DSKadhafi
D’un côté les pantalonnades de notre ex-futur président. De l’autre, la débandade d’un ex-dictateur. Le choix était cornélien.
L’actualité est parfois dure avec le journaliste : elle le met face à des événements de toute première grandeur entre lesquels il est difficile de trancher. Que mettre en une ? De quoi parler en priorité au journal de 20 heures ? Et quelle surface réserver à l’un et à l’autre de ces événements ? Comment « hiérarchiser » des infos aussi importantes ?
Ce télescopage des événements, mes confrères viennent de le vivre en cette fin du mois d’août (moi, j’étais en vacances). Auparavant, il avait fallu se débrouiller pour remplir les pages des journaux et meubler l’antenne avec les sempiternelles péripéties boursières qui n’intéressent plus personne tant elles sont incompréhensibles et déconnectées de la réalité.
Mais il y avait un phare médiatique à l’horizon : le repassage programmé de Dominique, nique, nique, devant le juge Obus. Et une rumeur qui enflait, la convocation préalable de Nafissatou Diallo, permettant des commentaires et des supputations à n’en plus finir de la part d’avocats experts ès justice américaine qui se succédaient sur les plateaux : allait-on signifier l’abandon des poursuites à la femme de chambre pour raison de menterie répétée (et mentir, aux États-Unis, c’est pas beau) ? DSK allait-il être totalement ou partiellement blanchi ? Devrait-il payer Nafi pour être tranquille ? Allait-il retrouver son passeport ? Rentrerait-il en France rapidement ?
Interviendrait-il dans le jeu politique hexagonal au risque de mettre un peu plus la pagaille au PS ? Pourrait-il manger enfin des pâtes fraîches au basilic sans être suivi par une nuée de reporters ? Battrait-il le record historique de 7 minutes pour un « acte sexuel consenti », mais un peu improvisé, douche et coup de téléphone compris ?
Actualités rivales
Bref, nous étions tenus en haleine par cet événement majeur qui avait, en plus, l’élégance d’être prévisible (un peu comme le décès des personnalités âgées dont on prépare la nécro à l’avance). Et patatras, voici que les rebelles libyens, qui semblaient s’enliser dans des querelles de tribus (ces gens-là n’ont pas nos mœurs policées…), choisissent le même jour pour lancer une attaque contre Tripoli, envahir dans la foulée le bastion de l’insigne auteur du petit livre vert et le traquer comme un rat dans ses souterrains secrets. C’est le trop-plein ! Ils n’étaient quand même pas à quelques jours près. Ils auraient pu avoir, eux, l’élégance d’attendre que l’affaire Strauss-Kahn perde de son intérêt pour passer à l’offensive. Résultat, mardi 23 août, il a fallu traiter les deux sujets équitablement, un quart d’heure chacun aux journaux de 20 heures – ce qui, dans un journal d’une demi-heure, ne laissait pas beaucoup de place pour le reste – les uns ayant choisi de commencer par DSK, les autres par Kadhafi (je ne dirai pas qui, mais on devine). Les quotidiens ont fait preuve du même sens de l’équité, le lendemain, en partageant leurs pages entre les deux événements. Mais quel gâchis pour l’audience que ces actualités rivales : d’un côté une guerre « juste » que nous, Français, avons un peu gagné par notre soutien sans faille à ses combattants, de l’autre, un fait divers pas très net dont nous, Français, ne sortons pas forcément très fiers, malgré notre soutien (quasi) sans faille à son protagoniste.
Petite et grande histoire
J’ironise, mais, quand même, cette égalité de traitement médiatique me laisse un goût amer. Si l’on y réfléchit un instant, comment oser donner la même importance à l’acquittement par défaut d’un homme aux mœurs légères (c’est sa liberté, si elle n’entrave pas celle des autres, mais ce n’est pas sa gloire) et la victoire d’un peuple qui accède (peut-être) à la liberté en triomphant de son tyran ? Objectivement, la conclusion (provisoire) de l’affaire DSK ne méritait qu’une brève, au regard du dénouement (provisoire) de la révolution libyenne. Y a-t-il commune mesure entre la chute d’un despote sanguinaire, qui nargue le monde depuis 42 ans, arme les terroristes, fait sauter, des avions civils et tire sur son peuple et la « rédemption » (toute relative et faute de preuve) d’un insatiable coureur qui s’est fait piéger (d’une manière ou d’une autre) dans une chambre d’hôtel de luxe, cet homme fût-il un ex-directeur du FMI et un ex-présidentiable ?
On me rétorquera que le fait divers fait autant, sinon plus, d’audience et de vente que la guerre. Ce sont là, en effet, nos critères journalistiques. Mais, une fois encore, fait-on du bon journalisme avec les seuls critères d’audience ? Car, alors, le tabloïd anglais qui vient d’être condamné et fermé pour écoutes illégales est un des meilleurs journaux qui soit, puisqu’un des plus lus. Je crois, personnellement, que nous, journalistes, avons des valeurs, sinon à défendre – cela relève du journalisme militant -, du moins à respecter. L’une de ces valeurs est justement que toutes les infos n’ont pas la même valeur.
Entre une petite histoire de cul et la grande histoire d’un peuple qui se libère, il ne devrait pas y avoir photo.