Yan de Kerorguen
Contre l’austérité, osons une révolution fiscale pour relancer l’économie !
En période de crise, en l’absence de dynamique politique, la fiscalité est le nerf de la guerre pour renflouer les caisses. Quelques décisions bien ciblées peuvent ainsi permettre d’épargner aux peuples les affres d’une austérité contre-productive. A condition que les gouvernements fassent preuve de courage et d’union.
600 milliards manquent à la France ! C’est ce que montre un livre très documenté du journaliste Antoine Peillon dans son « Enquête au coeur de l’évasion fiscale », publié au Seuil. Rien que ce chiffre donne le vertige et montre l’incroyable problème soulevé par l’exil et la fraude fiscale. Selon Peillon, 590 milliards d’euros d’avoirs français sont dissimulés dans les paradis fiscaux, dont 220 milliards appartenant aux Français les plus riches (le reste étant le fait d’entreprises). Environ la moitié de ce total (108 milliards) serait dissimulée en Suisse. 2,5 milliards d’avoirs par an se sont évadés dans ce pays durant les dix dernières années. Depuis 2000, UBS France aurait privé le fisc français de 85 millions d’euros en moyenne chaque année, ce qui montre son importance, mais souligne également combien d’autres établissements bancaires participent à ce genre d’activités.
La révoltante impunité de l’évasion fiscale
Une impunité révoltante
Alors que les gouvernements se lancent dans des politiques d’austérité sans merci, exigeant des peuples qu’ils se serrent la ceinture pour couvrir la dette, les vrais responsables de nos maux économiques, ceux qui ont joué avec le feu des subprimes et les fraudeurs impénitents, continuent tranquillement à spéculer, à l’abri des poursuites, à l’ombre des paradis fiscaux. Et cela, malgré les accusations sérieuses et les preuves accumulées à leur encontre. Cette impunité est révoltante. D’autant plus révoltante que cet argent dissimulé suffirait à résoudre une bonne partie de la crise que nous traversons et soulagerait le tableau noir de nos nuits blanches : finances publiques exsangues, croissance économique nulle, explosion du chômage, compétitivité mal en point, déficits sociaux structurels, problèmes environnementaux non résolus.
Comme le soutiennent plusieurs associations comme Finance Watch, Transparency, le collectif « Roosevelt 2012 », « Sauvons les Riches » ou encore « Plate-forme paradis fiscaux et judiciaires », réinjecter cette énorme masse d’argent dans l’économie serait de nature à largement alléger le poids de nos dettes, à assainir durablement notre fiscalité et à apporter une respiration salutaire à l’économie. “Non, l’argent de l’Etat ne doit pas servir à éponger les pertes des banques et de leurs clients au casino de la finance”, ont récemment protesté, devant le Palais Bourbon, ces associations, profitant de l’occasion pour demander au gouvernement français d’aller plus loin dans sa nouvelle loi bancaire. Et ces associations d’exiger une séparation effective et concrète de ce qui relève du crédit de ce qui appartient aux opérations de spéculation.
Selon les associations présentes à ce rassemblement, en l’état, le projet de loi, verrouillé par Bercy, ne change pas grand chose pour les banques. De l’avis même du patron de la Société Générale, Frédéric Oudéa, moins d’1% de l’activité des banques est concernée! L’absence de séparation permet aux banquiers de prendre tous les risques sur les marchés financiers avec l’assurance que l’Etat règlera la facture en cas de crise. Cela aboutirait en fait à une opération juteuse pour les banques : la garantie implicite que leur apporte l’Etat leur permet de lever des fonds beaucoup moins cher sur les marchés… une « subvention » masquée qui fait économiser aux quatre grandes banques françaises l’équivalent de 48 milliards d’euros ! “Il faut couper les banques comme Roosevelt l’a fait en son temps, et leur demander des comptes sur leur utilisation des paradis fiscaux avec une transparence, pays par pays, non seulement sur leur activité, mais aussi sur leurs profits”, insiste le collectif Roosevelt 2012.
On ne saurait le contester, résoudre la question de l’évasion fiscale ne relève pas que de la volonté d’un pays, la France, qui en l’occurrence, au-delà de la timidité de son gouvernement, est le seul état à avoir pris la mesure de l’enjeu. Le problème est européen. Comment se fait-il que l’économie la plus riche de la planète n’arrive pas à créer une dynamique? Pourquoi cette Union si chèrement acquise a-t-elle si peu confiance en elle? Mais où va cette Europe?
