Horaires décalés, porosité entre vies professionnelle et personnelle, dilution des activités de travail… La question des temps de travail n’intéresse pas que les sociologues et les juristes. Elle interroge également le travail des ergonomes. L’éclairage de Béatrice Barthe, maître de conférences en ergonomie à l’université Toulouse II – Le Mirail.

En quoi consiste le travail d’une chercheuse en ergonomie spécialisée dans les problématiques d’horaires décalés ?

De manière générique, l’ergonome va se saisir de la question des temps de travail avec le souci d’agir sur les situations de travail. Mon métier consiste à analyser le travail réel des personnes afin d’identifier et de comprendre les régulations, les équilibres qu’elles mobilisent pour conjuguer les horaires décalés (et leurs liens avec la fatigue, la vigilance, la vie hors travail, le contexte de travail…) et les objectifs à atteindre. En tant qu’ergonome, on ne peut travailler sur la problématique des horaires indépendamment des populations et du contenu du travail. Par exemple, les effets des horaires décalés sur la gestion de la sphère familiale peuvent être plus importants chez les femmes que chez les hommes. Autre exemple dans le milieu hospitalier, des infirmiers en service de chirurgie supporteront plus facilement de travailler en 2x12h que des aides-soignants en gérontologie.

Avez-vous constaté une accélération dans la diffusion des horaires atypiques ?

Selon l’enquête de la DARES publiée en 2009, seuls 37% des salariés travaillent en horaires “normaux”. La tendance est d’évidence à la diffusion des horaires décalés avec deux nouveautés : les femmes, de plus en plus concernées par ces horaires, et un engouement pour les postes décalés longs (12h).

Dans quelle mesure cette tendance a-t-elle fait évoluer votre travail d’ergonome ?

A la fois dans les thèmes de recherche et dans la méthodologie. Je travaille depuis quinze ans sur cette problématique des horaires décalés. Depuis quelques années, je m’intéresse à la question des siestes durant les postes de nuit et à la question du genre : comment les femmes concilient-elles horaires décalés et contraintes de la vie personnelle ? Si l’objet de mon intervention reste le lieu de travail, je dois nécessairement, pour comprendre ces stratégies de conciliation, analyser la situation hors travail. Cette approche est certes encore marginale.

La dilution des frontières entre temps professionnels et temps personnels ouvre-t-elle également de nouveaux champs de réflexion ?

Incontestablement. De nouvelles questions se posent, comme la possibilité de gérer des temps personnels dans le cadre du temps de travail. Une étude canadienne a montré que des femmes en horaires décalés peu prévisibles allaient jusqu’à réaliser 18 démarches par semaine pour trouver une solution de garde d’enfants avec un réseau de garde pouvant aller jusqu’à 8 personnes. On imagine le stress et l’épuisement que cela peut générer. Dès lors, pourquoi ne pas autoriser les femmes et les hommes en horaires décalés à faire ce type de démarches depuis leur lieu de travail ? Autre type de question : pourquoi, dans des contextes d’horaires en 2x12h, ne mettrait-on pas en place des dispositifs pour permettre aux salariés de faire une sieste, lorsque les conditions le permettent ? Cela se pratique dans certaines entreprises. L’idée est de chercher à atténuer, par des solutions d’aménagement du travail, les effets des horaires décalés sur la santé des personnes et sur la qualité du travail.

Les entreprises s’intéressent-elles vraiment à une approche ergonomique de la gestion des temps ?

Oui, j’ai l’impression. Je suis personnellement sollicitée par les entreprises et par les professionnels de l’ergonomie sur ces thématiques, ce qui est un signe en soi.

Au sujet de Muriel Jaouën

Journaliste de formation (ESJ Lille, 1990), Muriel Jaouën publie régulièrement dans le magazine de Place-Publique. Ses spécialités : économie sociale, développement durable, marketing, communication, organisations, management.

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