Conduire demain
Aimer, dormir, manger, habiter, circuler, penser… Chaque mois, Place-Publique vous donne rendez-vous avec une esquisse illustrée de votre vie quotidienne future. Extraits du livre « Vivre en 2028. Notre futur en 50 mots clés » (Avec l’aimable autorisation des Editions Lignes de Repères)
Ce jour-là n’est pas un jour comme les autres pour Sven Carlson. Il roule sur l’autoroute Stockholm-Malmö. Et il a été choisi par le Ministère du développement durable suédois pour être le dernier automobiliste à faire le dernier plein dans la dernière station service d’essence encore en usage, devant la presse réunie pour l’occasion. Après, cela sera terminé. Sa vieille voiture sera envoyée à la casse. Et il pourra conduire sa toute nouvelle minivoiture à hydrogène qu’il a commandé au Stockholm Motor Show 2028. Comme la plupart des habitants qui habitent dans les grandes villes, il a choisi une voiture électrique, compacte et maniable. Pour réduire les encombrements, la majorité des voitures urbaines sont de petite taille. Leur gabarit est établi sur la base de la moyenne du taux de déplacement des automobiles, soit 1,1 personne. Lui a opté pour le modèle familial de quatre places. La carrosserie est composée de fibres de carbone et de matériaux recyclés permettant de réduire de 50% les émissions de gaz à effet de serre à la fabrication. Son modèle est très léger et offre un moindre coefficient de pénétration dans l’air. Grâce à la pile à combustible, qui lui confère une autonomie de 250 km, sa consommation d’énergie est proche du zéro pollution. Pratique : pour se garer entre deux véhicules, un système d’aide au stationnement, capable d’évaluer les distances, le guide dans ses manœuvres. Comme cela il ne risque pas de se démettre une vertèbre ou de froisser la tôle. Un écran tactile et une voix automatique lui prodiguent les consignes. Il n’a plus qu’à se laisser guider. Son créneau est facilité par la possibilité qu’ont les roues et l’habitacle de pivoter à 90% latéralement.
Sven a préféré ne pas lésiner sur la sécurité. La totale ! Devant lui sur le pare-brise, les informations défilent à l’aide d’un système de diodes intégré au tableau de bord. Elles permettent d’améliorer le confort de conduite. Le tableau de bord ? C’est le cœur du dispositif. Un petit cadran évoluant du vert au rouge en passant par le jaune lui fournit le niveau d’adhérence de la route. Le logiciel de navigation permet de l’alerter en temps voulu avant un virage serré. Des capteurs radar, laser et infrarouge, surveillent en permanence la route et les bas-côtés détectant le moindre imprévu. Sur l’autoroute, le service central de la gestion routière auquel est raccordé son nouveau véhicule recommande la vitesse à ne pas dépasser pour que la circulation reste fluide. Quand il est nécessaire de doubler, la colonne de direction avertit en faisant vibrer le siège ou le volant, si elle considère que la voiture derrière est trop près. Le système de régulation de vitesse ACC permet aux freins de réagir immédiatement en cas d’urgence et de préserver la distance recommandée. Quelques mots ? et le système de navigation reconnaît aussitôt l’ordre qui lui est donné grâce à une petite caméra qui lit sur ses lèvres. Comment est la météo sur la route ? Il suffit de le demander et une page internet de la météo s’affiche sur l’écran passager. Les rétroviseurs ? Plus besoin. Ils sont remplacés par des petits objectifs qui affichent ce qu’il y a de chaque côté et derrière le véhicule et même les angles morts. Et les pneus ? Ils sont en nanomousse et peuvent absorber des bouts de fer sans crever. Les dispositifs de visions nocturnes avec capteurs infrarouges détectent les personnes qui traversent et affichent l’avertissement dans le champ de vision du conducteur directement sur le pare-brise. En cas d’accident, un système de capteurs intégrés au pare-choc qui décèle le heurt avec un piéton relève instantanément le capot de quelques centimètres évitant ainsi le choc du crâne sur le bloc moteur. Sans parler des airbags et les « prétentionneurs » de ceintures de sécurité qui sont devenus très sophistiqués. Un module d’observation intérieure du comportement de l’automobiliste est capable de mesurer son niveau de stress ou de déceler sa fatigue. Surveillant le battement de ses paupières, il peut l’avertir s’il est près de l’endormissement. Ce dispositif lui donne aussi la possibilité de l’assister à prendre décisions en cas de besoin, par exemple, d’orienter la voiture vers la pompe à essence la plus proche quand le réservoir se vide. Petit, son véhicule n’en est pas moins confortable. L’habitacle s’apparente à un petit salon avec tout ce qu’il faut d’audio et de vidéo, mais aussi un réfrigérateur, et un four à micro-ondes. La conduite se fait par télécommande avec une sorte de joystick.
