Réclamée par les ONG depuis des années, rejetée d’un revers de la main par les décideurs, comme une idée utopique et de doux rêveurs, la taxe sur les transactions financières est aujourd’hui en passe de devenir une réalité… Pour aller financer la dette, pas pour le développement. Mais elle continue à susciter les peurs de ces opposants, qui n’hésitent pas à faire valoir de faux arguments.
Petit passage en revue des 10 idées reçues les plus communes sur la taxe.
1. Une taxe nationale entrainera une fuite des capitaux vers des grosses places financières comme la City de Londres
ou « Une taxe nationale, et hop les banquiers dans l’Eurostar ».
Propos étrange, car il existe déjà une taxe en Grande Bretagne, la « Stamp duty » (« droit de timbre »). La Stamp Duty est une taxe de 0,5% sur les transactions sur actions d’entreprises britanniques, ainsi que sur les droits et options portant sur ces titres. Une taxe spéciale de 1,5% s’applique elle sur les transferts de titres britanniques vers l’étranger. Les sommes collectées sont encaissées de manière très efficace et à coût minime par Euroclear-UK, et redistribuées au trésor public britannique. Chaque année, elle rapporte entre 4 et 6 milliards d’euros au Royaume Uni.
Pourquoi les banquiers de la City n’ont-ils pas plié bagages ? Tout simplement parce que la Stamp Duty s’applique comme un droit de timbre dès que l’on souhaite acheter des actions de nationalité britannique. Ainsi, que vous soyez américain ou français, que vous soyez à Singapour ou aux Etats-Unis, si vous souhaitez avoir le titre convoité, vous devez payer cette taxe.
2. Il n’existe pas de TTF unilatérale dans le monde
ou « Tout le monde sait que des taxes nationales ou internationales, ça n’a ja-mais marché ! »
Encore raté. De nombreux pays, dont 11 pays membres du G20, appliquent déjà différents types de taxes sur les transactions financières. Et toutes ces TTF sont purement unilatérales ! Le Royaume-Uni, avec sa « Stamp Duty », la Corée du Sud et Hong Kong taxent les transactions sur les actions. L’Inde et Taiwan taxent les dérivés (contrat à terme et d’options). La Suisse et le Brésil incluent les obligations.
La Stamp Duty britannique citée plus haut et la TTF sud-coréenne rapportent chaque année jusqu’à 6 milliards d’euros à leurs gouvernements respectifs. Une simple extension de ces mécanismes à d’autres pays européens et à d’autres instruments financiers (par exemple obligations, dérivés et transactions de change) permettrait de générer des revenus bien plus considérables.
3. La taxe Tobin existe déjà en droit français, depuis 2002
ou « Mais ça fait 10 fois que je vous dis que la TTF existe déjà en France ! »
En effet, l’article 235 ter ZD du Code Général des Impôts prévoit de taxer les transactions de changes, ce qui correspond à l’idée qu’avait eue James Tobin dans les années 1970.
Sauf que cet article prévoit aussi que la taxe sur les transactions de change ne s’appliquera pas tant qu’elle ne sera pas introduite dans les 26 autres Etats membres de l’Union Européenne. Autant dire que cet article 235 ter ZD est principalement symbolique, et surtout qu’il n’a rien à voir avec une TTF franco-française sur toutes sortes de transactions.
4. La taxation des transactions financières, c’est la même chose que l’impôt de bourse annulé en 2008
ou « Je vous répète que la taxe Tobineuh existe déjà ! »
Faux. Loin de rapporter 12 milliards d’euros par an comme au Brésil, ou 4 milliards d’euros par an comme en Grande-Bretagne, l’ancien impôt de bourse ne rapportait 240 millions d’euros par an.
Pourquoi ? Parce qu’il était plafonné à 600 euros par transaction, et qu’un très grand nombre d’opérations boursières étaient exonérées de cet impôt (par exemple celles passant par les Etats-Unis).
5. L’échec de la TTF suédoise prouve que les TTF unilatérales sont vouées à la délocalisation des transactions
ou « Et l’échec de la TTF suédoise, on n’en parle pas hein ? On fait moins le malin maintenant ?! »
Il existe certes des TTF mal conçues, qui aboutissent à des échecs. La TTF suédoise des années 1980 en est un bon exemple. La Suède avait à l’époque décidé de taxer les courtiers de bourses établis en Suède, au lieu de taxer les transactions sur titres suédois indépendamment de la localisation des courtiers. Les courtiers suédois ont pu ainsi plier bagages sans problèmes particulier.
