Yan de Kerorguen

Faute de comprendre les changements radicaux qui interviennent dans la société et par incapacité de prendre la mesure de l’ampleur des initiatives économiques de la société civile et des innovations sociales, le projet politique de l’équipe au pouvoir manque de souffle. Il est urgent maintenant de fixer des horizons qui ne soient pas seulement des décisions comptables mais qui reposent sur un changement de paradigme économique.

Que des mauvaises nouvelles ! C’est sans doute ce que ressentent les Français et les Européens quand ils entendent chaque mois les chiffres inquiétants du chômage ou qu’ils constatent l’incapacité économique de l’Europe à se défendre contre la concurrence déloyale des pays émergents. Sans oublier les efforts qu’on leur demande de consentir .

A vrai dire, les politiques menées par nos gouvernants, ancrées dans des logiques comptables, ont du mal à créer l’adhésion. Certes, il faut donner du temps au temps. Même si, dans le cas de la France, le mandat présidentiel s’étend sur cinq ans et qu’un an de législature ne suffit pas à résoudre des années de gabegie, le moment est sans doute venu, sinon d’apporter des bonnes nouvelles ou des promesses, de tracer des horizons de long terme, de fournir des caps, et d’enclencher des débats qui permettent aux citoyens de sentir qu’ils ont une prise sur leur destin économique et social. Au-delà des réformes nécessaires entreprises depuis un an, dont certaines produiront leurs effets dans les mois à venir, le projet politique manque d’entrain. Il ne fournit pas les clés de la confiance. C’est là son plus grand défaut.

Soyons clairs: nous n’avons pas d’autre choix que d’être optimistes. Et pour cela, il faut cesser de parler de « LA crise ». Admettons que la période historique que nous vivons engage un nouvel état des choses. Nous serons amenés, pendant sans doute de longues années, à composer avec la redistribution des forces économiques mondiales et les enjeux du développement durable. Au lieu de « Crise », parlons de « Transition ». (ce que nous appelons la transition énergétique est un élément de cet enjeu). En tenant ce langage positif de transition, tout change. L’angle de vue devient différent et l’optimisme cesse d’être béat et ingénu. Il devient moteur.

Une autre période de l’histoire, encore mal définie, commence, en rupture avec les années de l’hyperconsommation, de la vitesse, du gigantisme. Nos modèles de croissance économique, basés sur une consommation de grande ampleur, sur la recherche d’une rentabilité financière maximale à court terme, et l’utilisation excessive de ressources limitées, ne sont plus viables. Suffirait-il ainsi de «moraliser le capitalisme», de resserrer ses règles par exemple et le tour serait joué ? Ou bien serait-il plus approprié de rentrer de plain-pied dans la transition et s’engager résolument dans une mutation profonde ?

Il y a des raisons d’être optimistes : le monde ne manque pas de ressources ni d’énergies ni de talents, pour peu qu’on ouvre grand les yeux. La dynamique amorcée de la green economy, l’importance prise par les réseaux en ligne et les nouvelles formes de partage, la vitalité de la vie associative et de l’entraide, l’essor discret mais constant de l’économie sociale et solidaire, l’impatience d’un autre monde se fait jour.

On ne saurait le contester, parler d’altruisme et de nouveaux modèles de développement planétaire ou de systèmes d’organisation des activités humaines, est un langage encore mal compris par la classe politique. Le mot « utopie » ne fait malheureusement pas partie du vocabulaire, renvoyant à des systèmes le plus souvent totalitaires. Il est politiquement incorrect et considéré comme peu sérieux de réfléchir à des changements radicaux et d’ouvrir le champ des possibles à d’autres modèles que le modèle capitaliste que nous connaissons. Ces sentiments souvent partagés ont un parfum de défaite.

Ce fatalisme n’est pas de mise. Penser l’alternative ne veut pas dire tout mettre par terre. Penser l’alternative et développer l’empathie, c’est d’abord s’élever contre la résignation d’une société sans projet. C’est ensuite être en mesure d’ouvrir les verrous qui bloquent la société. C’est aussi être capable d’envisager un profond changement de paradigme économique. C‘est enfin de pouvoir compter sur la biodiversité des systèmes, des modèles, et des solutions, pourvu que cette pensée alternative place l’humain comme priorité et la démocratie comme condition. Le grand oublié, finalement ce sont les capacités des gens et leur créativité. L’incroyable foisonnement des initiatives associatives et entrepreneuriales dans le domaine du travail, de la vie locale, de l’environnement, de l’habitat et de la consommation, les millions d’innovations sociales et de révolutions tranquilles qui existent de par le monde (Lire le livre de Bénédicte Manier ( « Un million de révolutions tranquilles »), la résilience, la recherche, et puis tous ces changements tellement intégrés dans notre quotidien qu’on ne s’aperçoit plus de leur caractère prometteur : les coopérations numériques, les plates formes participatives, les pratiques solidaires, tout cela atteste d’une vitalité citoyenne dont la puissance publique et les responsables économiques n’ont pas pris la mesure.

Il est temps aujourd’hui de nous orienter dans la fabrique de l’après capital. Appelons cela « l’économie positive ». Nous sommes confrontés à une nouvelle révolution morale qui nous oblige à gérer et réguler solidairement la contrainte écologique et économique. La condition pour avancer est de rassembler autour de ce projet les associations, les réseaux, les groupements, toutes les énergies capables de pratiquer les mixités sociales, culturelles, nationales. La fin du capitalisme commence. Un horizon s’ouvre. Nous entrons dans le siècle du partage, de la contribution, des coopérations, où il faudra faire preuve d’agilité et de mobilité. Il est temps de replacer le politique sur le devant de la scène économique et de changer de modèle pour vivre un nouvel âge de l’économie, du local à l’international. Cet autre temps dans lequel nous entrons, c’est le temps de la démocratie sociétale. Le “ goût de l’avenir ”, voilà ce qu’il nous faut. Le goût de l’avenir, telle est la définition du politique.

L’impératif premier des gouvernements est de redonner du souffle et de l’espoir aux jeunesses européennes. « La jeunesse constitue un extraordinaire élément d’optimisme car elle sent d’instinct que l’adversité n’est que temporaire et qu’une période continue de malchance est tout aussi improbable que le sentier tout droit et étroit de la vertu. » Cette belle leçon d’espoir, offerte par Charlie Chaplin dans son livre “Ma vie”, vaut pour notre époque.

Au sujet de Yan de Kerorguen

Ethnologue de formation et ancien rédacteur en chef de La Tribune, Yan de Kerorguen est actuellement rédacteur en chef du site Place-Publique.fr et chroniqueur économique au magazine The Good Life. Il est auteur d’une quinzaine d’ouvrages de prospective citoyenne et co-fondateur de Initiatives Citoyens en Europe (ICE).

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