En recherchant et en condamnant sans concession les coupables, la justice internationale renforcerait les démocrates en Serbie contre les nostalgiques d’un régime criminel. En accomplissant sa mission jusqu’au bout, sans faiblir face aux pressions politiques, le TPIY resterait digne de sa mission et retrouverait sa véritable vocation, nécessaire pour l’avènement d’une justice internationale.
Créée en 1993, dans un climat de scepticisme général, par une résolution du conseil de sécurité de l’ONU, le TPIY est une sorte d’accomplissement en positif du Tribunal de Nuremberg. Limité dans le temps et dans l’espace, son but est de poursuivre les auteurs des crimes de guerre et contre l’humanité commis dans l’ex-Yougoslavie entre 1991 et 1999.
Il est né de la conjonction pour l’ONU de réagir contre les atrocités commises et d’autre part d’une volonté juridique de rendre effective la notion de responsabilité pénale internationale. La résolution 808 du 22 février 1993 du Conseil de sécurité de l’ONU a décidé du principe de la création du Tribunal. La résolution 827 du 25 mai 1993 l’a doté de son statut.
Au début, personne ne croyait en l’efficacité de ce Tribunal bâti sur sa seule force de conviction, boudé par les gouvernements, ridiculisé par la presse, vilipendé par les nationalistes. Il a commencé dans de mauvaises conditions, sans locaux, sans argent, sans procureur, accusé d’être un Tribunal alibi pour une communauté internationale impuissante à traiter le problème des Balkans.
Précaire par nature, grâce à des magistrats courageux, ce Tribunal ad hoc, a su ne pas être un tribunal bonne conscience. Il a su imposer son indépendance vis-à-vis des Etats, même quand les moyens de son fonctionnement lui furent chichement disputés. Son statut s’inspire du droit anglo-saxon. Le procureur du TPIY est, pour simplifier, un mélange de juge d’instruction et de procureur, au sens du droit français. C’est le procureur qui présente les affaires au juge.
Le TPIY est censé incarner un modèle expérimental de procédure ad hoc qui, malgré les multiples obstacles dressés sur son chemin, d’abord lors de sa constitution, puis dans sa fonction, est devenu un moteur opérationnel pour l’avènement d’une justice internationale. Mais voilà que, depuis quelques années, des menaces pèsent sur son fonctionnement.
Les moyens du TPIY pour enquêter sur ces crimes sont restreints et les délais imposés très courts. Les Nations unies ont fixé comme échéance 2012 pour juger les présumés coupables. Face à cette urgence et compte tenu des intentions inquiétantes dont sont animés certains juges, prêts à bâcler les procédures, le procès du chef des Serbes de Bosnie Radovan karadzic, a mal débuté, entre les mensonges de l’accusé qui joue avec les nerfs de ses juges et les concessions douteuses entre l’état serbe et certains juges, révélés par Florence Hartmann dans son livre Paix et Châtiment (Flammarion 2007). Cette dernière s’est vue injustement condamnée à une lourde amende pour avoir usé de sa liberté d’expression en divulguant certains documents soit disant confidentiels mais déjà rendus publics.
Il y a d’abord un incroyable paradoxe dans le fait que le TPIY se perde dans des règlements de compte internes injustifiés (la sévérité de l’inculpation de Florence Hartmann), et qu’il ne mette pas toutes ses forces dans le procès Karadzic, avec le risque que le procès soit bâclé. Il y a aussi une certaine impudeur à faire rentrer la Serbie dans l’UE alors que le parti de Milosevic est encore un des principaux acteurs au pouvoir, et que l’état serbe n’a rien reconnu de sa responsabilité dans la guerre en Bosnie.
Rappelons que l’on a attendu la disparition de Franco pour que l’Espagne rentre dans le Marché commun. Il y a également une inquiétude légitime, dans ce climat délétère, que le bourreau de Srebrenica, Ratko Mladic ne soit pas arrêté et que la chaîne de commandement entre Belgrade et les Serbes de Bosnie, essentielle pour comprendre comment ont été perpétrés les crimes, ne soit pas mise à jour.
Le TPIY aura-t-il le temps de mener ces procès à bien, avec l’attention et la sérénité qu’ils requièrent, ou acceptera t-il des procès bâclés portant sur des actes d’accusation tronqués? Les juges vont-ils mettre la clé sous la porte sans avoir jugé Mladic? Le procès de Karadzic pourra-t-il se tenir dans des conditions normales ou sera-t-il le symbole emblématique d’une justice internationale défaillante?
Derrière ce combat sur la liberté d’expression, c’est bien la question de l’impartialité de la justice internationale qui se trouve posée.
Bernard Wach, Catherine Agulhon, Emmanuelle Wollman, Michele Amzallag, Martin Andler, Pierre Netter, Francis-André Wollman, Georges Waysand, Yan de Kerorguen