Se passer du nucléaire ? Chiche ! Mais…*
Le nucléaire civil ne représente, après tout, que 17% de la production mondiale d’électricité – mais 75% en France. Toutefois, une approche manichéenne ne semble pas être la solution au problème, au moins à horizon d’une génération.
La situation du Japon fait rebondir le débat du nucléaire en France. Face à une déferlante de situations incontrôlées, il est normal de s’interroger sur la légitimité des choix, notamment aux Etats-Unis, en France et au Japon – trois pays qui, selon l’Agence internationale de l’énergie atomique, totalisent 56% de la puissance nucléaire mondiale installée dans 31 pays.
On pourrait même imaginer se passer entièrement de l’apport du nucléaire. Après tout, il n’y a qu’une quarantaine d’années que l’atome civil contribue significativement à la production d’électricité. Et tout bien considéré, il ne représente aujourd’hui que 17% de l’électricité produite dans le monde. Rien, apparemment, d’insurmontable. En outre, même avec 65 réacteurs nucléaires actuellement en construction, le parc mondial (442 réacteurs actuellement) ne devrait pas fournir une part beaucoup plus importante de l’électricité mondiale dans l’avenir. Mais la demande en énergie est appelée à croître. C’est bien la raison pour laquelle le nucléaire a, jusqu’à présent, trouvé sa place.
Indépendance énergétique et empreinte carbone
Pour des pays comme la France et le Japon qui ne disposent pas de matières premières énergétiques, le nucléaire est une façon de réduire leur dépendance aux importations d’hydrocarbures. En France par exemple, grâce au nucléaire qui fournit les trois quarts de l’électricité consommée dans l’Hexagone, le taux d’indépendance énergétique est de 50,5%. http://www.insee.fr/fr/themes/theme.asp?theme=11&sous_theme=3. Dans les années 1970, avant que le programme nucléaire fournisse tous ses effets, il oscillait autour de 25%.
Imaginons le montant de la facture énergétique pour la France sans nucléaire ! L’an dernier, elle a atteint 46 milliards d’euros http://www.lefigaro.fr/flash-eco/2011/03/10/97002-20110310FILWWW00662-energie-la-facture-grimpe-en-2010.php , bien que qu’électricité primaire (nucléaire et autres) représente, en France, 42% de la consommation d’énergie. S’il avait fallu remplacer les 75% d’électricité d’origine nucléaire par des énergies fossiles importées (fioul, gaz ou charbon), on aurait allègrement dépassé les… 70 milliards d’euros !
Mais ce ne sont pas des règles de trois qui dictent des choix de vie. Les décisions sont avant tout politiques, et les moyens à mettre en œuvre dépendent des choix exprimés. Il en fut ainsi pour développer le nucléaire. Il en serait de même si le nucléaire devait disparaître. Or, ce n’est pas parce que l’atome serait banni qu’il faudrait compenser par du pétrole, du gaz ou du charbon, alors même que ces matières premières énergétiques figurent au banc des pollueurs à cause des émissions de CO2 qui contribuent à l’accélération du réchauffement climatique. L’objectif de réduction de 20% des émissions en Europe entre 2007 et 2020 pour les ramener à leur niveau de 1990 n’est déjà pas d’un très grand volontarisme. Il passe par 20% d’économies d’énergie, et 20% d’énergies renouvelables en plus. Aussi, même en mettant fin au nucléaire – c’est-à-dire en France à 30% de l’énergie primaire consommée, toutes origines confondues – on ne saurait accepter de dégrader le bilan carbone du pays. Pour les générations à venir, le choix ne serait pas meilleur.
Libérer les énergies renouvelables
Le remplacement du nucléaire par les énergies renouvelables ne peut être une réponse à court terme, ni même à moyen terme. Il est une partie de la solution, mais on n’est pas aujourd’hui sur des échelles comparables. Les techniques sont multiples, avec un mode de production décentralisé sur la base du photovoltaïque (source d’énergie actuellement marginale, mais qui s’est rapidement développée avant que le gouvernement n’impose une croissance à la baisse http://www.slate.fr/story/31229/energie-solaire-gel-photovoltaique ), un mode plus centralisé sur la base de l’éolien (qui équivalait en 2009 à 2% de la production d’électricité d’origine nucléaire), un autre bien connu et insuffisamment utilisé recourant à la géothermie, et la biomasse qui est une importante source d’énergie thermique. Et surtout, l’hydroélectricité qui est à ce jour la principale source d’énergie électrique renouvelable en France (environ 15% de la production totale, mais proche de la saturation).
