Une étude de la Fondation de France montre que les réseaux de socialisation ne suffisent plus à maintenir un lien social pérenne. Quatre millions de Français seraient victimes d’un isolement quasi total.

Il devient urgent de réanimer le lien social en France. C’est en substance le message lancé par la Fondation de France en conclusion de son étude sur “Les solitudes en France en 2010”. Un travail d’évaluation inédit, réalisé auprès de 4 000 personnes (*), qui met à jour les grandes tendances d’un phénomène dont l’ampleur ne peut qu’inquiéter.

L’étude chiffre a minima à 4 millions le nombre de personnes objectivement isolées. Si les représentations communes associent isolement, vieillesse et grands ensembles, il semble que la solitude frappe les hommes et les femmes dès 40 ans, dans les grandes villes comme en milieux périurbain et rural. Et ce, avec d’autant plus de force chez les personnes en situation de précarité économique.

«Tout se passe comme si les réseaux de socialisation – famille, amis, collègues, voisins, vie associative – ne parvenaient plus à entretenir des liens solides et durables», commente la Fondation de France. Un phénomène d’autant plus préoccupant qu’une part importante de la population (23%) n’a de relations qu’au sein d’un seul réseau. S’il éclate, c’est l’isolement total.
Dans 56% des cas, c’et la rupture familiale (décès, divorce, séparation ou départ des enfants du foyer) qui provoque le retrait. Mais perte d’emploi, les déménagements, les changements de travail ou le handicap peuvent suffire à effacer tout lien social.

9% des Français, soit 4 millions d’individus, vivent en dehors de toutes relations familiales, professionnelles, amicales, de voisinage ou associatives. Lors de l’enquête, 5% des personnes interrogées ont exprimé la souffrance que génère cet état de solitude. Une souffrance souvent aiguë : sentiment d’inutilité, de culpabilité, de détresse, tentation suicidaire.

– La Famille
Un tiers des Français ne rencontrent pas leur famille plus de quelques fois dans l’année. Et 8% n’ont plus aucun lien, même occasionnel. A noter : l’étude balaie ici le parallélisme encore trop souvent établi entre isolement et contacts virtuels. En effet, plus les contacts à distance sont fréquents, plus les contacts physiques sont denses.

– Le travail
Pour un cinquième des travailleurs, l’environnement professionnel n’autorise pas de lien social au-delà de la relation inter-collègues : pas de discussion sur des sujets extra-professionnels, pas d’occasion de rencontres hors de l’entreprise. Un rétrécissement du champ social qui frappe plus nettement encore les indépendants et les travailleurs pauvres. 36% des personnes dont le revenu est inférieur à moins de 1 000 euros par mois sont dans l’incapacité de construire des relations sociales dans le cadre de leur travail.

– Les amis
19% des Français ont des relations amicales réduites à deux ou trois rencontres ou échanges à distance par an. 9% disent n’avoir aucun ami. Là encore, l’âge joue comme un déterminant important (14% des plus de 75 ans). Mais ce phénomène de distance par rapport aux réseaux amicaux est notoire dès 40 ans (10% des 40-60 ans sans aucun ami).

– Les voisins
Pur un Français sur deux, la relation avec le voisinage se limite au “bonjour-bonsoir”.

– Les activités sociales
L’étude montre que 56% des Français n’ont aucune activité dans un club, une association, une organisation.

– Les réseaux virtuels
Le numérique vient-il compenser la solitude ? Non. 88% des personnes en situation d’isolement objectif ne fréquentent pas les réseaux à distance. Un ratio fortement corrélé aux usages liés à l’âge.
Mais aussi aux seuils de revenus. Dans l’ensemble de la population française, la connexion régulière aux réseaux sociaux tourne autour de 30% (tous âges et revenus confondus). Chez les personnes isolées, les plus bas revenus ne dépassent pas des taux de fréquentation très marginaux. Seules les personnes disposant de plus de 3 500 euros mensuels (une personne isolée sur dix), se montrent significativement adeptes des réseaux virtuels.

Dès 40 ans

Si les plus de 75 ans sont nettement plus touchés par ce phénomène que les autres catégories d’âge (16% des plus de 75 ans en situation d’isolement objectif vs 9% en moyenne), l’isolement se manifeste de plus en plus tôt dans la pyramide de l’âge, concernant près d’un dixième des 40-49 ans. Parmi les 4 millions de personnes en situation d’isolement objectif, 1 million ont moins de 50 ans et 2 millions moins de 60 ans. Plus l’isolement concerne des personnes jeunes, plus il est mal vécu.

Forte occurrence économique

Les résultats de l’enquête confirment le haut niveau de corrélation entre isolement et pauvreté économique. Ce, à tous les niveaux de la relation sociale.

 Capacité de développer un cercle amical :14% des personnes ayant des revenus inférieurs à 1 000 euros n’ont aucun ami contre 2% de ceux qui ont des revenus supérieurs à 2 500 euros.

 Probabilité de s’inscrire dans un réseau associatif : 65% des personnes ayant des revenus inférieurs à 1 000 euros par mois vivent hors de tout réseau contre 47% des personnes disposant de revenus supérieurs à 2 500 euros

 Densité des relations sociales au sein de la cellule familiale : les relations avec les membres de la famille sont d’autant plus faibles que l’on est pauvre.

 Aptitude à développer des relations dans le cadre professionnel : 2,4 fois moins de chances d’y parvenir pour les travailleurs pauvres.

Le risque de se trouver privé de tout réseau social augmente avec le chômage de longue durée, la baisse du niveau de diplôme et la précarité de l’emploi.

 Deux fois plus élevé chez personnes au chômage de longue durée (18% contre 9% en moyenne).

 Près de trois fois plus élevé chez les non diplômés (26% contre 9% en moyenne).

 Trois fois plus élevé chez les travailleurs à temps partiel (27% contre 9% en moyenne).

(*) Enquête téléphonique réalisée par TMO Régions auprès de 4 006 Français âgés de 18 ans et plus, entre le 5 et le 22 janvier 2010. Des entretiens qualitatifs ont ensuite été menés à des fins d’approfondissement.

Au sujet de Muriel Jaouën

Journaliste de formation (ESJ Lille, 1990), Muriel Jaouën publie régulièrement dans le magazine de Place-Publique. Ses spécialités : économie sociale, développement durable, marketing, communication, organisations, management.

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ECONOMIE, ETUDE

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