Les micro-algues seraient-elles l’avenir de la planète? Interview de Claude Gudin
PP : On vous surnomme le « grand-père des algues » parce que depuis près de 40 ans vous avez étudié les micro-algues au sein de la BP (British Petroleum) et du CEA. Vous avez même constitué une collection de 500 micro-algues. Vous allez publier « une histoire naturelle des micro-algues » aux éditions Odile Jacob début 2013. (Et vous êtes fondateur de la société européenne de biotechnologies).
C.G. : Oui mais j’ai surtout passé une partie de mon existence, près de vingt ans, avec une micro-algue, la Porphyridium cruentum, qui contient de la phycoérythrine. Comme je l’ai écrit dans mon livre Une histoire naturelle de la séduction « Cette microalgue rhodophycée a été isolée dans les lieux saints, les églises, les bénitiers en Suisse et en Bretagne. Elle est la responsable des christs et des vierges sanglantes. Elle se développe grâce à la condensation de l’humidité dans les creux des mains et des plaies des statues dès que la température devient clémente et que le soleil darde à travers les vitraux de l’église. C’est une espèce très ancienne, sorte de trait d’union entre les cyanobactéries sans noyau (3,5 millions d’années) et les algues à noyau. Elle a gardé des primitives algues bleues des pigments rouges et bleus (les phycobiliprotéines). Ces molécules proviennent de la même voie de synthèse que la chlorophylle et le sang mais les quatre unités pyrroles qui les constituent (un pyrrole est un noyau à quatre atomes de carbone et un atome d’azote) sont alignés en chaîne au lieu d’être refermées sur un métal comme dans la chlorophylle (prophyrine au magnésium) ou le sang (porphyrine au fer) ».
P.P. : Vous avez créé une entreprise il y a une dizaine d’années, issue du CEA
C.G. J’ai créé Thallia Pharmaceuticals à Tarbes (entre 1992 et 1998)avec le soutien de Sofinnova Partners.
C’était l’aboutissement de la filière micro-algues du CEA. J’ai conçu un système tubulaire qui permettait de cultiver cette algue dont les propriétés antioxydantes ainsi que de prévention de la DMLA (Dégénérescence Maculaire liée à l’Age) sont élevées en raison de son taux de zéastaxantine (qu’on trouve aussi dans les grains de maïs). Un taux bien plus élevé que celui du maïs dont il faut utiliser des quantités très importantes pour obtenir quelques grammes distribués sous forme de gélules. Mais nous n’avons pas réussi à commercialiser la production sous forme de gélules. La microalgue Porphyridium cruentum était également une source de Super Oxyde Dismutase (SOD) végétal, très recherchée depuis que la crise de la vache folle interdisait de recourir au sang de bœuf ou au sang humain. Nous avons obtenu et purifié la première source de SOD végétale. En même temps, des chercheurs de l’Inra en ont trouvé au coeur du melon, ce qui était plus économique.
P.P. : Pour quelles raisons votre société a-t-elle cessé son activité ?
C.G. Pour des questions de rentabilité. Si nous avions pu vendre les produits directement comme c’est le cas pour la spiruline, l’entreprise aurait été rentable. Cela aurait évité les processus d’extraction et de purification, qui sont les plus coûteux. Actuellement, il y a seulement trois micro-algues qui soient homologuées pour la consommation humaine dont la spiruline qui a obtenu cet agrément il y a une trentaine d’années du fait qu’elle était déjà consommée dans des cultures traditionnelles au Kenya et dans d’autres pays d’Amérique latine.
P.P. : Vous avez déposé à la BP et au CEA des brevets il y plus de vingt ans sur des procédés qui sont actuellement repris par des industriels.
C.G. : En effet, dès 1975 j’ai développé un système tubulaire flottant , celui qui a été utilisé chez Thallia Pharmaceuticals. Il a été repris ensuite par d’autres quand le brevet est retombé dans le domaine public, la durée de vie d’un brevet n’étant que de 20 ans.
P.P. : Quels sont les obstacles à la culture de micro-algues par voie photosynthétique ?