Cette description du véhicule modèle de demain n’a rien de « futuriste ». Tous les ingrédients sont déjà là, préfigurant ce que sera la conduite normale dans une quinzaine d’années. Déjà en tête des pays les moins dépendants du pétrole avec près de 40% de l’énergie consommée d’origine renouvelable contre 6% au niveau européen, la Suède s’est effectivement fixé comme objectif de ne plus dépendre du pétrole d’ici une douzaine d’années. Le ministère du développement durable a décidé de combiner géothermie, biocombustibles, techniques de gazéification, hydrogène. Déjà près de 10 000 automobiles roulent au biogaz, mélange de méthane et de dioxyde de carbone. Le système n’est pas nouveau. Il existe depuis dix ans dans le pays. Ce biocombustible s’obtient par la décomposition, en l’absence d’oxygène, de la matière organique produite dans une usine non loin de là. Les « ordures » sont collectées dans les abattoirs, dans les entreprises agroalimentaires, dans les décharges. Après un mois de «digestion anaérobique», le gaz épuré peut être livré dans les stations. L’usine de Svensk Biogas de Linköping produit à l’heure actuelle l’équivalent de 6 millions de m3 de biogaz, soit 6 millions de litres d’essence.
Les avancées sur le plan du carburant et de l’écologie se traduisent aussi sur le plan de la sécurité et du confort. Le Centre de recherche de General Motors planche sur un système de communication numérique de « Vehicle toVehicle » (VtoV) qui sera commercialisé d’ici six ans si GM existe encore.. Permettant de prévenir les risques d’accident, ce système composé d’un transpondeur émettant en permanence des impulsions électroniques et d’un système de localisation GPD dans un rayon de 400 mètres permet de détecter les anomalies de la circulation et d’y répondre quasi automatiquement. Chez Siemens, les ingénieurs travaillent sur des dispositifs de régulation offrant aux freins la possibilité de faire face aux urgences et de maintenir les écarts raisonnables entre véhicules. La chasse aux décibels est aussi une des priorités. Demain, il n’y aura plus de bruit mécanique due à la combustion, ni de vibrations formées par le flux aérodynamique, ni de crissements sur le pare brise ou de claquements de portières. La voiture sera silencieuse. Le projet « Future of Automotive » développé par Siemens est une illustration des avancées en matière de systèmes de navigation, d’information et de communication sur mesure. Avec dans un avenir proche l’avènement du radar à courte portée.
Cela ne fait pas de doute, le futur du déplacement en centre ville passera par les mini gabarits. Plusieurs constructeurs s’intéressent aujourd’hui à ces « petites urbaines » qui voient le futur en grand et en vert. La Nissan « Pivo » présentée en 2007, permet à l’habitacle et aux roues de la voiture de pivoter pour toujours être face à là où l’on veut aller. Les moteurs électriques sont situés dans les roues, alimentés par des batteries lithium Ion. La « Tango », par exemple, est une toute petite voiture électrique de 1 mètre de large et 2,60 mètres de long. Deux Tango peuvent rouler côte à côte sur une seule voie. On peut donc se mouvoir beaucoup plus nombreux sur la même route. Autre petit gabarit et déjà commercialisée à plus de 10 000 exemplaires, la « Gemcar ». Classée comme « véhicule de voisinage » par les Américains, elle possède des portières amovibles en toile. Equipée d’un moteur électrique de 72 volts alimenté par 6 batteries, la prise se branche sur le 230 V du réseau, avec possibilité de recharges partielles en cours de route, si nécessaire. Sa vitesse est limitée à 56 km/h et son autonomie est faible : 50km. A Londres, on voit aussi, de temps à autre, au coin des rues, une petite voiture électrique baptisé NXG dotée d’une batterie se rechargeant en six heures et d’une autonomie de 200 km. Ce véhicule fait des émules dans la capitale britannique car il est exempt de la « congestion charge », péage automobile mis en place par la municipalité pour éviter les embouteillages au centre de la capitale. La marque française Venturi a mis au point l’ « Eclectic » un véhicule électrique disposant sur son toit de panneaux solaire et d’une petite éolienne qui lui permettent une autonomie de 50 à 100 km. Son habitacle correspond aux dimensions des monospaces. Les Chinois ne sont pas en reste. Ils misent gros sur les petites voitures électriques comme la « Happy Messenger » fabriquée par Tianjin Quingyuan Electric Vehicles. La voiture fait 3,39 mètres de long et 1,47 m de large. Vitesse maximale, 100 km/h. Son autonomie en ville est de 150 km.
