Grippe européenne ?
Il y a du sens…à ce que la question du sens soit posée (*1)
Cancer de ceci, épidémie de cela, irrévocables inscriptions dans les gènes,
chromosome du crime, crises, asepsie, isolement , amputations, thérapies de choc. J’en oublie et sans doute de pires, le président Mahmoud Ahmadinejab vient d’en proposer une de plus : microbe destructeur. Autant de métaphores hygiénistes ou médicales qui fleurissent dans les débats sociaux et politiques, autant d’indices d’une pensée qui se refuse à penser et satisfaire bon ménage avec le populisme, même s’il ne s’agit que d’y avoir recours et pas de se mettre à son service.
Patatrac ! voilà que devenue réalité, l’image est pour un temps inutilisable.L’épidémie est là. Plus de maladies cache-rac isme ou xénophobie. Plus de métaphore commode justifiant tout et n’importe quoi mais, quelle qu’en sera l’ ampleur, une présence inquiétante qui oblige à faire face. Plus de faire semblant des discours et des conduites vis-à-vis du monde ou plus modestement vis-à-vis de l’Europe. Bref, un test politique et de personnalité sans entretien d’embauche.
Cet examen-là, ce gouvernement qui se soucie tout à coup des examens de fin d’année universitaire, vient de le rater avec la proposition qu’il avait faite à l’Union Européenne de suspendre tous les vols en provenance du Mexique, ce que les autres gouvernements européens ont rejeté sur le champ. Certes, la garde qui veille aux barrières de l’Elysée en protégerait peut-être le Président – Ne pas confondre François Malherbe (1555-1628) avec l’enceinte sportive éponyme de la ville de Caen. Retenir aussi que François Malherbe n’a pas pu lire La Princesse de Clèves parue en 1678 et donc émettre un jugement sur le style de Madame de la Fayette- , mais il faut avoir été pris d’une frénésie digne des peurs moyen-âgeuses ou de la volonté de faire un coup de plus au journal télévisé de 20 heures pour n’avoir rien trouvé de mieux que de jouer au plus malin que l’Organisation Mondiale de la Santé.
Dans un monde où nous sommes tous à moins de six poignées de main d’Obama ou de Poutine avec une flotte mondiale d’environ 18000 avions de plus de 40 places, c’est ériger l’ignorance en vertu que de proposer une forteresse Europe isolée du reste du monde plutôt que de concentrer les efforts sanitaires sur les foyers d’infection. Madame Bachelot n’est pas seule, des nationalistes eux aussi s’indignent et réclamentun plan C (C comme citadelle) pour l’Europe:
À quoi peut bien servir cette Europe qui empêche à ses Etat s membres une mesure de protection contre une telle pandémie ? Ce nouvel épisode démontre jusqu’à l’absurde le besoin de refonder radicalement les instances européennes pour éviter d’aboutir à de telles aberrations (*2)
Si elle ne peut tout, elle ne peut donc rien, CQFD. C’est clair l’Europe est grippée , mais analyses et discours sur l’Europe le sont encore plus, qu’il s’agisse d’incantations sur les valeurs partagées ou de critiques mêlant torchons et serviettes, comme si l’addition des sujets de mécontentement suffisait à transformer des sujet s en citoyens.
Citoyen, vocable passe-partout ces derniers temps, mais qui s’agissant de l’Europe a le mérite de pointer un problème. Il y a déficit de citoyenneté dans l’Union Européenne. Certes, ce déficit n’est pas une exclusivité de l’Europe, mais en la matière ses inconvénients sont plus importants que dans d’autres domaines. Il y a des racines historiques à cela. En France, même pour les classes dirigeantes, la construction européenne s’est faite par la bande, elle n’a jamais fait consensus et a procédé pas à pas. Facilitée par la peur du communisme et de l’URSS, la construction de l’Europe a d’abord renforcé les Etats continentaux affaiblis par le second conflit mondial (et les conflits coloniaux pour la France).
Le projet européen répondait à des nécessités partagées : relancer la production de charbon et d‘acier puis plus tard amortir les coûts sociaux considérables de leur déclin et de la concentration agricole. Encore aujourd’hui, pour les catégories sociales qui ont le plus affaire à elle : agriculteurs, élus, étudiants ERASMUS, chercheurs et universitaires, l’Europe est d’abord un guichet à subventions, et pour les dirigeants politiques nationaux le bouc émissaire de choix.
Ce déficit de citoyenneté est encore plus profond en Europe centrale et orientale.
Début avril en Pologne, vingt ans après la chute du mur de Berlin (mais à un peu moins de cinq ans seulement de l’ entrée dans l’Union européenne) un électeur Polonais sur deux ne savait pas que les députés européens sont élus au suffrage universel et ces derniers jours encore les Polonais n’étaient qu’un tiers à s’apprêter à voter.(Dominik Uhlig http://wyborcza.pl/1,86871,6552544, Only One in Three Poles Planning to Vote in European.html)
L’absence de prise de distance par rapport à l’échelon national explique qu’il n’y ait pas encore de culture politique européenne. Pour les enfants des lendemains de la deuxième guerre mondiale l’Europe c’est d’abord la réconciliation et de la paix.
« Moi je représente l’Allemagne, je suis l’un des 99 députés Allemands. Soixante quatre ans après la guerre, j’ai le privilège de présider 278 camarades de pays envahis par l’armée de mon pays » a pu déclarer Martin Schultz lors du meeting d’ouverture de la campagne socialiste à Toulouse Dans la seconde partie fort émouvante de son intervention :
(http://www.dailymotion.com/video/x93en5 toulouse-intervention-de-m-schulz news). Mais, tenue pour acquise par les p lus jeunes, la paix en Europe ne mobilise pas.
La question du sens mérite d’être posée.
* 1. (d’après Jean Luc Nancy. L’oubli de la philosophie éditions Galilée 1986 page 11)
*2. Grippe porcine : l’Europe bloque ceux qui veulent se protéger.
http://www.observatoiredeleurope.com/. A la relecture, cette citation me plonge dans un abîme de réflexion. Chacun connaît les démonstrations par l’absurde, mais parler de démonstrations JUSQU’A l’absurde est un tour rhétorique ambigu : trop de démonstrations ou une continuité de démonstrations depuis les rigoureuses jusqu’aux absurdes ? Cette dernière hypothèse – même s’agissant de questions sociales – relèverait d’un relativisme épistémologique sans borne.