Mais cet échec suédois ne prouve en rien que toute TTF serait nécessairement condamnée au même sort. Le fait que le Royaume-Uni, la Suisse, Taiwan ou le Brésil disposent de TTF unilatérales à succès prouve que l’enjeu d’une TTF est d’être intelligemment conçue (et en particulier de ne pas confier sa conception aux professionnels de la finance…).
6. Une TTF européenne serait une formidable solution pour régler le problème de la dette en Europe
ou « Vous voulez qu’on finisse comme la Grèce, c’est ça ? »
C’est l’argument phare de ceux qui veulent affecter les recettes de cette taxe aux déficits publics. Pourtant, les recettes générées par la TTF ne permettraient que de colmater partiellement les brèches encore béantes des dettes européennes, sans jamais remettre en question la racine de problèmes structurels.
La France et l’Europe doivent aujourd’hui faire un choix. Soit la taxe est utilisée pour combler les déficits, ce qui, en l’absence de réformes plus globales au sein de l’Union européenne, revient à l’utiliser à fonds perdus. Soit cette taxe devient un levier historique de financement du développement tout en permettant de dégonfler la bulle spéculative nocive au Nord comme au Sud.
Rappelons qu’affecter la taxe au développement est un investissement économique rentable à moyen terme. Selon Roll Back Malaria, le PIB du continent africain serait actuellement 32% supérieur si le paludisme avait été éliminé il y a 35 ans.
Les politiques doivent faire preuve d’un minimum de vision. Oui, la TTF constitue bien une occasion historique, de financer les grands défis mondiaux : extrême pauvreté, grandes pandémies comme le sida, effets du changement climatique. Utiliser la TTF au profit des dettes souveraines, ce serait passer à côté de l’Histoire. Les pays du Sud restent (et de loin) les principales victimes de la crise financière, largement amplifiée par le laxisme des règlementations financières européennes et internationales.
7. Le Royaume-Uni est contre la taxe ; on ne pourra jamais rien faire sans les Britanniques
ou « Ppppffff… les Anglais, y voudront jamais »
Le Royaume-Uni n’est pas contre la taxe puisque le pays en a une. Les Britanniques ont simplement trouvé l’astuce pour mettre au point une TTF qui est non seulement résistante à toute tentative de délocalisation des transactions, mais qui en plus est payée à 70% par les pays étrangers (Etats-Unis, Japon, Chine, France, etc). Parce que la Grande-Bretagne pèse moins de 4% de l’économie mondiale, et que la TTF britannique ne touche que les actions, la TTF britannique a un impact faible sur le coût moyen de l’ensemble de la spéculation boursière.
Mais si toute l’Union européenne imite la Grande-Bretagne, alors cette TTF commencera à sérieusement renchérir le coût moyen des transactions financières et là, la Grande Bretagne paiera elle aussi !
Surtout, la Couronne britannique a décidé de ne pas taxer les contrats dérivés, dont les firmes anglaises sont devenues les spécialistes mondiaux ; elle exempte aussi les transactions passées par les hedge funds (fonds d’investissement spéculatifs) et les banques d’investissement avec leur propre argent. Ainsi, seules les transactions passées pour le compte d’épargnants individuels sont taxées en Grande-Bretagne.
Enfin, la TTF britannique ne touche pas au marché des changes, qui est pourtant le plus énorme et le plus spéculatif de tous (mais qui est principalement implanté… en Grande-Bretagne). Or, jusqu’ici, la France et l’Allemagne n’acceptent pas ces exemptions britanniques. Ainsi, la TTF zone euro sera payée en large partie par les banques d’investissements et hedge funds anglais et américains, dans la mesure ces derniers réalisent l’essentiel des transactions spéculatives de la planète (avec l’argent déposés par les grandes fortunes du monde entier).
Pour ces différentes raisons, le gouvernement britannique, dont la moitié des membres vient de la City, est très opposé à ce que l’UE mette en place son projet de TTF, fut-ce en s’inspirant de la très rentable taxe mise en place en Grande-Bretagne.
8. Une TTF française ne pourra pas rapporter autant que les TTF brésiliennes ou taïwanaises car ces derniers ont une croissance plus élevée que la France
ou « Taxons plutôt les autres, là, ceux qui nous narguent avec leur croissance ! »
Le montant que la TTF peut collecter n’a rien à voir avec la croissance du PIB. Prenons l’exemple britannique : la TTF reste très stable en Grande-Bretagne depuis 2008, alors même que le pays a connu 3 années de croissance négative. Ce qui compte pour la TTF, c’est la taille d’une économie et son degré de financiarisation, pas la vitesse à laquelle elle croît. L’économie française est de taille plus importante que les économies brésilienne ou taïwanaise ; elle est aussi bien plus financiarisée (au Brésil et à Taïwan c’est l’industrie qui domine l’économie).
