Les 14 et 15 mai, un collectif d´associations et de personnalités a présenté à ses militants le Pacte civique – un document décliné en 32 engagements individuels et collectifs. Il leur a demandé d’adhérer au Pacte civique, mais aussi de s’investir dans la promotion et la
diffusion de la démarche exigeante qu’il propose aux citoyens, aux responsables politiques et aux organisations de la société civile.
Deux journées riches d’utopies créatrices et de propositions constructives
« La politique fait-elle encore rêver », écrivait ces jours-ci un journaliste. Les 450 bénévoles réunis le 14 et 15 mai au Palais des Arts et des Congrès d’Issy-les-Moulineaux au lancement du Pacte civique le pensaient après avoir partagé avec leurs invités l’espérance que porte le Pacte civique à travers sa démarche visant à renouveler les capacités de chacun et de tous à vivre ensemble et à rénover la qualité de notre démocratie.
Dépassant leur spécificité, les organisations initiatrices du Pacte civique ont montré leur capacité à coopérer pour proposer une démarche commune ambitieuse. A travers textes, ateliers et tables rondes, c’est un appel à une société créative, sobre, juste et fraternelle qui a été lancé.
Les ateliers ont permis aux différents groupes de travailler sur des thématiques prioritaires susceptibles de débloquer notre société en crise et de rendre plus concrets les engagements du Pacte civique. Denys Cordonnier en a présenté une synthèse inspirée du souffle du pacte civique.
Des perspectives ambitieuses d’action
A l’ambition du projet Pacte civique correspondent des perspectives ambitieuses pour amorcer et pour accompagner dans la durée les transformations personnelles, organisationnelles, institutionnelles et sociales que requiert la situation.
Les journées de lancement vont d’abord se prolonger par une campagne d´adhésion des organisations et des personnes au collectif du Pacte civique et à ses engagements; ceci vise à poser avec force la question de la façon de s’impliquer dans le politique en revoyant celle de s’impliquer dans la vie sociale et démocratique.
Par ailleurs le travail sur le terrain des militants va être appuyé, pris en compte, accompagné. En parallèle seront renforcés les échanges constructifs dans des groupes de travail, l’organisation de conférences sur les sujets qui fâchent, la mobilisation d’équipes projet sur des thèmes comme l’échange avec les jeunes ou la façon de dépasser les ambiguïtés de la sphère politico-médiatique.
Les efforts et les propositions des organisations de la société civile vont être mieux valorisés à travers des soutiens mutuels et des collaborations. Ceci doit permettre, comme l’a fait le pacte écologique en 2007, l´interpellation des candidats aux élections, notamment à celles présidentielles, puis législatives de 2012.
Les 32 engagements
Chaque personne s’engage à appliquer à sa propre vie les quatre impératifs qu’elle veut pour la société. A cet effet :
1. Se donner régulièrement des temps de pause pour réfléchir au sens de son action et à l’équilibre de ses responsabilités.
2. Participer de manière constructive au débat public et prendre part aux votes.
3. Assumer ses obligations de contribuable et d’assureur/assuré social.
4. Consacrer du temps et/ou de l’argent à des engagements d’intérêt collectif, de solidarité ou syndicaux.
5. Aller à la rencontre de l’autre, quelle que soit sa différence, pour construire un vivre ensemble.
6. Reconnaitre le droit à la parole de chacun et favoriser l’expression individuelle ou collective de ceux qui ont le plus de difficulté à s’exprimer ou à se faire comprendre.
7. Lutter contre les gaspillages et adopter des modes de vie plus équilibrés qui préservent la planète.
Les organisations ou membres d’organisation s’engagent à promouvoir les quatre impératifs du Pacte civique et à évaluer comment ils se concrétisent, notamment :
8. Dans l’éducation, promouvoir les talents et faire prévaloir la coopération ainsi que la non-violence sur la compétition.
9. Dans les collectivités locales, développer l’esprit de fraternité au service d’un vivre ensemble durable, sans exclusive ni exclusion.
10. Dans les entreprises, donner au respect des personnes une importance au moins égale au souci de rentabilité, réduire l’échelle des revenus, et renforcer la responsabilité sociale et environnementale dans le cadre d’une gouvernance élargie.
11. Dans les organisations syndicales, faire prévaloir l’accès de tous à un travail décent sur les revendications quantitatives ou catégorielles.
12. Dans les associations et organismes de l’économie sociale et solidaire, respecter les finalités, réactualiser le projet, et considérer le succès de chacun comme le succès de tous.
13. Dans les banques et organismes financiers, relier la prise de risque et la créativité à l’utilité économique et sociale des opérations et fixer des limites aux rémunérations.
14. Dans les fonctions publiques et services publics, redonner tout son sens et sa portée à la notion d’intérêt général et de service à la collectivité, pour tous les usagers sans exclusive.
15. Dans les médias, préserver leur autonomie et inscrire dans une charte déontologique le souci du débat démocratique et du rôle éducatif à l’égard des usagers.
16. Dans les communautés spirituelles et courants de pensée organisés, rechercher les valeurs communes du vivre ensemble dans le cadre de la laïcité.
17. Dans les partis politiques, donner la priorité aux enjeux réels sur les luttes internes et la compétition externe, et privilégier le dialogue avec les acteurs de la société civile.
