L’économie sociale a le vent en poupe. Depuis plus de quinze ans Place Publique s’est fait l’écho des promesses offertes par ce modèle d’avenir qui répond à de nombreuses questions sociales et économique posées par les dérives du capitalisme financier.

Bien qu’il reste discret, l’ancrage de l’économie sociale dans la mémoire populaire est tel que cette dernière reste une économie de référence, non seulement en France mais dans le monde entier. Et elle ne cesse de progresser ! Tant par le nombre de sociétaires que par ses succès économiques ! Aujourd’hui, plus d’un tiers des habitants de l’Europe sont adhérents à une organisation d’économie sociale. Le rôle de l’économie sociale, en ce qu’elle reconnaît le « social » comme une dimension majeure de l’économie est ainsi plus que jamais sollicité. Sur 370 millions d’Européens, les 2/3 sont membres d’une coopérative, d’une association ou d’une mutuelle, lesquelles représentent 7% des entreprises et de l’emploi.

L’économie sociale ne connait pas la crise

Fondées sur l’éthique, la confiance et quelques grands principes d’égalité, les entreprises et associations de l’économie sociale sont en grande partie épargnées par les soubresauts de la crise financière. Elles sont les rares entités à créer de l’emploi et représentent l’une des chances du « redressement productif ». La solidarité, le fonctionnement démocratique de l’organisation, la liberté d’adhésion, la constitution d’un capital indivisible et commun, la juste répartition des excédents, la propriété collective librement choisie de l’outil de travail, le principe de fédéralisme, constituent autant d’atouts pour le développement équitable des richesses. C’est un Prix Nobel de science économique, Amartya Sen, qui le dit : « l’honnêteté, la confiance, l’estime réciproque, le sens du devoir jouent un rôle essentiel dans le fonctionnement de l’économie. Tout système économique a besoin d’un ingrédient de civisme pour fonctionner ».

Cet ingrédient de civisme est là, bien réel, bien vivant, c’est l’économie social et son point d’horizon se trouve dans le modèle du développement durable. Le principe d’efficacité de ce mécanisme ne se juge pas au profit, il se juge dans une démarche économiquement rentable, socialement responsable, environnementalement viable. Il repose sur la capacité à gérer les équilibres. Seules les organisations innovantes et capables d’évolution ont la capacité de durer quand la concurrence sur les marchés imposent des règles féroces. Une des caractéristiques de l’économie sociale est justement de s’adapter aux idées et aux désirs des hommes. En cela elle joue un rôle de défricheur. Qu’il s’agisse des animations de quartiers, de l’intégration de la personne handicapée, du développement des actions en faveur des consommateurs, de la diffusion des savoirs, des services de proximité ou des activités périscolaires, les associations, mutuelles et coopératives en sont les principales actrices et les plus expérimentées.

D’autres initiatives locales méritent aussi toute l’attention dans le domaine de la banque et du microcrédit, de l’assurance et de la création d’entreprise. Exemple: les réseaux de communes pour l’économie solidaire. Leur vocation est de développer l’initiative économique des citoyens autour de la mobilisation de clubs de créateurs d’entreprises appuyés par un dispositif d’épargne de proximité, soutenus par la mobilisation d’une expertise économique bénévole et par des outils comme les SEL (systèmes d’échanges locaux) ou les réseaux réciproques d’échange des savoirs.

Le renouveau des valeurs de la solidarité avec les exclus de la croissance et les peuples du tiers monde donne une actualité économique plus grande aux principes qui fondent les associations, les mutuelles et les coopératives. Alors pourquoi donc, devant tant de qualités et de bienfaits, l’économie sociale est-elle rarement invoquée comme solution structurante, voire comme modèle, pour répondre aux défis solidaires de l’avenir ?

L’économie sociale peine à se mettre en valeur

Curieusement, alors même que les exigences de participation aux responsabilités, imprègnent de plus en plus les aspirations et les pratiques citoyennes, la réalité de ce dynamisme reste méconnu aux yeux des citoyens, tant dans sa réalité globale (le “tiers secteur”) que dans ses multiples formes juridiques d’expression (associations, coopératives, mutuelles, fondations). Un simple constat montre que les coopératives et les associations ne mesurent pas l’impact des innovations qu’elles ont initiées. Certains diront que c’est l’honneur de l’économie sociale que d’être humble et de faire preuve de pudeur. C’est dommage ! . Elles ne mettent pas en valeur leurs atouts. Leur story telling est quasiment inexistant. Et leurs initiatives ne sont souvent mises en valeur qu’avec retard. Le secteur marchand se servant abondamment dans le laboratoire des idées qu’elles contribuent à développer bénévolement pour en tirer profit.