Il n’y a donc aucune raison pour que la TTF rapporte moins en France qu’à Taïwan ou au Brésil (en pourcentage du PIB).
9. Une TTF européenne, la meilleure façon d’avoir une croissance au rabais et mettre toute la France au chômage
ou « Comment faire dire aux chiffres ce qu’ils ne disent pas »
Les détracteurs de la taxe ont délibérément déformé les résultats de l’étude d’impact réalisée par la Commission européenne pour servir leur propagande. Ne retenant que le plus haut chiffre avancé par cette étude, la Grande Bretagne a indiqué qu’une TTF européenne pourrait réduire le PIB de l’UE de 1,76%. Pourtant selon l’étude, seule une TTF mal conçue pourrait avoir un tel effet.
Ironie du sort, le Commissaire Algirdas Semeta, chargé de rédiger cette directive, a lui-même récemment reconnu publiquement que l’étude d’impact était très imprécise à ce sujet, et que les effets sur la croissance encore plus négligeables.
En tout cas, le FMI indique que la Chine, l’Inde, le Brésil, et Taïwan ont des TTF importantes. Force est de constater qu’on peut tout à fait taxer les transactions financières et avoir une croissance élevée, si on s’y prend bien…
10. La Taxe aura un impact sur les petits épargnants et retraités
ou « C’est toujours les mêmes qu’on taxe… ou pas »
La taxe ne touchera absolument pas les retraites, ni l’épargne. Les taux requis par les différents rapports du FMI, d’experts financiers comme 99 partnersou les ONG sont faibles (moins de 1% contre 20% pour la TVA), précisément pour n’avoir aucun effet sur ces activités traditionnellement sujettes à peu de transactions. Surtout, aussi bien en France qu’en Europe, seul le secteur composé des grandes richesses financières, de fonds d’investissement spéculatifs et des banques réalise massivement des transactions à court terme sur le marché financier. Les petits portefeuilles réalisant peu de transactions et à long terme ne seront pas impactés.
Par ailleurs, l’impact sur les stratégies d’investissement des fonds de pension sera positif. Une telle taxe va encourager les fonds de pension et ses épargnants à privilégier leurs investissements sur le long terme et permettre de meilleurs bénéfices. Pour rappel, les fonds de pension qui utilisent l’argent des particuliers pour spéculer sur les marchés sont les mêmes qui ont poussé des retraités à la faillite lors des crashs de 1987 et 2008…
Surtout, les fonds de pension cesseraient d’être perpétuellement devancés par les banques et fonds d’investissement qui utilisent les transactions à haute fréquence afin de rafler toutes les mises. Une telle taxe diminuerait l’intérêt de ce type de transactions tant leurs coûts seraient élevés.
Aller plus loin
• Pourquoi une Taxe pour le développement ?
La crise économique qui a commencé en 2007 a déclenché une suite d’évènements aux conséquences dramatiques et créé un « trou » financier pour les 56 pays les plus pauvres, principalement en Afrique. Si au Nord les effets de la crise se mesurent en nombre de A, c’est en milliers de vies qu’ils se soldent au Sud.
Or dans un contexte où les réductions des déficits budgétaires deviennent partout une priorité, trouver plus d’argent pour financer les besoins grandissant de la solidarité internationale devient un véritable défi. Une telle taxe pourrait devenir un outil historique, qui apporterait de nouvelles ressources de manière durable afin que les pays en développement puissent investir à long terme au bénéfice de leur population. Seule cette taxe sera à la hauteur des enjeux et permettra d’atteindre les Objectifs du Millénaire pour le Développement (OMD) fixés par les Etats membres de l’ONU, dont la France : lutte contre l’extrême pauvreté et les changements climatiques, accès universel au traitement pour les malades du sida, alphabétisation, etc.
Petits rappels :
• Il faudrait au moins 168 milliards de dollars pour financer les OMD (Objectifs du Millénaire pour le développement).
• 16 milliards de dollars sont nécessaires chaque année pour financer l’éducation primaire pour tous dans les pays les plus pauvres.
• L’Organisation mondiale de la santé estime elle que 28 à 37 milliards de dollars par an seraient né-cessaires pour renforcer les systèmes de santé dans les pays du Sud. Etendre l’accès aux traitements à tous les malades du sida coûterait 15 milliards d’euros par an jusqu’en 2020.
Une étude du Lancet en juin 2011 a d’ailleurs démontré que grâce aux vies sauvées et aux contaminations évitées, un tel investissement garantirait chaque année plus de 20 milliards d’euros de ressources supplémentaires aux pays en développement, (soit 5 milliards par an de « bénéfice net » par an).