Haro sur le concombre !
Un concombre tueur !
L’idée déroutante que cette cucurbitacée familière et rafraîchissante puisse se transformer soudain en véhicule de bactéries mortifères, le tragique se parant du masque du quotidien, a-t-elle participé à sa dénonciation radicale et immédiate ? On tenait là un scénario digne de ce film culte des années 1950, L’invasion des profanateurs de sépultures, de Don Siegel : rappelons-nous que lesdits profanateurs naissaient dans des cosses de haricot avant de s’emparer des corps des humains. Le banal au service du mal.
A cette dimension symbolique s’ajoutaient sans doute des arrière-pensées économico-écologiques : la courge dangereuse était produite sous serre, avec force irrigations, dans une région, l’Andalousie, où l’eau est rare. On voyait donc les dégâts de cette agriculture industrielle intensive, de cette « invasion » – reprenons le terme – de fruits et légumes espagnols qui concurrencent les nôtres de manière déloyale (la faute au soleil, plus abondant que chez nous). Bref, on tenait un coupable idéal et sa condamnation a été immédiate. Les frontières se sont fermées aux marchandises « pathogènes » et les paysans ibériques ont dû jeter des dizaines de tonnes de leurs « pepinos ».
Il n’est pas sûr qu’ils aient retrouvé aujourd’hui le niveau de vente d’avant cette erreur judiciaire, tant il est plus facile de détruire une réputation que de la rétablir. Il est probable que beaucoup de nos concitoyens se méfient encore des concombres. Si l’on nous a bien informés que ces derniers n’étaient pas coupables, aucun article n’a pris la peine de les réhabiliter en profondeur, en allant vérifier, par exemple, si leur mode de production les mettait à l’abri d’un tel accident.
Péponide émissaire
Les journalistes ont-ils mal fait leur travail en jetant l’opprobre aussi rapidement sur cette péponide émissaire ? Dans ce type de situation qui a provoqué une quarantaine de morts et plusieurs milliers de malades, les médias sont un précieux allié pour diffuser l’alerte et éviter la propagation de la maladie. La rapidité de réaction peut permettre de sauver des vies. Le problème, ici, est que le supposé porteur d’Escherichia coli déviante n’était pas le bon. Autrement dit, l’alerte n’a servi à rien d’autre qu’à déstabiliser la production agricole espagnole, ce qui n’était pas l’objectif initial…
Mais les médias ne sont pas responsables de l’erreur initiale, ce ne sont pas eux qui ont inventé le concombre masqué. Ils n’ont fait que relayer les premières constatations des médecins, qui par recoupement de ce qu’avaient mangé les malades, ont d’abord soupçonné le cucumis sativus. Les fautifs seraient-ils alors les Diafoirus, trop empressés dans leur diagnostic ? Pas plus. En hommes de science, ils n’ont fait qu’émettre des hypothèses dont ils ont vérifié, par la suite, qu’elles n’étaient pas les bonnes.
Le vrai problème, c’est que le temps patient de la science ne correspond pas à celui, impatient, de l’information, pas plus que la méthode scientifique, qui procède par hypothèses et vérifications expérimentales n’est en phase avec les certitudes simplificatrices qui sont la nourriture de la presse. Les uns disent : « C’est peut-être le concombre, il faut aller y regarder de plus près ». Les autres ne s’accommodent pas du doute et de la nuance : « C’est le concombre ou ce n’est pas le concombre. Il faut trancher ! »
Graines pathogènes
Ce malentendu temporel et méthodologique semble aujourd’hui difficilement dépassable, sauf dans la presse scientifique de qualité, tant les logiques des deux parties sont éloignées. Nucléaire ou pas nucléaire ? Le cancer est-il vaincu, oui ou non ? Tel gène est-il responsable de ceci ou de cela ? Les nanotechnologies sont-elles dangereuses ? Les portables nous brûlent-ils le cerveau ? Les scientifiques ne peuvent apporter que des explications complexes et provisoires aux journalistes qui attendent des réponses nettes et définitives. Les questions scientifiques représentent pourtant aujourd’hui des enjeux majeurs pour nos sociétés et nous avons plus que jamais besoin de « passeurs » pour nous aider à les comprendre et à faire des choix. Or, de même que nos politiques, beaucoup de journalistes manquent sérieusement de culture scientifique (1)
Quand ils ne sont pas pris au piège d’une idéologie dominante. Car ce qui me frappe, dans cette affaire de concombre, c’est que les vraies coupables, apparemment des graines germées, n’ont pas fait l’objet d’une campagne de dénigrement et d’interdiction comparable à celle de la plante potagère. A tel point que les récents malades de Bordeaux en ont consommé alors que nous étions déjà censés être informés de leur possible contamination. Faut-il y voir le fait que, d’un côté, comme je le soulignais plus haut, nous avons une production industrielle fortement concurrentielle et « mondialisée » et de l’autre, de « sympathiques » graines bio, consommées par de doux végétariens, qui ne pouvaient donc pas être « ontologiquement » mauvaises (2) ? Reconnaître que les industries agroalimentaires sont parfois plus sûres que les productions dites « bio » et que les pesticides et la chimie ne sont pas que nocifs puisqu’ils nous préservent depuis 60 ans de maladies dont on peut mourir n’est pas très politiquement correct. Et toute vérité, alors, ne semble pas bonne à dire.
(1) A cet égard, l’Observatoire des relations sciences/société, lancé par Place Publique est une initiative utile et nécessaire.
(2) – Notons, que selon les derniers développements, les « mauvaises graines » semblent avoir été produites en Italie et achetées en Angleterre pour le marché français. Nous sommes loin de la « proximité » dont se revendique souvent la production agrobiologique.