Les réseaux internationaux d’innovation sont le fruit de la mondialisation de la R&D. Les chercheurs, comme nombre d’entreprises, collaborent ensemble pour partager les efforts et afin de bénéficier des retombées de leurs recherches respectives dans des domaines clés. Dorénavant, chaque région doit être attentive à être branchée avec les zones d’innovation où se trouvent les expertises, les sources d’innovation propices à leur développement.

Voilà ce que nous rappelle le numéro de Sciences et Vie de ce mois d’octobre 2012 qui trace sur la Toile les cartes des savoirs. En décembre 2007, c’est un numéro passionnant de Sciences Humaines qui décrivait les différentes géo localisations des idées et des réseaux d’échange de la pensée. Une cartographie qui illustrait la circulation et la fertilisation des connaissances dans l’espace et dans le temps.

Début des années 90, l’américaine Debra Amidon, CEO d’Entovation, s’est intéressée à déceler les apports des innovations en repérant des zones de connaissances disséminées de part le monde qui ont donné corps à l’existence de sources de connaissances et d’expertises en liaison les unes avec les autres. Le numéro de Sciences Humaines de 2007 les désignait sous le nom d’Archipels des savoirs qui, de l’antiquité à l’histoire contemporaine, alimentent la création de richesses des régions du monde qui les accueillent. En France, c’est Francis Pisani, journaliste et baroudeur, qui sillonne les cinq continents pour identifier et cartographier quelques unes des sources d’innovation les plus marquantes de notre époque. Le trait commun de ces démarches est de révéler des sources d’innovations parfois ignorées ou mal connues et qui, pour la plupart, communiquent entre elles. Debra Amidon désigne ces réseaux d’échanges sous le terme « d’autoroutes de l’innovation » (1) et d’autres sous celui de brain circulation (2) .

Identifier les zones d’innovations comme on identifie les zones industrielles

Une nouvelle concurrence de la matière grise entre nations se fait de plus en plus incisive dans tous les domaines d’innovation, une acuité toute particulière doit être donnée à l’existence et à la maitrise des réseaux d’innovations.

Identifier, comme le publiait la revue Sciences Humaines, la circulation de cette matière grise permet à chaque pays, à chaque entreprise d’estimer son poids spécifique dans un domaine clé de sa politique de R&D, d’estimer les opportunités de coopérations mais aussi le caractère opérationnel de possibles retombés de sa R&D. L’intérêt de la cartographie des zones d’innovations –qui évolue en permanence – est de rendre plus visibles les pôles d’expertises afin d’attirer l’attention des chercheurs dans les universités et des investisseurs. Elle permet aussi de savoir quel pays- quelle entreprise – tire le plus de profits des retombées pratiques des investissements consentis.

Après des décennies d’hégémonie, les pays occidentaux doivent faire face à des compétiteurs asiatiques et indiens de plus en plus présents dans tous les registres de l’innovation technique et organisationnelle. Face au danger de perdre des positions clés, les pays européens se font une guerre ruineuse en matière de R&D afin d’attirer les investissements les plus conséquents. En période de crise, il est clair que l’émulation et la concurrence entre laboratoires, les grandes écoles ou les centres de recherches disséminés de part le monde, font courir le risque d’un retour à un nationalisme d’avant guerre. D’autant que si l’Europe reste une zone qui globalement accueille le plus grand nombre de projets de centres de R&D (entre 100 et 150 projets par an (3) ) , les pays en développement attirent de plus en plus de laboratoires et de projets. Ces dernières années, l’OST (Observatoire des Sciences et des Techniques) constate l’érosion de la R&D française à l’international. On peut s’interroger de savoir si ses dernières publications sont toutes pertinentes en comparant dans une logique de « compétition » les résultats de la R&D entre pays européens. Ne peut-on considérer que certaines disciplines fassent partie d’un « leadership » partagé ?

Face aux enjeux financiers consécutifs d’une R&D plus intensive que jamais, aucun pays de l’espace européen ne pourra se battre seul face aux formidables bonds de la R&D en Inde ou en Asie. Les grandes multinationales qui gardaient sur leurs sols d’origine les activités de R&D les plus sensibles les ont petit à petit redéployées à l’étranger au gré des opportunités les plus diverses. La forte attractivité des marchés, des clientèles et universités de qualité en Asie accentue la pression sur les pôles de recherche européens. Aussi comparer de tels continents à nos seules nations européennes me paraît déjà très discutable.