Citoyens, organisations (ou membres), et responsables politiques, militent pour améliorer la qualité démocratique grâce :
18. à la promotion de l’éthique de la délibération et de la décision, et leur mise en œuvre ;
19. à des innovations permettant une représentation plus équilibrée des femmes et des hommes et de toutes les populations : droit de vote aux personnes étrangères régulièrement établies, reconnaissance du vote blanc, limitation stricte des cumuls de mandats et fonctions ;
20. à la mise en place d’un meilleur contrôle citoyen sur la dépense publique ;
21. à l’affectation de crédits des politiques publiques à l’expression et à l’organisation des citoyens, notamment les demandeurs d’emploi et bénéficiaires de minimas sociaux ;
22. à la régulation étroite des activités financières pour les relier à leur fonction économique.
Renforcer les actions contre les inégalités, exclusions, discriminations et maltraitances :
23. en fixant les règles d’un contrat fiscal juste et redistributif pour faire face aux besoins collectifs, tout en prenant en compte l’environnement concurrentiel ;
24. en faisant de l’emploi de qualité pour tous, à temps choisi, une priorité nationale partagée ;
25. en évaluant puis relançant les politiques d’accès de tous aux droits de tous: alimentation, logement, énergie, santé, culture, etc. ;
26. en s’appuyant sur la participation et les capacités des habitants pour construire des nouvelles politiques de la ville et de la ruralité dans le cadre du développement des territoires.
Revivifier le » vivre ensemble « , notamment :
27. en recherchant avec les jeunes les conditions de leur pleine participation à la société ;
28. en généralisant progressivement le service civique pour qu’il s’étende peu à peu à tous les jeunes et à tous les âges ;
29. en redéfinissant les finalités et les moyens d’une éducation populaire et citoyenne tout au long de la vie.
Rendre l’Union européenne plus vivante, démocratique, sociale et plus active à l’extérieur :
30. en dotant le budget européen de ressources propres, afin de pouvoir développer les politiques communes internes et externes ;
31. en promouvant des équilibres écologiques soutenables pour préserver la planète ;
32. en intensifiant les partenariats et le co-développement avec l’Afrique et les pays du pourtour méditerranéen.
Des personnalités politiques et de la société civile soutiennent le Pacte civique
Jacques Delors a dit son « admiration pour le travail efficace accompli, depuis trois ou quatre ans, par les associations qui ont lancé ce Pacte civique. C’est une entreprise radicale, qui ne consiste pas seulement à questionner les programmes électoraux, mais vise à provoquer un changement plus important. » Il a conclu son intervention en rappelant que « le Pacte civique ne pourra se développer qu’en incarnant deux valeurs fondamentales : le respect de tous et la quête de sens. Mais gare à ne pas tomber dans l’écueil du moralisme. »
Encore que, comme l’a suggéré Jean-Baptiste de Foucauld, « plus de morale peut contribuer à nous redonner du moral ». En effet, comme l’affirme Jean-Paul Delevoye, Président du Conseil économique, social et environnemental, ex-Médiateur de la République, qui apporte son soutien dès l’ouverture du colloque, « on ne peut être consommateur de la République ; (…) il faut absolument réveiller la citoyenneté, réveiller la responsabilité, réveiller le respect».
Marcel Grignard, secrétaire général adjoint de la CFDT, souligne les difficultés pour le syndicalisme de ne pas se couper de la société : « Il faut passer des intérêts particuliers à l’intérêt général. Mais l’intérêt commun, ça se construit ! » Maria Nowak, fondatrice de l’Adie souhaite que le Pacte civique approfondisse sa position par rapport à l’économie. Pour sa part, elle appelle à une « perestroïka du capitalisme ». Le président d’ATD Quart-Monde, Pierre-Yves Madignier, nous rappelle que « la société se mutile en excluant les plus pauvres ».
Mais pour que le civisme soit une valeur partagée, il faut que l’exemple vienne d’en haut et que les hommes politiques ne soient pas complices des démesures de nos sociétés qu’a dénoncées Patrick Viveret. Ainsi, pour Philippe Meirieu (Europe écologie – Les Verts), les réformes resteront sans effet tant que le pouvoir continuera à passer un message de superficialité. Mais il faut aussi que chaque personne s’engage dans la durée à se transformer, car, comme l’a souligné Patrick Braouezec, député de Seine-Saint-Denis, la force du message du Pacte civique tient à la mobilisation de trois leviers, l’individuel, le collectif et le politique. Bariza Khiari, sénatrice PS de Paris, a été séduite par la recherche de sens et d’exigence morale qui émanait des textes du Pacte civique.
Yann Wehrling, porte parole du Modem nous a invités à garder toute l’exigence de notre démarche pour échapper à la tentation de vouloir rassembler tout le monde autour de consensus mous sans signification. Pierre Méhaignerie, député UMP de Vitré, où des méthodes participatives ont permis de réduire le chômage, a dénoncé la tentation de trouver des boucs émissaires pour échapper à nos turpitudes ordinaires. Il a insisté sur la nécessité de prendre en compte la mondialisation, puis a rappelé cette phrase de Montesquieu : « La vertu d’un peuple, c’est la responsabilité des citoyens ».
La question de l’adhésion des jeunes au Pacte civique apparaît comme une préoccupation centrale. « Nos formulations, forgées par une époque et une culture, ne parlent plus aux jeunes », reconnaît Philippe Meirieu. Pour ce spécialiste de l’éducation, la démarche éducative doit déborder le cadre étroit du système scolaire et investir la télévision, les médias, les loisirs. « Les jeunes insistent pour que la devise républicaine s’applique à tous les citoyens », renchérit Dounia Bouzar, anthropologue spécialiste de l´Islam, en affirmant que « les systèmes de pensée n’avancent pas par les grandes théories, mais par la transpiration humaine ».