L’Europe doit retrouver une respiration politique
A quelques semaines des élections du Parlement Européen en 2014, l’Europe est à la croisée des chemins. Les mois et les années à venir seront décisifs pour l’avenir des citoyens des pays-membres.
L’enjeu ? Le choix entre une simple union politique d’état, une fédération d’États-nations ou des États-Unis d’Europe. En outre, la poursuite de l’intégration européenne aura pour condition le renforcement de la légitimité démocratique de l’Union et davantage de cohésion pour rendre plus avenant l’avenir des jeunes générations. Le chantier reste considérable.
C’est vrai, à première vue, l’horizon européen ne semble pas au beau fixe. Surtout quand on appartient à la jeune génération. L’UE compte près de six millions de jeunes chômeurs. Plus de 50 % des jeunes sont sans emploi en Espagne et en Grèce. Dans le même temps, plus de deux millions de postes restent vacants. Un tiers des employeurs affirment éprouver des difficultés à recruter du personnel possédant les qualifications dont ils ont besoin, ce qui témoigne d’un important déficit de compétences en Europe. L’Europe inquiète au risque de devenir un repoussoir qui encourage les replis identitaires. Le danger est là : que des forces politiques régressives capitalisent sur la déception populaire pour la mettre au service de l’exclusion, de la haine et de l’injustice.
On ne saurait le contester : l’Europe ne fonctionne pas bien, du fait des avancées très lentes relevant de son statut : car un seul pays peut bloquer les progrès attendus. Géant commercial, elle est malheureusement un nain politique. Entre les objectifs de protection sociale de base pour tous ou d’universalité des droits fondamentaux, et la réalité des politiques européennes sur le terrain – harmonisation par le bas, barrages croissants aux migrations et insécurité des travailleurs migrants –, l’écart reste important. Ajouté à cela le fait que les institutions de l’UE ne permettent pas aux citoyens de peser significativement sur les choix essentiels. Ce n’est pas le cas des lobbies représentant les intérêts des grandes entreprises et de la finance qui inspirent trop souvent des politiques incompatibles avec un développement durable et solidaire.
L’Europe mérite mieux. Les anathèmes et le European bashing reposent souvent sur le méconnaissance et le manque d’informations. Car tout n’est pas sombre dans le ciel du « vieux continent ». Nombre d’initiatives essentielles sont tout simplement ignorées ou mal diffusées. Rares sont les médias qui relaient les initiatives témoignant de la vitalité des échanges entre européens, ses progrès, ses innovations, le dialogue avec ses citoyens. Il est pourtant décisif pour l’Europe que les médias soient au rendez-vous afin d’évoquer, certes, les trains qui déraillent, mais rappeler aussi les promesses et les espoirs contenus dans les réformes et les actions menées par l’Europe. Sans oublier le grand absent : les initiatives citoyennes développées par les associations d’Européens. Citoyenneté, culture, numérique, éducation…autant d’outils pour relancer l’Europe du citoyen.
Lors du Forum mondial de la démocratie qui s’est tenu récemment, à Strasbourg, du 23 au 29 novembre 2013, le Conseil de l’Europe a invité les gouvernements et la société civile à tirer pleinement parti de la créativité en ligne en tant qu’outil de démocratie participative, pour enrayer la forte baisse de la participation politique.
Pour Amanda Clarke, de l’Université d’Oxford, qui a réalisé, pour le Conseil de l’Europe, une enquête sur le sujet (« Exploiter le web comme outil de démocratie : nouvelles pistes pour l’étude et la pratique de la démocratie numérique »), les réseaux sociaux, les blogs et les médias en ligne offrent aux citoyens des possibilités sans précédent d’accès direct à la vie publique. Les utiliser, s’en servir est un moyen d’affirmer sa citoyenneté et d’éviter de laisser ce champ aux intérêts privatifs. L’étude relève, au passage, un recul de la participation aux élections dans 40 des 49 démocraties du monde entre 2007 et 2013, ainsi qu’une baisse des adhésions aux partis, de la syndicalisation et d’autres formes d’expression démocratique. « L’intérêt que peut présenter Internet pour promouvoir la démocratie suscite d’énormes attentes, indique Amanda Clarke. Les gouvernements et les parlements devraient accorder davantage d’attention aux initiatives sur Internet et ne pas se contenter de reproduire en ligne les anciens outils comme les consultations et les assemblées publiques. La société civile est invitée à tirer pleinement parti des possibilités d’engagement à fort potentiel comme l’externalisation ouverte, le financement participatif et les campagnes virales sur les réseaux sociaux ».
Dans le domaine de la culture, l’UE a mis en place un programme important baptisé «Europe créative» destiné à soutenir la culture européenne, le cinéma, la télévision, la musique, la littérature, les arts du spectacle, le patrimoine et des domaines connexes. Il bénéficie d’un soutien exceptionnel de 1,46 milliard € pour les sept prochaines années – 9 % de plus qu’actuellement. « Ce programme dynamisera les secteurs de la culture et de la création. Il permettra à nos secteurs culturels dynamiques de créer de nouveaux emplois et de contribuer davantage à l’économie de l’UE, fait observer Androulla Vassiliou, commissaire européenne à l’éducation, à la culture, au multilinguisme et à la jeunesse. Grâce à ce programme, des milliers d’artistes talentueux pourront atteindre de nouveaux publics en Europe et au-delà, tout en favorisant la diversité culturelle et linguistique. Le mécanisme de garantie qu’il comporte, outre le fait qu’il implique un volume de subventions remarquable, dopera l’accès au financement pour des centaines de petites entreprises».
