Ce résumé d’un rapport* établi par le think tank TerraNova montre comment la crise du logement qui pénalise surtout les jeunes et les pauvres est née d’un choix de société privilégiant la rente foncière et immobilière, les propriétaires et les « inclus ». Il détaille une politique progressiste fondée sur un changement d’objectif : loger dignement, à un coût raisonnable, l’ensemble des ménages
L’état des lieux est sévère. En ce début du 21e siècle, l’accès au logement est difficile pour de plus en plus de Français. Les jeunes et les pauvres sont les plus pénalisés, notamment dans les grandes villes et les zones littorales, qui accueillent un tiers de la population. Pour tous, le logement est devenu de plus en plus cher au cours de la dernière décennie, érodant le pouvoir d’achat.
Cette situation résulte d’un choix de société au moins implicite : un choix qui privilégie la rente foncière et immobilière, les propriétaires et les « inclus ». Aussi, apparaissent de fortes tensions sur les budgets de nombreux ménages, une frustration durable chez les exclus du système.
Depuis dix ans, la réaction politique face à cette spirale dangereuse a été superficielle et très marquée par le court terme, sans effet sur l’évolution des prix et sur la fluidité du marché. Il faut sortir de cette crise et mettre fin à l’inefficacité de la politique du logement.
Concrètement, une politique progressiste du logement implique un changement d’objectif : loger dignement, à un coût raisonnable, l’ensemble des ménages. Laissons aux ménages le choix de la location ou de la propriété. Nous préférons une France où tout le monde est logé à une France où la part des propriétaires s’accroît.
Plusieurs chantiers sont à mener pour atteindre cet objectif. Ils doivent être conduits simultanément et prennent tout leur sens dans leur complémentarité. Une stratégie progressiste vise à répondre aux besoins de logement par une production beaucoup plus importante, mais aussi bien ciblée en termes de localisation, de prix ou de loyer de sortie, de caractéristiques physiques. Cette stratégie ne sera efficace qu’à condition de refondre le système de fixation des prix, pour mettre fin à la logique actuelle de forte hausse. Cette stratégie n’a de sens que dans un cadre écologique qui insère la ville et l’habitat dans une société plus « durable ». La mise en œuvre de cette politique nécessite une gouvernance qui responsabilise les agglomérations en leur confiant les moyens d’agir, tout en préservant des mécanismes de solidarité nationale.
Le premier préalable est de réduire les prix immobiliers et fonciers. La politique de solvabilisation actuelle de la demande contribue à alimenter la hausse des prix en situation de marché non régulé. Une régulation forte doit, au contraire, influencer les mécanismes de fixation des prix. Une politique foncière active doit libérer des terrains constructibles grâce à leur taxation, pénalisant les détentions improductives. Une réduction des coûts de construction peut être obtenue sur la durée. Un encadrement des loyers est nécessaire. Les aides solvabilisatrices en seront d’autant plus limitées qu’elles devront toutes avoir une contrepartie sociale ; les aides à la pierre qui réduisent le prix de sortie et les loyers seront privilégiées par rapport aux aides à la personne qui rendent les loyers élevés supportables et donc praticables.
L’effort de construction volontariste doit s’insérer dans un cadre d’urbanisme écologique structurant, en amplifiant les mesures prises depuis le Grenelle de l’environnement en faveur de la qualité thermique des logements, notamment des logements existants. Cette politique peut être financée grâce à des dispositifs innovants comme les certificats d’économie d’énergie. L’enjeu écologique conduit également à mieux articuler politiques territoriales et politiques du logement. Comment ? Par une politique d’aménagement du territoire et de planification urbaine plus affirmée, qui organise la qualité urbaine et l’extension des villes sous forme d’ « éco-quartiers » ou de « villes neuves ». Les aides publiques exigeront une contrepartie « énergétique », pour des logements économes en énergie, et « territoriale », pour des logements judicieusement situés.
Objectif central, il faut faciliter les parcours résidentiels. Aujourd’hui, il est très difficile d’entrer dans le parc social, notamment parce que l’offre est faible dans les grandes villes et les zones littorales. Il est presque aussi difficile d’en sortir quand les loyers des logements privés sont, en région parisienne ou lyonnaise, plus de deux fois supérieurs à ceux des logements sociaux. Pour les jeunes et les plus pauvres, il est également difficile d’accéder aux parcs locatifs privés : il faut payer une caution, un mois d’avance de loyer et… trouver un propriétaire qui accepte de signer un bail. Il devient urgent de faciliter l’accès au logement, d’y organiser le maintien en cas de difficulté et de permettre des « parcours » entre les différents segments du parc de logement (social, locatif privé, accession).
