« Toi qui regardes autour de toi et vois les signes, tu sauras me dire vers lequel de ces avenirs nous poussent les vents propices. »

On a beau chercher, il est difficile de trouver, en Europe, cet horizon que cherche l’écrivain italien, Italo Calvino (dans « Les cités invisibles »). Sarkozy a beau dire qu’il a réuni l’Europe lors de sa Présidence de l’UE, on ne voit nulle part la cohésion qu’il prétend avoir donnée. Pas plus lui qu’un autre, d’ailleurs.
A force de mettre des habits de managers, soucieux des petits calculs nationaux, les hommes politiques oublient de se comporter en hommes d’état et peinent à définir une vision commune. Pareil pour les édiles bruxelloises. Alors qu’ils devraient donner de l’ambition à l’Europe, ils se conduisent en administrateurs de biens. Pusillanime et engluée dans un ultralibéralisme obsolète, la Commission européenne est incapable de fédérer les plans de relance des pays membres. . Son seul programme : la concurrence !

Non, l’Europe ne va pas bien ! Elle ressemble à un Plan quinquennal et ne donne pas envie. Pour les jeunes générations confrontées aux nécessaires mobilités, c’est bien le problème.

Où est le projet porteur d’Europe ?

L’Amérique a son plan de « green economy ». Nous avons nos chamailleries égocentristes. Et dans tout ça, les citoyens sont absents. Il n’existe malheureusement pas d’opinion publique européenne. On peut craindre le pire. Les sondages montrent qu’aux prochaines élections, le taux d’abstention risque de monter à plus de 60%, comme le prédit l’Eurobaromètre.

« Nous voulons du nouveau ! Il manque une «méga-idée» pour sauver un pays ( l’Autriche d’avant la guerre) menacé par ses nationalismes et par l’ennui, » dit Ulrich dans « l’Homme sans qualités », le magnifique roman de Robert Musil (Folio). A l’évidence, les responsables politiques, les médias, le monde éducatif ne font pas ce qu’il faut pour donner le goût d’Europe et montrer l’importance des enjeux.

On le sait, 1/3 des décisions nous concernant se prennent à Bruxelles. Enfin, sur le plan géopolitique, la situation mondiale exige une Europe consistante. Le Rapport Herbillon avait mis en évidence, lors des dernières élections européennes en 2005, le piège dans lequel l’enjeu européen était tombé. Parler d’Europe était perçu par les populations comme un acte de propagande, avançait-il. Terrible constat !

Aujourd’hui, la désaffection des Européens pour les élections européennes est telle que rares sont ceux qui en comprennent la portée politique. La campagne électorale ne sera pas européenne. Les partis politiques ont fixé une autre thématique : la situation nationale. Pour Place-publique, l’enjeu déterminant est celui de véritables élections transeuropéennes. A quand un vote unique à la place des 27 élections nationales ?

Pour y arriver, il faut peut-être redire des choses simples.

Rappeler par exemple que l’intégration européenne est un projet inédit dans l’histoire politique de notre continent. Mettre en évidence tout ce que l’Europe a apporté aux économies nationales, à la paix, aux pays en émergence et à certaines catégories sociales. Mais surtout susciter l’enthousiasme par les échanges et l’innovation.

Le lancement, en janvier de « l’Année européenne de la créativité et de l’innovation », est une bonne idée. Des centaines d’activités et de projets illustrant de bonnes pratiques innovantes et créatives seront mises en évidence, valorisées et rendues publiques au cours de cette année.

Mais pour le moment, le projet 2009 ne semble pas avoir été d’un grand effet pour donner du corps et du cœur à l’Europe. Du moins en France ou le slogan « Imaginer-Créer-Innover » ne semble pas rallier les suffrages.

Pourtant c’est bien de cela qu’il s’agit : donner envie d’Europe. Ce projet repose pour l’essentiel sur la nécessité de cultiver l’idéal européen, de mobiliser le potentiel créatif, de fabriquer des idées nouvelles avec notre mémoire. Le programme Erasmus est sans doute la meilleure initiative pour témoigner de cet idéal. Mais il faudrait aujourd’hui un Erasmus pour tous.

Internet est un dispositif de communication qui rend possible un espace publique mais ce n’est pas un espace publique. Pour qu’advienne une telle mise en commun, c’est à dire pour qu’il y ait débat, il faut, outre une langue commune, des références et des valeurs partagées. Et c’est sans doute ce qu’il y a de plus excitant dans la construction européenne: qu’elle nous invite à créer un modèle d’espace où peuvent s’écrire de nouvelles « correspondances »

Alors pourrait émerger une sorte de « sociétale démocratie » qui réinventerait la citoyenneté, l’initiative, la solidarité et la régulation économique. L’Europe a besoin d’un coup de jeune. C’est ce que nous avons voulu montrer à travers ce Magazine de Place Publique dédié à l’avenir européen.

Au sujet de Yan de Kerorguen

Ethnologue de formation et ancien rédacteur en chef de La Tribune, Yan de Kerorguen est actuellement rédacteur en chef du site Place-Publique.fr et chroniqueur économique au magazine The Good Life. Il est auteur d’une quinzaine d’ouvrages de prospective citoyenne et co-fondateur de Initiatives Citoyens en Europe (ICE).

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