Mardi 30 mars 2010

Le report sine die de la taxe carbone fait actuellement couler beaucoup d’encre. Mais la plupart des commentaires montrent qu’une fois de plus, la simplification médiatique aidant, les enjeux de cette « taxe » n’ont guère été compris, ni par les politiques, ni par les journalistes, ni par le grand public et encore moins par les grandes entreprises et leurs représentants.

D’où vient ce malentendu, au sens premier du terme ?

Essentiellement, d’un « mal dit ». L’expression choisie (par qui ?) pour la nommer, « taxe carbone », condamnait d’emblée la mesure. Qui ne serait pas allergique à une nouvelle taxe dans le pays champion des taxations aussi diverses qu’inattendues ? Qui serait capable d’y voir autre chose qu’un impôt de plus destiné à renflouer les caisses d’un État ruiné et dispendieux ? Quand au mot « carbone », il renvoyait immédiatement, dans l’imaginaire écologique collectif, à la limitation des émissions de CO2, déjà taxées par ailleurs. Tout cela a abouti au sentiment, relayé de façon incongrue par le président de la République lui-même (jamais à une contradiction près) : « l’écologie qui coûte cher et nous empêche de vivre, ras-le-bol ».

Interprétation

Or, la taxe carbone n’a rien d’une taxe écologique au sens idéologique du terme. Elle n’a pas pour objectif premier de réduire les émissions de CO2 pour lutter contre le réchauffement climatique global. Un de ses principaux inspirateurs, Jean-Marc Jancovici, ne cesse de le rappeler, mais apparemment il a du mal à se faire comprendre malgré le brillant et la clarté de ses exposés (voir son blog www.manicore.com ).

Dans son esprit, me semble-t-il, il s’agit d’abord d’un levier économique destiné à nous désintoxiquer du pétrole, de cette énergie bon marché qui a permis notre développement exponentiel depuis un siècle, mais dont nous devons apprendre à nous passer progressivement puisque nous savons, avec certitude, qu’elle n’est pas inépuisable. Rendre les énergies fossiles plus chères (pétrole, gaz, charbon), c’est nous aider à inventer et à financer des énergies de substitutions renouvelables en même temps qu’à réduire la part de consommation inutile. Et la marge dégagée par ce surenchérissement, la taxe donc, permettrait d’assurer la transition en douceur en aidant les ménages ou les entreprises les plus pénalisées par ce changement.

Si l’on comprend cela, tous les arguments contre cette taxe tombent : il ne s’agit pas d’une « punition » infligée à nos concitoyens et à nos entreprises, mais au contraire d’un encouragement à anticiper de manière constructive la pénurie inéluctable des énergies fossiles.
C’est ainsi qu’une bonne mesure, mal baptisée, devient l’objet d’interprétations fallacieuses.

Réductionnisme

Mais elle a également souffert d’un autre travers propre au réductionnisme de la pensée journalistique moyenne qui ramène tout aux idées « qui sont dans l’air du temps » (c’est le cas de le dire) et qui a toutes les apparences du conformisme intellectuel : la taxe carbone a surtout été présentée comme un moyen de sauver la planète.

Dès lors, il était facile de montrer que nous n’avions pas, nous Français, à nous poser en donneurs de leçons et que nous ne pouvions tout seuls, dans un contexte économique difficile, alourdir notre fiscalité dans un but généreux mais improbable, au risque, argument ultime, de détruire des emplois. Ce qui était au départ pensé comme un avantage concurrentiel – se donner les moyens de développer les énergies nouvelles – a soudain été présenté comme un désavantage – nous pénaliser par rapport aux autres.

La doxa écologique a ainsi pénétré tous les esprits et toutes les analyses. Une seule chose importerait désormais, lutter contre le réchauffement climatique, quoiqu’il en coûte, et toute la valeur des mesures prises est mesurée à cette aune.

Or, le dérèglement climatique n’est qu’un problème parmi d’autres et celui sur lequel nous avons le moins de certitudes, tant sur les origines du phénomène que sur ses conséquences, en raison de sa complexité (et sans nier sa réalité). Nous avons, par contre, de nombreux problèmes concrets à régler, ici et maintenant, dont nous sommes certains à court terme : nourrir 7 puis 9 milliards d’êtres humains, leur permettre un accès à l’eau potable et faire face à la diminution inexorable des ressources fossiles, énergie et matières premières.

Généralisation

C’est ici que les médias sont les victimes – consentantes ? – d’un tour de passe-passe. La généralisation – tout se ramène au climat – permet d’éloigner et de rendre abstraites les questions concrètes et immédiates. En rendant l’objectif lointain et illusoire à notre échelle humaine – « sauver la planète » -, elle masque la réalité proche : nous allons, quels que soit les calculs, vers la fin du pétrole. Et là, nous sommes directement concernés et nous pouvons peut-être agir en changeant nos comportements. Mais sans doute certains groupes de pression, pays producteurs, entreprises pétrolières, constructeurs automobiles, ont-ils intérêt à retarder cette prise de conscience et à détourner notre regard d’un problème qu’eux-mêmes ne veulent pas voir.

J’ai enseigné, jadis, dans une école de journalisme. On y rappelait les règles de proximité. Une information n’a d’intérêt pour le lecteur ou l’auditeur que si elle est proche de ses préoccupations immédiates. Les idées générales et lointaines retiennent peu son attention. Notre métier aurait été peut-être de lui expliquer que la taxe carbone était un investissement utile pour continuer à pouvoir se chauffer, s’éclairer et se déplacer sans souci dans les années qui viennent et non un impôt pour sauver le monde en 2100.

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Au sujet de Bruno Tilliette

Bruno Tilliette est journaliste indépendant, ancien rédacteur en chef des revues Autrement, Management et conjoncture sociale et Dirigeant. Il tient une chronique régulière sur place-publique.fr depuis plusieurs années. Il est également auteur ou coauteur d’une dizaine d’ouvrages portant sur la communication et le management en entreprise, l’éducation et la formation ainsi que sur l’évolution de la société française.

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