Les ingénieurs se penchent aussi vers le recyclage des carrosseries. Ce souci anti-gaspi sous-tend les recherches de l’université de Warwick dans l’élaboration d’une voiture à 95 % végétale, dotée de pneus en pomme de terre et de freins en coque de noix. Un laboratoire du Massachusetts Institute of Technology de Boston a inventé la “voiture caddie” : une auto rétractable, à deux places, que l’on gare en l’encastrant dans une file de modèles du même type, tout comme on remise son chariot sur le parking de l’hypermarché. Plus originale, la « Snap ». Cette multivoiture, encore à l’état de dessin, s’apparente à une grande roue habitable qui se manœuvre comme un tank. Il suffit de ralentir la « chenille » gauche pour tourner à gauche. Un système de navigation, composé de capteurs de position et de vitesse angulaires, maintient le siège droit. Chaque «habitacle » de la Snap peut contenir un passager. Le cockpit est léger, le moteur est à propulsion électrique et les matériaux sont recyclables. 100% propre, la voiture peut se transformer. Les habitacles peuvent s’assembler pour former une version familiale à quatre roues et se détacher. Les passagers peuvent communiquer entre eux grâce à un système de vitres intérieures.
Nos voitures seront-elles un jour suffisamment “intelligentes” pour se mouvoir toutes seules ?
Oui, affirme Michel Parent, directeur de recherche à l’Institut national de recherche en informatique et en automatique : «Il ne fait pas de doute que la voiture puisse à terme se passer de conducteur». La preuve : la « Junior », une Volkswagen Passat, sans conducteur, mise au point par l’Université de Stanford. Elle figure parmi les 35 véhicules sans pilote qui concurrent au grand Prix de la voiture du futur lancé par la Darpa (Agence pour les projets de recherche avancée du ministère de la Défense américain). Le prototype doit pouvoir rouler en ville, connaître le code de la route, se déplacer dans le trafic, s’arrêter aux feux rouges, contourner les obstacles et se ravitailler à la station service la plus proche en cas de nécessité. Plusieurs caméras et lasers permettent de regarder le terrain qui se présente devant ses roues, ainsi que des capteurs de mouvements et des télémètres. La grande nouveauté de la « Junior » est son œil fixé sur le toit. Il s’agit d’une sorte de radar à laser, capable de vision sur 360°. Avec une perception précise des distances pouvant aller jusqu’à 50 mètres. Des engins totalement autonomes pourraient se généraliser dans les années 2020. L’Institut national de recherche en informatique (Inria) développe, avec des labos européens, un programme « cybercars » sur les véhicules urbains guidés par clous automatiques et repères optiques. A Antibes, un circuit de cybercars pourrait être opérationnel dès l’année prochaine. A plus long terme, ces cybercars pourraient également rouler à grande vitesse sur des routes dédiées. Le principe de la voiture robotisée reste invariable dans les grands traits: il s’agit de programmer dans les ordinateurs embarqués les données environnementales de circulation, puis de diffuser les ordres via système de gestion central. Le déplacement s’opère à l’aide de clous magnétiques, par GPS, ou encore magnétoglisseur, ou rail magnétique invisible. La détection des obstacles s’effectue grâce à une lecture laser ou optique : à la moindre alerte, le véhicule stoppe ou ralentit pour contourner l’écueil avant de renouer avec l’itinéraire programmé. L’automatisation pose d’une part la question de la responsabilité civile, elle interfère d’autre part avec des paramètres économiques : faut-il opter pour des voies réservées ou pour une immersion dans le réseau existant ? La mise en exploitation des projets initiés par les différents centres de recherche devrait dans un premier temps avoir recours à des circuits dédiés. A l’image du projet d’infrastructure pour véhicules intelligents concocté par le pôle “Véhicule du futur” de Montbéliard, qui devrait voir le jour en 2010. Les applications menées à titre expérimental, notamment dans le cadre du projet européen CityMobil – 28 partenaires dans10 pays -, concernent pour la plupart des transports collectifs circulant à faible vitesse sur des distances limitées.
Assistera-t-on d’ici 2028 à l’émergence de routes complètement automatisée ? Voir des voitures circuler sur des routes de façon automatique n’est pas une lubie, bien qu’il n’existe encore aucune technique 100% fiable garantissant la sécurité de ce type de transport. Il faudra encore plusieurs années pour la mise au point de systèmes de contrôle efficaces et sûrs de fonctionnement, quel que soit le trafic. Il faudra aussi du temps pour que ce mode de navigation soit accepté par les usagers.