Des élites politiques dépassées par les évènements
Force est de constater : nos élites politiques ne sont pas à la hauteur des responsabilités qui leur incombent. Et les peuples ne sont pas non plus bien inspirés lorsqu’ils placent des histrions dans la mêlée. Voir l‘Italie et ses élections. Imperceptiblement, l’Europe de la Paix se transforme en Europe du conflit où l’Allemagne est montrée du doigt pour sa morgue, la Grande Bretagne pour son égoïsme insulaire, l’Italie pour sa bouffonnerie et la France pour son manque de courage. Il n’existe en réalité aucun gouvernement solidaire. Echec des politiciens dépassés par les évènements. Echec des peuples qui se donnent des leaders incompétents. Echec de l’Union européenne qui n’a pas su transformer le projet européen en Europe du projet.
Récemment, deux mauvais coups ont été portés à l’Europe.
Le premier est le scellement de l’alliance Merkel/Cameron pour la politique du « tout austère » sur fond d’électoralisme national. Historique. C’est la première fois que, sous l’influence des britanniques et avec l’appui de la chancelière allemande, le Conseil européen fait le choix d’un budget européen en baisse. Du jamais vu dans les annales de l’UE ? Il faut préciser toutefois que nos eurodéputés ont tout loisir de refuser de valider ce budget austère, en juillet prochain.
Le second est la montée populiste en Italie avec les succès de deux bouffons, le clown Grillo et Berlusconi la momie, lors des dernières élections. Regardez bien les deux premiers, ils sont très conservateurs. Regardez bien les seconds, ils ont des profils de dictateurs. Oiseaux de mauvais augure. Au lieu d’investir comme le font, par exemple, le Japon et les Etats-Unis, l’UE se recroqueville. Pas assez de recherche, pas assez de développement, pas assez de productivité. Alors que nous avons besoin de projets, d’ouverture et de solidarité, bref d’une relance, tous les budgets sont coupés par le Conseil Européen. En lieu et place d’une politique européenne partagée et fédérée, à quoi assiste-t-on ? A une politique de sparadraps, empêtrée dans une logique de rustines, à la guise des états, comme l’état britannique, qui ne croit plus en l’Europe, et l’Allemagne de Merkel qui ne croit qu’en elle. La vision du futur ne fonctionne plus. La boussole s’affole.
Que les antagonismes des peuples se cristallisent sur des nations, on connaît la suite. Du moins on peut la deviner. Troubles sociaux, recherche de boucs émissaires, crispations nationalistes. Et ainsi de suite… les ressentiments, les mépris, qui sait les émeutes, l’Euro qui tombe, la fragmentation. On n’ose y penser. Et pourtant ce scénario impensable est dans les esprits. Non, impossible de se résigner à pareille issue. Chacun peut en convenir : il n’y en a qu’une seule solution pour sortir du marasme économique dans laquelle la France et les pays d’Europe sont plongés : rompre avec les nationalismes économiques tournés vers l’austérité et relancer la croissance européenne sur des bases politiques volontaristes en mettant en place des stratégies solidaires de mutualisation efficaces. L’économiste, Jérémy Rifkin, en est convaincu, si les Européens étaient un peu plus volontaires, l’Europe serait en pointe.
Vers une révolution fiscale ? Du courage et de la volonté !
L’espoir est permis ! Au-delà des mobilisations citoyennes, dont la fonction même est de ne jamais rien lâcher, un seul outil, est de nature à changer la donne : une révolution fiscale ! C’est le nerf de la guerre. La question mérite d’être posée : à quand un Parlement budgétaire et fiscal européen ? L’espoir est là : dans la capacité qu’auront les pays membres, sous la pression des élus, à se diriger vers l’harmonisation fiscale.
Un premier pas vers l’harmonie fiscale européenne a été franchi avec la directive relative à la coopération administrative dans le domaine fiscal. Depuis le 1er janvier 2013, cette directive fournit les bases d’une coopération renforcée et d’un meilleur échange d’informations entre autorités fiscales dans l’Union européenne. On peut s’en féliciter. Un des éléments clés de la directive est qu’elle met un terme au secret bancaire, c’est-à-dire qu’un État membre ne pourra plus refuser de communiquer des informations à un autre État au seul motif que celles-ci sont détenues par un établissement financier. Elle prévoit des procédures et formulaires communs pour l’échange d’informations, qui permettront de transmettre plus rapidement et plus efficacement des données entre les autorités nationales. Les fonctionnaires du fisc peuvent être autorisés à participer aux enquêtes administratives menées dans un autre État membre. Ils pourront également demander que leurs décisions et documents fiscaux soient notifiés dans d’autres États membres de l’Union. La directive dispose d’un large champ d’application, qui englobe l’ensemble des taxes et impôts, à l’exception de ceux relevant déjà de dispositions législatives spécifiques de l’Union (à savoir, la TVA et les droits d’accise). En outre, de nouvelles règles de l’Union qui amélioreront la capacité des États membres à calculer et à percevoir les taxes qui leur sont dues entreront en vigueur dès le début de cette année. Il faut aller plus loin.