Les zones d’innovations sont des centres de ressources pour valoriser la R&D

La R&D, l’exploitation des innovations coutent et couteront de plus en plus chères. Il faudra bien un jour que la R&D européenne soit plus visible et surtout plus structurée dans ses portefeuilles d’activités afin d’éviter les doublons et les dépenses inutiles. La collectivité savante ainsi mobilisée se donnera alors les moyens de dominer une discipline clé. Peter Drucker, constatait que la mutation actuelle ne serait réussie que par les firmes (et les nations ?) qui savent partager et échanger leurs savoirs de façon efficace et économique (4). .

De fait, les communautés savantes deviennent de formidables centres de ressources de R&D collectives. Dans cette nouvelle économie des connaissances et des innovations, les nations comme les entreprises doivent limiter leurs dépenses en veillant à s’interroger si quelqu’un, quelque part, a déjà la solution au problème rencontré.

Cette stratégie permet d’accéder efficacement à la matière grise mais aussi de mutualiser des savoirs parfois précieux avec les partenaires les plus variés afin d’augmenter le pouvoir du réseau d’expertise ainsi constitué. Les régions européennes peuvent ainsi identifier les « angles morts » de leur propre champ de compétences. Ce sera l’occasion pour celles-ci de prendre conscience de certaines de leurs faiblesses en matière d’expertise interne et du fait qu’elle devient de plus en plus dépendante de l’extérieur. Si les apports industriels traditionnels sont généralement bien identifiés, cela est bien plus difficile dans la plupart des partenariats faisant appel à une forte intensité des savoirs. Une entreprise incapable de bien cerner le périmètre de ses compétences aura du mal à « vendre » un savoir faire quelconque à de possibles partenaires, à identifier aussi les réseaux d’expertises, d’universités ou scientifiques avec qui elle pourrait ou devrait être régulièrement connectée.

En supposant que les acteurs soient convaincus de l’intérêt de partager, d’échanger, encore faut-il qu’ils arrivent à déterminer les frontières de leurs apports respectifs. C’est loin d’être évident et de nombreuses entreprises en ont fait l’amère expérience à l’occasion de tentatives de rapprochements, de projets en coopération.

Ne jamais oublier que la R&D c’est aussi du Business

Avec la cartographie des zones d’innovation, nous disposons d’une vision concrète des retombées possibles des travaux de R&D engagées un peu partout. L’intelligence économique nous impose de rester attentifs, opportunistes, agiles et surtout bien organisés dans l’exploitation de ces réseaux très malléables et parfois éphémères que sont ces sources d’innovation. Il s’agit donc d’éviter les effets tentateurs de réseaux de R&D structurants et de concevoir aussi des logistiques de supports et d’accompagnement qui permettent une efficacité sans égale dans le traitement des retombées de cette R&D. Car, indépendamment des efforts des nations européennes en matière de recherche, du nombre de brevets, de la quantité d’argent, nous devons aussi améliorer nos capacités à en tirer un meilleur profit.

Il ne s’agit plus de se fixer uniquement sur ses propres recherches mais de savoir aussi surveiller et exploiter éventuellement celles d’autres partenaires. Les exemples ne manquent pas de situations où des équipes de chercheurs ont « sorti les marrons du feu » pour des équipes concurrentes et vu leurs travaux exploités et développés par d’autres.
Je n’ai pas oublié cette observation d’un dirigeant japonais qui dans les années 90 considéraient que les occidentaux étaient technologiquement illettrés et que nous cherchions des solutions juridiques et financières alors qu’eux – les japonais – inventaient. Je sais, ça irrite certains, mais la Recherche… c’est aussi du « Business ». Nos concurrents ne l’oublient pas, c’est stratégique pour eux, cela doit l’être pour nous !

NOTES

1. Auteur de nombreuses publications séminales. Sa dernière version est –« l’autoroute de l’innovation » (2003).

2. http://www.annales.org/ri/2003/ri-decembre2003/fourel16-26.pdf

3. Localisation de la recherche en Europe ( Fabrice Hatem AFII)

4. Une idée que confirme l’Insee qui présentait en juillet 1999 les résultats d’une enquête sur la relation existant entre l’usage d’Internet et le développement des petites entreprises de moins de 20 salariés. Les petites entreprises connectées à Internet se développaient deux fois plus vite, dégageaient le double de valeur ajoutée et embauchaient deux fois plus que celles qui ne l’utilisaient pas.

Pour en savoir plus

Cliquer pour accéder à InternationalisationRD_industrielle_attractivite_France.pdf

Cliquer pour accéder à 1188910967689.pdf

http://www.anrt.asso.fr/

Cliquer pour accéder à INTERVENTION_Ettighoffer.pdf