C.G. : Les micro-algues peuvent être cultivées en open pound à ciel ouverts (raceways) comme c’est le cas en Australie, en Israël ou aux Etats-Unis. Les Israéliens cultivent en plein air une microalgue survivante de la mer morte, la Dunaliella salina, qui est très riche en bêtacarotène. Ils l’utilisent pour produire des millierss de tonnes par an de colorant alimentaire E 160 a. C’est cette algue qu’on trouve aussi dans les étangs en Camargue et qui donne leur couleur aux flamants roses par transmission dans la chaîne alimentaire.
On peut aussi cultiver d’autres espèces de micro-algues moins résistantes dans des photobioréacteurs fermés pour éviter les problèmes de contamination. Mais on a beau retourner toutes les possibilités de ces systèmes tubulaires, flottants, à la verticale, à l’horizontale, le fait est que leur rentabilité est insuffisante. Dès qu’il s’agit d’extraction de micro-algues, les exploitations sont très coûteuses en eau, en CO2, en phosphates et en électricité. L’ennemi numéro 1 c’est l’eau qu’on manipule en trop grandes quantités.
PP : Il faut contrôler la température ?
C.G. : Oui, le gros inconvénient quand on met ces photobioréacteurs au soleil, c’est le refroidissement. Il faut d’énormes quantités d’eau pour éviter les excès de chaleur mais aussi pour filtrer les algues. (Au lieu d’utiliser des systèmes mécaniques, on utilise maintenant des systèmes Airlift qui pulsent de l’air pour faire circuler les micro-algues dans les tuyaux. On a optimisé la taille de la bulle et les systèmes fonctionnent bien).
P.P. : Quelle est la différence entre la culture de micro-algues par autotrophie ou par hétérotrophie ?
C.G. : La culture d’algue par autotrophie repose sur la photosynthèse et l’alimentation en CO2 alors que l’hétérotrophie est une culture dans le noir avec des apports de sucres. Grâce aux japonais, on a découvert que des cultures de microalgues peuvent se développer en l’absence de lumière : elles vivent sur leurs réserves de sucres. De plus en plus, les entreprises se dirigent vers la mixotrophie, c’est à dire que celles qui ont des photobioréacteurs en pleine lumière ajoutent des sucres et celles qui ont des fermenteurs avec des micro-algues de la lumière. Dans les cinq ans à venir, toutes vont se tourner vers la mixotropie.
P.P. : Quels sont les avantages de ces deux voies ?
C.G. :Le développement des micro-algues dans des conditions photosynthétiques très contrôlées ne dépasse guère actuellement une concentration cellulaire de 3 g de matière sèche par litre. Si on rajoute un peu de sucre dans les PBR , la concentration va augmenter d’un facteur 10 avec une composition biochimique intermédiaire. La productivité est beaucoup plus élevée dans le cas des systèmes en hétérotrophie. Fermentalg à Libourne, par exemple, a réussi à monter à des concentrations de 100 g/l, et plus. La qualité chimique de la biomasse n’est plus la même qu’en autotrophie, sans fixation de CO2 et émission d’oxygène. C’est quand même la voie d’avenir pour de nombreux métabolismes comme les lipides.
P.P. : Y aurait-il d’autres solutions ?
C.G. : Il existe une algue d’eau douce, le Botryococcus braunii, qui a l’avantage de produire des alcadiennes (C17-C19), c’est à dire des hydrocarbures à longue chaîne carbonée. (On retrouve aussi des hydrocarbures dans la nature chez les pétroliers, dans le gasoil ou le biodiesel). En effet, pour nager, les micro-algues ont soit un flagelle soit une bouée, ce qui est le cas avec cette « bulle » d’hydrocarbure qui leur sert de flotteur. On peut aussi immobiliser les micro-algues sur des supports solides. J’ai fait une thèse là dessus et j’ai réussi à fixer une micro-algue dans des gels de polyuréthane. En 1983, avec le plasticien Ernest Pignon Ernest, nous avons injecté des micro-algues vivantes dans des sculptures en polyurétane sur des arbres du Jardin des Plantes à Paris. On pourrait envisager de projeter des micro-algues dans l’environnement des villes et des bâtiments ce qui permettrait d’épuiser le CO2 ambiant.
Les scientifiques russes et américains qui ont travaillé sur les programmes de vols spatiaux ont mené des recherches sur les micro-algues pour recycler le CO2 de la respiration et produire des aliments dans des univers habitables clos. Ce sont d’ailleurs des chercheurs de la NASA, après l’arrêt de ces programmes, qui ont créé l’entreprise Martek aux Etats-Unis pour produire des acides gras polyinsaturés, les fameux omégas 3, dont les propriétés alimentaires sont bénéfiques pour la santé.
