps pour se préparer, l’accusé qui plaide non coupable, a demandé au Tribunal d’ajourner son procès jusqu’au 17 juin pour lui permettre de prendre connaissance des 400 000 pages supplémentaires qui ont, selon lui, été versées au dossier par l’accusation depuis octobre. Karadzic, arrêté après 13 ans de cavale, avait déjà boycotté l’ouverture de son procès, le 26 octobre 2009.

Si certains, dans l’enceinte du Tribunal, pensent que l’ancien dirigeant des Serbes de Bosnie a besoin de plus de temps pour préparer sa défense, d’autres comme les associations de victimes sont convaincues qu’il « joue » avec le Tribunal et réclament « la fermeté » du Tribunal, craignant qu’en accordant report après report, justice ne soit jamais rendue.

« Il a tous les droits. Mais en 1995, nos enfants n’avaient droit à rien » s’insurge Munira Subašić, responsable de l’Association des mères des enclaves de Srebrenica et Zepa. Bećir Macić de l’Institut de recherches pour les crimes de guerre, crimes contre l’humanité et droit international de Sarajevo, est convaincu que deux ans et demi de préparation pour le procès ont été largement suffisants pour l’équipe de Radovan Karadžić.

Pour les citoyens, le procès de Radovan Karadzic est une étape importante pour le droit international et pour les dizaines de milliers de victimes qui attendent justice. Malheureusement, il est surtout emblématique des compromis faits en matière de justice pénale internationale, compromis illustrés avec précision dans le film « La révélation ». On le voit dans la fiction comme dans la réalité, le Tribunal de La Haye, censé incarner un exemple concret de pédagogie citoyenne, a du mal à honorer ses engagements.

C’est l’honneur de certains défenseurs de droits de l’homme et de certains journalistes de lui rappeler ses obligations et de dénoncer ses dérives.

Dans un livre essentiel (Paix et Châtiment. Flammarion 2007), la journaliste française Florence Hartmann a ainsi révélé qu’à l’occasion du procès Milosevic et de la plainte déposée par la Bosnie et la Croatie contre la Serbie auprès de la cour internationale de La Haye, le tribunal a participé à une négociation en coulisse avec la Serbie, comme le font habituellement les états entre eux, pour décider de ce qui serait ou ne serait pas rendu public dans un procès : négociation non pas fondée sur le droit mais sur l’opportunité politique de divulguer ou non de documents essentiels à la défense des victimes.

Le tribunal, crée à l’écart des acteurs politiques, s’était donc mué lui-même en acteur politique ! C’est ce changement radical de comportement, qui porte aujourd’hui atteinte aux fondements éthiques du TPIY qui ferait de la justice internationale une justice qui arbitrerait des conflits d’intérêt, comme c’est le cas avec les compagnies d’assurance .

Cette révélation de la journaliste qui a usé de son droit de liberté d’expression, lui a valu d’être condamnée à 7000 euros d’amende (procès en appel)

Le risque est grand de voir le Tribunal conduit à mener une justice bâclée, son mandat étant limité dans le temps. Il est victime du manque de volonté politique des autorités de l’ex-Yougoslavie et de la faible coopération entre celles-ci pour la mise en commun des éléments de preuve, l’arrestation et l’extradition des accusés (notamment le général Mladic, principal responsable avec Karadzic des massacres commis en Bosnie).

De plus, les chefs d’accusation pour crimes sexuels n’ont pas été retenus dans la majorité des affaires tant en raison des difficultés à prouver ce type de crimes que des pressions subies par le Tribunal pour clore les procès. Le douloureux volet des femmes victimes de viols et autres violences sexuelles perpétrés à grande échelle est particulièrement mis en lumière dans « La Révélation ».

Les obstacles pour rendre justice à ces femmes représentent une des principales préoccupations d’Amnesty International. Le 30 septembre 2009, Amnesty International publiait dans l’indifférence générale un rapport sur le sort des milliers de femmes violées pendant la guerre en Bosnie-Herzégovine (1992-1995).

L’ONG indiquait que seulement 18 cas avaient été traités par la Cour pénale internationale sur l’ex-Yougoslavie (TPIY) depuis sa création en 1993. Quant aux juridictions nationales, censées prendre le relais d’un tribunal international provisoire prié de boucler définitivement les procès en première instance dans le courant du premier semestre 2011, elles n’ont guère fait mieux.

Créée en 2005, la chambre des crimes de guerre de la cour d’État de Bosnie-Herzégovine n’a condamné à ce jour que 12 hommes pour des violences sexuelles constituant aux yeux de la justice des crimes ».
Une pétition a été mise en ligne sur le site de l’association. Il s’agit d’une lettre adressée au premier ministre de Bosnie, Nikola Spiric. Il lui est demandé de prendre des mesures pour garantir les droits des victimes « à restitution, indemnisation, réadaptation, réhabilitation et […] non-répétition ».

POUR SIGNER LA PETITION :

http://www.amnesty.fr/index.php/amn..

Au sujet de Yan de Kerorguen

Ethnologue de formation et ancien rédacteur en chef de La Tribune, Yan de Kerorguen est actuellement rédacteur en chef du site Place-Publique.fr et chroniqueur économique au magazine The Good Life. Il est auteur d’une quinzaine d’ouvrages de prospective citoyenne et co-fondateur de Initiatives Citoyens en Europe (ICE).

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