L’OCDE veut restaurer l’éthique des affaires
Constatant la faillite du système économique néolibéral, l’OCDE insiste sur la pertinence de l’éthique dans les affaires afin que les Etats transcrivent ses principes directeurs dans leur législation nationale , et que les multinationales les appliquent.
En janvier dernier, au moment où tous les Etats du monde bâtissaient dans l’urgence des plans de relance et de régulation pour tenter de limiter l’extension de la crise bancaire à l’économie, Angel Gurría, secrétaire général de l’OCDE, déclarait à Paris : « L’éthique des affaires reflète la vigueur d’une économie de marché. » Or, l’économie de marché n’a jamais connu pire crise, et surtout pas au niveau mondial.
Ainsi, l’Organisation pour le commerce et le développement économique dressait un bilan accablant : « L’une des grandes leçons de cette crise est que les entreprises et les marchés ne peuvent pas se réglementer eux-mêmes. L’innovation financière a sacrifié l’éthique des affaires sur l’autel du profit extraordinaire », commentait son secrétaire général.
Promouvoir l’éthique
Chantre du libéralisme en économie, l’OCDE bat-elle sa coulpe ? Pas tout à fait. Mais elle condamne les écarts qui bafouent ses principes directeurs pour renforcer l’éthique des affaires. Ainsi, des règles de comportement responsable pour les entreprises multinationales ont été définies en 1976, puis étendues en 2000. Et en moins de dix années, les gouvernements de 41 pays – 30 membres de l’OCDE et 11 non membres – ont adhéré à ces principes directeurs. Surtout, « près de 40 % des entreprises multinationales ont utilisé les principes directeurs comme modèle pour élaborer leurs propres codes de conduite », souligne l’Organisation. Et à Paris, elle juge plutôt positif le bilan de 200 plaintes déposées en 10 ans par des syndicats et des ONG pour transgression de ces principes.
Toutefois, à l’échelle mondiale, dans le débat qui met en scène les directions des multinationales et les partenaires sociaux, un tel résultat est pour le moins mesuré. Mais l‘OCDE n’est pas un tribunal. La plupart du temps, ses instances interviennent pour tenter de trouver un compromis entre les parties : un rôle de médiation comparable à celui de la plupart des grandes organisation internationales, et qui a permis que, sur 150 plaintes acceptées, 90 dossiers aient pu être conclus.
Défaillance systémique
L’OCDE dispose, d’ailleurs, d’autres instruments pour baliser le terrain de l’éthique dans les affaires. Elle a également érigé en 1999 des principes de gouvernement d’entreprise, revus en 2004, qui portent sur les droits des actionnaires, la transparence de l’information, les responsabilités des conseils d’administration… De la même façon, une convention sur la lutte contre la corruption a été établie en 1997, et qui a servi de socle à plus de 150 enquêtes dans le monde durant la période.
Mais ces instruments n’ont pas empêché le développement de pratiques transgressives qui se sont imposées au fil des ans. « Nous sommes face à une défaillance systémique. Cette crise mondiale (…) est le produit du système lui-même, ce système que nous avons créé, ainsi que de la conjugaison délétère d’un comportement contraire à l’éthique de la part des entreprises et d’une réglementation et d’un contrôle défectueux de leurs activités » a souligné Angel Gurría. Aussi, lorsque les ministre des finances du G7 de février dernier ont décidé de définir un corpus de principes communs sur l’intégrité, la transparence et les comportements dans les opérations financières et commerciales internationales, le secrétaire général de l’OCDE a-t-il perçu la possibilité d’introduire une dimension contraignante à des principes directeurs qui, jusqu’à présent, ne l’étaient pas.
Concurrence et passivité
C’est bien là que le bât blesse. Ces principes sont, au départ, volontaires. Ce sont seulement leur transcription dans les législations nationales qui peut leur conférer un caractère plus contraignant. Et tant que les pays se livrent à une concurrence économique et commerciale qui tend à repousser les réglementations, une surenchère existe pour que les législations nationales n’entravent pas l’action des multinationales. On est alors dans une sorte de conflit d’intérêts, face auquel même les pays signataires font parfois preuve de bien peu d’empressement dans l’application des principes directeurs. En outre, dès l’instant om l’Inde et la Chine n’ont pas adhéré à ces principes, leur portée est forcément considérablement réduite.
C’est pourquoi à l’occasion du réexamen de ces principes programmé pour 2010, ces deux pays non signataires seront invités à participer aux travaux, avec le Brésil (qui a adhéré) et le Russie (qui devrait adhérer bientôt). Et l’OCDE compte sur le caractère moteur de la présidence Obama aux Etats-Unis pour que la première économie de la planète, jusqu’à présent plutôt passive, joue un rôle plus actif dans la mise en œuvre de ces principes.
Suspicion de protectionnisme
Il faudra toutefois que l’OCDE déploie toutes les forces de persuasion disponibles pour entraîner des gouvernements qui, avant la crise, ont fait la preuve de leurs carences en matière de régulation. Certes, avec la crise, ils sont sous la pression des opinions publiques pour réinvestir le champ des responsabilités qu’ils avaient très imprudemment abandonnées aux marchés. Mais malgré la crise, certains gouvernements considèrent toujours d’un oeil soupçonneux un arsenal de principes qui passe à leurs yeux pour un dispositif protectionniste en faveur des pays riches.
L’OCDE s’en défend, assurant que les pays en développement doivent pouvoir développer leur commerce, et que les principes en question ne visent pas à leur fermer les portes des plus grands marchés de consommation. Mais cette crainte des pays en développement est alimentée par l’Organisation mondiale du commerce (OMC) qui apparaît elle-même réservée sur la pertinence de ces principes.
Sous la pression des opinions publiques
Les résultats du G20 organisé à Londres le 2 avril devraient malgré tout conforter l’OCDE dans son ambition de voir ses instruments mieux pris en compte pour restaurer l’éthique dans les affaires. Mais le chemin restera long. Car même si l’Organisation met en avant ses partenariats notamment avec le Bureau international du travail (BIT), elle semble prudente sur les effets que devrait avoir la future norme ISO 26000 à propos de la responsabilité sociétale des entreprises (RSE). Elles se révèle aussi très sceptique sur la capacité de l’ONU à faire émerger et respecter une série de normes sur l’éthique dans les affaires. Le retour de l’éthique pour empêcher toute rechute dans la crise, serait-il déjà menacé ? La réponse viendra de l’intensité et de la permanence de la pression des opinions publiques, afin que les tenants de politiques extrêmes n’en viennent pas à prospérer sur la chute des valeurs dans l’économie libérale.