Le problème du photovoltaïque vient du niveau de subvention actuellement nécessaire pour que cette énergie soit attractive. L’éolien off shore est appelé à se développer suite aux appels d’offres lancés pour l’installation, selon le Grenelle de l’Environnement, de 1200 machines au larges des côtes françaises, qui pourront fournir environ 3,5% de la consommation électrique en France.
http://ecocitoyens.ademe.fr/sites/default/files/EC_guide_eolien_en_mer_juin_2010.pdf Quant à l’éolien terrestre (3000 machine installées fin 2009), il est bridé au nom de la pollution visuelle et sonore, argument développé par les ayatollahs du nucléaire afin d’enrayer son développement http://www.assemblee-nationale.fr/13/rap-info/i1213.asp . Pour remettre en question le nucléaire, il faudrait immanquablement que les pouvoirs publics passent outre ces querelles de clochers. Et ignorent les critiques de « gabegie financière » formulées contre l’éolien.
On pourrait aussi imaginer que, sans augmenter les importations d’hydrocarbures, on utilise une part des produits pétroliers utilisés dans les transports pour alimenter des centrales thermiques réhabilitées. Comment ? En augmentant lourdement les taxes sur les carburants afin que les automobilistes laissent leur véhicule au garage. La mesure, qui viendrait s’ajouter à l’augmentation prévisible du prix du pétrole, aurait toutes les chances de déclencher une levée de boucliers et réclamerait un très grand courage politique de la part du gouvernement qui le déciderait. Et elle serait, de toute façon, écologiquement contestable.
Promouvoir les bâtiments à énergie positive
On pourrait surtout demander aux Français, dans le cadre des économies d’énergie, de consommer moins d’électricité dans le secteur résidentiel et tertiaire. Il y a du grain à moudre puisque ce secteur représente, selon l’Insee, 44% de la consommation finale énergétique. Et si on s’en tient à l’électricité, 68% ! Les Allemands ont pris quelques longueurs d’avance pour construire des bâtiments plus économes en énergie. En France, le Grenelle de l’Environnement a fixé des étapes : partant d’une moyenne de 240 kWh par m2 et par an, l’objectif consiste à passer à 150 kWh en 2020 et 50 kWh en 2050, explique l’Ademe. Soit près de cinq fois moins en quarante ans… avant de parvenir à un standard de construction à énergie positive, c’est-à-dire des bâtiments qui produisent plus d’énergie qu’ils n’en consomment. Le problème est le rythme pour parvenir à ces objectifs: on peut l’accélérer, mais la transformation du parc immobilier ne peut se concevoir que dans la durée.
Remise en question des modes de vie
Les solutions sont multiples. Le problème est qu’elles accompagnent une demande d’énergie sans cesse croissante. Si on ne considère que la consommation d’électricité, elle a triplé en France en 35 ans, et doublé en 25 ans. A ce stade, les progrès réalisés et escomptés dans les énergies renouvelables et les économies d’énergie ne permettent, globalement, que de compenser la demande dans le cadre d’un bouquet énergétique comprenant… du nucléaire. Toute évolution qui ne dégraderait pas l’empreinte carbone semble vouée à une refonte profonde des modes de vie et de croissance, pour que les progrès enregistrés fassent effectivement reculer la part du nucléaire, en France et dans le monde, jusqu’à son extinction.
On n’est plus alors dans un débat technique, mais dans un choix de société. Et un choix de développement qui implique de réviser un système de valeurs que l’Occident a vendu au monde entier. Dans un contexte de mondialisation, les engagements à prendre ne se limitent pas à un pays mais s’appliquent à l’ensemble de la collectivité internationale, aux vieux pays industriels comme aux économies émergentes. Le drame japonais oblige à se poser des questions. Il n’est pas certain que les réponses se situent dans une approche manichéenne du problème.
* Article paru sur Slate.fr et publié dans Place Publique avec l’autorisation de l’auteur