P.P. :Le CEA travaille -t-il toujours sur la question des micro-algues ?
C.G. :Actuellement au CEA Cadarache, il y a un projet nommé Héliobiotech dirigé par Gilles Peltier, en biologie fondamentale, en relation avec le programme Greenstars et avec le GEPEA de Nantes Saint -Nazaire. Son objectif est de produire des biocarburants pour l’aviation à partir de micro-algues. Personnellement , je ne crois pas à l’avenir des micro-algues pour produire des biocarburants, mais davantage à des applications dans le domaine de l’alimentation, de la chimie verte ou de la santé.
P.P. : L’INRA a aussi une unité à Narbonne qui étudie des projets utilisant des micro-algues pour la remédiation ou la dépollution. Le projet Symbiose financé par l’ANR (Agence Nationale de la Recherche) est bientôt terminé.
C.G. : Oui, en effet les micro-algues peuvent servir à dépolluer. Et elles sont très efficaces pour ça.
P.P. : Lafarge ou Calcia ont réalisé des démonstrateurs de récupération du CO2 au pied des cimenteries. Il y a aussi un projet en cours dans le sud de l’Espagne. Pour l’instant, ces expériences ne sont pas jugées suffisamment rentables, qu’en pensez-vous ?
C.G. : La rentabilité n’a plus d’importance quand les micro-algues sont produites, non pour en extraire des molécules d’intérêt, mais uniquement pour capturer le CO2 dans des centrales thermiques ou des cimenteries ce qui permettrait de diminuer le taux de CO2 émis dans l’atmosphère.
P.P. : Vous prônez la création d’un Institut dédié aux micro-algues ?
C.G. : Oui, tout en rendant hommage au travail de Jean-Paul Cadoret qui a tenté sans succès de créer un institut des micro-algues à l’IFREMER de Nantes, je pense que l’idéal serait de créer un organisme centralisateur totalement dédié aux micro-algues, tant les applications à venir dans le domaine de l’alimentation ou de la chimie sont importantes. Dès à présent la chimie verte pourrait remplacer la chimie du pétrole. L’IFREMER, tourné vers d’autres applications marines, ou l’INRA , vers des applications agricoles, ne suffisent plus. Il manque une véritable culture des micro-algues. Il y a très peu de spécialistes qui ont cette approche synthétique.
P.P. :Combien y a t-il d’algues exploitées actuellement ?
C.G : Tout juste une vingtaine alors qu’il y en a des milliers possibles. On en répertorie plus de 300 000 espèces.
P.P. : L’expédition Tara qui a fait le tour des océans en relevant des échantillons de phytoplancton dans près de 155 bases a rapporté de sa mission 350 000 échantillons de planctons inconnus. Pour décrypter cette masse de données à l’Institut de Génomique d’Evry, notamment, il faudra environ dix ans. Pensez-vous que nous allons vers de véritables découvertes ?
C.G. : Oui certainement. Mais selon moi, il y a plus de différences entre une même algue selon les différents process de cultures (en batch discontinus ou en continu) qu’entre des algues différentes. J’ai travaillé dès le début de ma carrière avec le Pr Jacques Sénèze et le Pr Jacques Monod qui a inventé le procédé de la culture en continu. A l’époque, il s’agissait de produire des levures sur des normales paraffine et ça marchait. Nous nous sommes heurtés au problème de la concurrence avec le tourteau de soja.
P.P. : Les micro-algues seraient-elles l’avenir de la planète ?
C. G. : Actuellement, en dehors des micro-algues aucune autre espèce ne peut faire le travail. Les forêts ou les plantes supérieures sont confrontées un rétrécissement des surfaces. Ces micro-algues sont des cultures de l’invisible, leur temps de reproduction est plus rapide que le nôtre, de l’ordre de la journée. Il nous a fallu des millénaires pour arriver à 7 milliards d’individus sur la planète. Seules les micro-algues avec leur capacité de reproduction imbattable sont capables de nous fournir l’alimentation nécessaire en utilisant le CO 2 de l’atmosphère qui augmente considérablement. Mais il faut s’y mettre dès maintenant…