Comment faciliter cet accès au logement ? En construisant, en premier lieu. L’objectif que nous fixons est de produire 100 000 logements de plus par an, pendant une dizaine d’années. Pour relancer le secteur de la construction, nous proposons de nous appuyer principalement, mais pas exclusivement, sur les opérateurs de logements sociaux. Ils disposent de savoir-faire mobilisables rapidement. Par rapport à aujourd’hui, une augmentation de 50 000 logements est souhaitable.
Pour faciliter l’accès au logement, il faut aussi un parc plus adapté à l’accueil des « outsiders », au premier rang desquels il y a les sans-logis et les mal-logés. Parmi les mesures proposées figurent le doublement en cinq ans du nombre de place d’hébergement, la création d’un fonds d’investissement pour les acteurs du logement d’insertion. Les jeunes, également, sont devenus des « outsiders ». Des pistes nouvelles sont développées pour faciliter les colocations et doubler la production de logements en résidence étudiante et en résidence pour jeunes travailleurs. Nous proposons aussi la création d’un « passeport pour le logement » pour que le premier mois ne coûte pas plus cher que les autres. Pour tous, il faut faciliter l’accès au secteur locatif, en abaissant les « freins » à l’entrée. Dans le parc locatif privé, la généralisation de la « garantie des risques locatifs » assurera les bailleurs contre les risques d’impayés. Dans le logement locatif social, des règles plus claires pour l’attribution des logements sociaux sont proposées.
Dans les plus grandes villes, entre les logements sociaux et les logements du marché libre, il faut développer une offre « intermédiaire » pour les classes moyennes, en s’appuyant sur les organismes de logements sociaux mais aussi sur les « investisseurs institutionnels ». Des mesures législatives obligeront les sociétés d’investissement immobilier cotées à détenir une part de leurs actifs sous forme de logements à loyer intermédiaire.
Une politique globale, bien équilibrée, exige un régulateur central des politiques d’habitat : l’agglomération, devenue autorité organisatrice de l’habitat. Elle est assez près des préoccupations des Français pour les comprendre et assez loin pour ne pas subir, comme de nombreuses communes, les pressions malthusiennes des « insiders » contre de nouvelles constructions.
Cela conduit à proposer un renforcement des structures intercommunales afin de les doter de compétences en matière d’habitat et d’urbanisme, pour qu’elles organisent la liaison logement-transport-urbanisme. Ce renforcement conduit à proposer l’élection de leurs représentants au suffrage universel direct. Il suppose qu’elles disposent de tous les outils juridiques, y compris la délivrance du permis de construire. Il suppose aussi qu’elles concentrent tous les moyens financiers, grâce à un nouveau système de financement plus simple, juste et pérenne au service d’une politique du logement renouvelée. Aujourd’hui, le système de financement du logement est illisible, résultat d’une sédimentation progressive de nombreux dispositifs. Il est peu efficace et parfois injuste.
Les dispositifs de défiscalisation des investissements locatifs type « Scellier » ou de « Robien » illustrent cruellement les dérives d’une politique de relance de la construction injuste, parce qu’elles profitent aux contribuables les plus aisés sans réelle contrepartie sociale en termes de niveaux de loyers pratiqués, et inefficace, car la production s’est révélée déconnectée des marchés locaux du logement. Dans cette situation, nous proposons la fusion de l’ensemble des dispositifs actuels d’aide à la pierre en une « aide universelle au logement ». Cette aide, versée sous forme de prêts à taux zéro, s’adressera à l’ensemble des constructeurs (particuliers, promoteurs, bailleurs publics). Le volume d’aide sera fixé selon les contreparties sociales exigées, les caractéristiques énergétiques des logements, leur localisation, etc.
Les objectifs globaux de construction et d’amélioration du parc ainsi que le volume de ces aides mis à la disposition des seules agglomérations feront l’objet d’un contrat d’objectifs pluriannuel avec l’Etat, afin de donner de la visibilité et de la durée aux politiques d’habitat. Leur effet fera l’objet d’une évaluation commune entre les agglomérations et l’Etat. Avec le concours du 1 % logement (garantie des mobilités, ANRU, aides aux HLM), l’Etat fixera un cadre (contrats d’objectifs, lois SRU et DALO) pour assurer des solidarités entre territoires et le respect de règles d’intérêt national.
Conduire ce changement suppose une stratégie d’ensemble articulée autour de quatre priorités :
Des mesures immédiates pour réduire très vite les tensions, le temps de laisser les décisions de long terme produire leurs effets,
Des choix structurants dans la durée avec les acteurs actuels mais aussi de nouveaux acteurs, comme les agglomérations ou les bailleurs de logements à loyers intermédiaires,
Des dispositifs lisibles facilitant la mise en œuvre des décisions et amplifiant leurs effets,
Une maîtrise budgétaire du programme, d’autant plus indispensable que la réduction des coûts du logement se répercutera avec retard sur les dépenses budgétaires et que le logement doit rester une priorité d’une politique progressiste.