Justice, le parent pauvre du quinquennat
Jean-Louis Lemarchand
Législation du fait divers, justice low cost. Le juge Gilbert Thiel prononce un réquisitoire contre la politique menée au cours du quinquennat.
Retour en arrière. A la veille de la présidentielle de 2007, l’ancien garde des sceaux Robert Badinter confiait en particulier ses craintes, sur un ton réfléchi et vif, quant à l’avenir de la justice dans l’hypothèse d’une élection de Nicolas Sarkozy. L’avocat jugeait sévèrement son confrère du barreau au vu de son exercice du pouvoir à la tête du Ministère de l’Intérieur et disait son trouble devant les menaces pesant sur l’indépendance des magistrats.
A quelques jours d u 2ème tour des élections 2012, force est de constater que le malentendu entre le pouvoir politique et la justice aura rarement été aussi fort et que l’exercice de la justice s’avère de plus en plus difficile, compte tenu notamment de la faiblesse des moyens mis à sa disposition qui relègue la France parmi les « derniers de la classe » en Europe quant aux crédits publics affectés.
Si la sécurité a toujours figuré parmi les priorités du Président sortant –et du candidat de l’UMP- l’appareil judiciaire souffre d’une surcharge de travail, conduisant à des délais honteux dans la décision judiciaire –il n’est pas rare que deux ans s’écoulent avant qu’un délit (vol, agression…) ne passe en correctionnelle- et les prisons sont atteintes d’une surpopulation historique (66.445 détenus au 1er mars dernier, soit un taux d’occupation de 116,13 %).
Juge d’instruction en exercice depuis plus de 35 ans, Gilbert Thiel, exerçant depuis 1995 à la section anti-terroriste du Parquet de Paris, livre quelques impressions personnelles, à quelques mois de sa retraite, dans « Derniers jugements avant liquidation » (Albin Michel. 2012).
Quelques chiffres cités permettent de brosser un tableau d’ensemble : la France compte aujourd’hui 8200 magistrats, soit à peine plus qu’en 1850, alors que leur champ de compétences s’est largement étendu, notamment aux affaires économiques et financières, à la santé publique, à l’écologie ou au terrorisme. Présenté autrement, la France ne compte que trois procureurs et neuf juges pour 100.000 habitants alors que la moyenne européenne s’établit à neuf procureurs et vingt juges.
Autre exemple quantitatif qui a un impact qualitatif : l’inflation législative, conséquence directe de ce que le juge Thiel dénomme «la législation du fait divers ». A chaque gros fait divers défrayant la chronique et « faisant la une « du 20 heures, des nouvelles lois sont annoncées.
Pour la récidive, par exemple, pas moins de six lois ont été votées ces six dernières années. Un tel changement permanent conduit à une insécurité juridique et à l’impossibilité pour le justiciable de connaître la loi bafouant le principe « nul n’est censé ignorer la loi ». « Quand j’ai commencé à exercer dans la magistrature à la fin des années 70, le code pénal et le code de procédure pénale étaient quatre fois moins volumineux, » se souvient Gilbert Thiel.
Victime de sa pauvreté, l’appareil judiciaire se trouve également soumis, affirme Gilbert Thiel, à une pression de la hiérarchie en faveur d’une justice rendue sur des critères « productivistes » avec le recours de plus en plus fréquent aux procédures dites rapides telles que les comparutions immédiates ou le plaider coupable. De surcroît, les systèmes d’évaluation des magistrats tiennent plus compte de la quantité que de la qualité du travail fourni. Conclusion : « On réduit le temps de la réflexion. »
Le manque de moyens de la justice, estime également le juge Gilbert Thiel, n’a pas permis de facto l’application de deux dispositions majeures allant dans le sens d’une justice plus proche des citoyens.
Le principe de la collégialité pour la décision de mise en détention, prérogative auparavant du juge d’instruction et depuis le 1er janvier 2001 du juge de la liberté et de la détention avait été voté par deux lois soutenues par des Gardes des Sceaux (Robert Badinter en 1984, et Albin Chalandon en 1986) mais cette disposition n’est jamais entrée en vigueur.
Le droit d’appel a été étendu à la Cour d’Assises, le législateur considérant que le peuple pouvait se tromper. « On doit remarquer que i l’intendance n’a pas suivi », observe Gilbert Thiel. Et de souligner que dans la pratique, il manque de locaux, la Cour d’assises de Paris fonctionne ainsi aujourd’hui en permanence du début à la fin de l’année, sauf pendant les vacances estivales judiciaires.