L’harmonisation fiscale et sociale avec, au centre, une harmonisation du coût de l’emploi pour rendre plus cohérente la production, permettrait de stopper la concurrence déloyale et le dumping. Pour mettre fin au dumping fiscal européen, certains économistes, comme Pierre Larrouturou, proposent de créer un impôt européen sur les dividendes. Il est étrange de penser qu’à l’heure où les 600 plus grandes entreprises cotées d’Europe engrangent des centaines de milliards d’euros de bénéfice (550 Mds en 2011), jamais l’impôt sur les bénéfices n’a été aussi faible (25% en moyenne en Europe contre 40% aux Etats-Unis). Rien n’empêche que l’UE fasse ce qu’aucun état membre ne fera tout seul ; créer un impôt européen sur les bénéfices de 15%. C’est ce que propose Larrouturou. Créer un impôt européen comporte un intérêt double. Il permettrait d’identifier l’Europe mais aussi de la responsabiliser vis-à-vis de ses finances.
La fiscalité écologique est également une piste sérieuse. Dans un plaidoyer pour l’écofiscalité, Guillaume Sainteny évoque “la nécessité de réinventer, à la fois, un modèle économique et un mode de financement de l’État-providence. Dans les deux cas, la fiscalité de l’environnement peut apporter sa contribution. Une écotaxation incitative permet de favoriser de nouveaux produits et de nouvelles industries, davantage en phase avec un mode de développement durable. “Le déplacement d’une partie des prélèvements assis sur le travail vers des taxes environnementales permet de rééquilibrer le financement des dépenses publiques et sociales et de contenir les prélèvements sociaux” explique G. Sainteny.
Une autre réforme trace la voie : la création de la taxe sur les transactions financières (TTF) qui pourrait rapporter à l’Europe plus de 600 milliards d’euros. Le 23 octobre 2012, la Commission européenne a donné son feu vert à la proposition de dix Etats membres de mettre en place une taxe sur les transactions financières par le biais d’une coopération renforcée. La France a été leader dans ce domaine permettant à la TTF de franchir une nouvelle étape et de fournir une bouffée d’espoir pour tous ceux qui souffrent de la crise.
Enfin n’est-il pas temps de rompre avec la complexité de la déclaration de l’impôt sur le revenu , comme c’est le cas notamment en France? L’économiste Thomas Piketty suggère de créer un nouvel impôt prélevé à la source sur les revenus du travail et du capital suivant un barème progressif. L’avantage ? Eviter la triche. Cet impôt unique remplacerait les taxes existantes (Impôts sur le revenu, CSG : contribution sociale généralisée…). Et pourquoi en fin de compte ne pas adopter le modèle américain consistant à payer ses impôts où qu’on soit dans le monde dans son propre pays ? Plus de Suisse qui tienne.
Reste le principal, le plus significatif, le plus injuste: l’évasion fiscale dans les centres off shore et autres places financières. L’interdiction des paradis fiscaux est le symbole de la révolution fiscale à venir. Pour l’heure, les initiatives dans ce domaine sont timides. Dans un petit livre très stimulant ( « C’est plus grave que ce qu’on vous dit »), Pierre Larrouturou estime qu’au lieu d’imposer l’austérité, il suffirait de punir les entreprises ayant des filiales dans les paradis fiscaux en ne leur accordant plus aucun marché public et en rendant obligatoire la transparence de leurs comptes, pays par pays.
L’espoir d’une Europe fédérale citoyenne
« J’ai toujours pensé que l’Europe se ferait dans les crises, et qu’elle serait la somme des solutions qu’on apporterait à ces crises », écrivait Jean Monnet. Le père de l’Europe, en sa sagesse, nous invite à ne pas désespérer de l’Union européenne. Nous sommes dans l’œil de la mutation. Le cyclone de la crise n’est pas seulement économique, il est éminemment politique.
Politiquement, l’espoir réside dans le Parlement européen et dans la démocratie ; les citoyens. Aucun impôt ne peut être instauré sans légitimité démocratique et sans surmonter la crise de confiance entre les citoyens et l’UE, en offrant aux Européens une nouvelle perspective pour l’avenir. Il faut donc ajouter une dimension parlementaire à ce processus : l’euro ne peut survivre sans avancée politique majeure. Le fédéralisme est la seule voie pour éviter une crise majeure qui sacrifierait une génération entière. Dès aujourd’hui, les eurodéputés de la zone euro doivent préciser la voie à suivre.
C’est un nouveau Parlement et une nouvelle Commission issus des urnes en 2014 qui devront préparer notre avenir. Aux citoyens européens de se mobiliser pour donner au Parlement ce contrepouvoir nécessaire à la relance économique.