Il subventionnera au moins 250 000 artistes et professionnels de la culture, 2 000 cinémas, 800 films et 4 500 traductions de livres. Il instituera également un nouveau mécanisme de garantie financière à concurrence de 750 millions € qui permettra aux petites entreprises culturelles et créatives d’avoir accès à des prêts bancaires. Les secteurs européens de la culture et de la création, qui représentent jusqu’à 4,5 % du PIB de l’UE, emploient plus de 8 millions de personnes. « Europe créative » les aidera à contribuer encore davantage à tirer le meilleur parti des possibilités nées du passage au numérique. Il leur permettra aussi de surmonter des problèmes tels que la fragmentation du marché et les difficultés d’accès aux financements, et contribuera à améliorer l’élaboration des politiques en facilitant le partage de savoir-faire et d’expérience.
En matière de citoyenneté, l’année 2013 a été riche en débats citoyens organisés par la Commission européenne. Là encore, la richesse des contributions a été peu relayée. Près de 40 « dialogues-citoyens » ont eu lieu dans les différents pays de l’Union européenne. L’avenir de l’Europe, les droits des citoyens et la sortie de la crise économique, c’était le thème du 37ème Dialogue-citoyens (voir en annexe) qui s’est tenu le 14 novembre à Marseille, en présence de Viviane Reding, Vice-présidente de la Commission européenne et Commissaire en charge de la justice, et de Christiane Taubira, Garde des Sceaux, Ministre de la justice du gouvernement français.
« J’entends beaucoup de questions émerger en France à propos de la direction que prend l’Union européenne : comment trouver le juste équilibre entre objectifs économiques et aspirations sociales ? Quelles réponses l’UE doit-elle apporter en matière de politique migratoire? Quel avenir pour nos jeunes? Les élections européennes de 2014 seront le moment pour les citoyens de faire un choix. Je suis encouragée par le fait que 60% des Français déclarent s’intéresser aux élections européennes ». a déclaré Viviane Reding à l’occasion de cet évènement.
Ce ne sont pas les initiatives qui manquent sur le plan de l’éducation. L’exemple le plus parlant est Erasmus+, le nouveau programme de l’UE pour l’éducation, la formation, la jeunesse et le sport, qui devrait débuter en janvier 2014. Destiné à améliorer les compétences et l’employabilité, ainsi qu’à soutenir la modernisation des systèmes d’éducation, de formation et de jeunesse, ce programme, étalé sur sept ans, sera doté d’un budget de 14,7 milliards d’euros, ce qui représente une augmentation de 40 % par rapport aux programmes actuels. Plus de quatre millions de personnes bénéficieront d’une aide pour aller étudier, suivre une formation, travailler ou faire du bénévolat à l’étranger, dont deux millions d’étudiants de l’enseignement supérieur. Cette mobilité des étudiants et des apprentis favorise également la mobilité des travailleurs entre les États membres. Les personnes qui ont déjà étudié ou suivi une formation à l’étranger sont plus enclins à y travailler plus tard.
Une chose est sûre, pour certains citoyens d’autres pays du monde, l’Union européenne reste un modèle, comme le montre, par exemple, ce qui se passe en Ukraine dont les habitants, dans leur majorité, souhaitent rejoindre l’Europe. L’intégration européenne, dont l’image était naguère positive dans l’esprit des peuples, doit renouer avec cet esprit de construction. Mais pas pour se transformer en forteresse. Au contraire, elle doit renouer avec sa mission première : être un éclaireur de la démocratie.
Mettons au crédit de l’Union européenne ses succès. Au delà de la prise en commun de mesures facilitant la vie de tous les jours du citoyen européen – tels le programme Erasmus pour les étudiants, la monnaie commune, l’Union budgétaire renforcée, l’intégration solidaire, les fonds structurels et le mécanisme européen de stabilité qui permet de financer cette solidarité, le contrôle aux frontières abolis – , il y a en premier lieu le rôle de garant de la paix que joue l’UE avec l’élimination en son sein des risques internes de conflits qui ont ensanglanté l’Europe pendant des siècles.
Last but not least, son rôle essentiel de défenseur du développement de la démocratie et des droits fondamentaux, en particulier dans les pays membres les plus récents sortis de dictatures. Soulignons aussi son action de leader en matière de coopération et de soutien envers les pays les moins avancés. Mais également la création d’une cour de justice et d’un Parlement participant à l’organisation des pouvoirs démocratiques et communautaires. Cette Europe politique, de justice, de paix et de fraternité, gagnerait à se doter d’une vraie légitimité politique avec l’élection d’un Président de la Commission européenne au suffrage universel.
Plutôt que de s’éterniser à évoquer l’“euroscepticisme”, dont les racines ne sont, en réalité, pas étonnantes dans une communauté d’Etats nations, ne serait-il pas plus profitable d’explorer davantage le bénéfice du fédéralisme qui a joué un rôle de tout premier plan dans le processus d’intégration européen? Intégrer les différents Etats de l’Union dans cette vision d’une identité commune est forcément complexe, mais n’est ce pas un magnifique projet ?