Force est de constater que l’économie sociale manque de visibilité médiatique. Elle ne met pas assez en avant ses réussites. De nombreux créateurs d’entreprises passent à côté des formules de l’économie sociale, faute de les connaître. Elle pâtit, il est vrai, d’une image vieillotte, dont elle est en grande partie responsable : attachement à des valeurs et des modèles “historiques” plus toujours “en phase” avec les évolutions économiques, sociales et sociétales, difficulté à se remettre en cause, incapacité de faire son propre lobbying, et une « communication » très atomisée et brouillonne qui n’a pas trouvé son message. « Le jour où nous pourrons parler de pouvoir et d’argent sans avoir le sentiment de dire des choses sales, nous aurons fait progresser notre capacité à travailler dans l’économie sociale », expliquait, lors d’une rencontre, Jean-Louis Bancel, Pdt du Crédit Coopératif. « La tradition de nos organisations de vivre caché pour vivre heureux doit aujourd’hui être dépassée » admettait récemment René Teulade, ancien ministre et membre du CES. A l’heure ou l’éthique, la citoyenneté, le développement durable pénètre dans l’entreprise, se pose ainsi la question de la constitution d’un véritable secteur de l’économie sociale et solidaire.

Malgré leur poids et le succès rencontré dans plusieurs domaines d’activités (santé, médias, assurances, banques…), les structures de l’économie sociale restent réticentes à affirmer un discours fort sur la transformation de la société et les valeurs qu’elles véhiculent. C’est là l’importance de l’enjeu actuel, au moment même où nous vivons l’une des transitions les plus compliquées de notre histoire moderne.

L’économie sociale doit se mettre en scène

En apparence, le modèle coopératif français ne paraît pas très dynamique faute, sans doute, d’une prise de parole publique qui lui fasse quitter une position quasi confidentielle dans le monde du travail et des entreprises. Malgré ses qualités et sa force, l’économie sociale reste perçue comme une béquille du capitalisme. L’écueil pointé par Thierry Jeantet, D.G. d’Euresa, un des animateurs de l’économie sociale en France*, est de faire de la figuration. « Le capitalisme utilise de manière récurrente l’économie sociale pour panser ses plaies, trouver des solutions aux problèmes les plus urgents, résoudre les lacunes dans les prestations de services publics ». L’économie sociale est ainsi appelé à corriger les défaillances du marché et à répondre aux besoins sociaux non pris en charge. Ce n’est pas sa fonction que d’être une roue de secours, pour éviter l’accident grave ou équilibrer les problèmes de cohésion sociale.

L’économie sociale vaut mieux que ce rôle de figurant. Elle doit, elle peut « oser ». Oser « parler de pouvoir et d’argent sans avoir le sentiment de dire des choses sales». « Il y a un risque que l’économie sociale soit enfermée dans la gestion des pauvres, explique Nadine Richez-Battesti. En effet, une méconnaissance de la réalité de l’ES fait peser un risque de la voir enfermée dans la gestion de ceux qui n’ont pas accès au marché. Le risque est aussi que sur ce segment, elle soit mise en concurrence avec des opérateurs qui sont là pour rechercher des profits et élargir leurs parts de marché, plus que de contribuer à l’émancipation des personnes. Il est donc essentiel que l’économie sociale soit reconnue dans la réalité économique et sociale – loin d’être marginale – qu’elle recouvre. Sa définition statutaire n’est pas suffisante ».

Autre difficulté : l’économie sociale est perçue comme un assemblage juridique dont la représentation institutionnelle est brouillée par l’importance d’un cousinage qui ne partage pas entièrement les mêmes desseins. Pour remédier à ce manque de représentation, elle doit revoir ses statuts, les moderniser. Ce qui lui manque, c’est la volonté prospective de construire son avenir, et aussi de faire connaître et reconnaître l’alternative qu’elle représente dans les organes de diffusion. Puisque sur le terrain, les entreprises et associations de l’économie sociale progressent, il est temps de garder la balle et de marquer l’essai.

Un ministère de l’économie sociale : une occasion de se rendre visible

La construction européenne est l’occasion de définir une vision plus offensive de l’économie sociale. Le nouveau gouvernement que nous connaissons aussi. L’occasion est créée avec la dynamique au pouvoir. Place publique salue la création d’un ministère de l’économie sociale sous la houlette de Benoit Hamon, avec l’espoir que ce ministère sera l’occasion d’une nouvelle dynamique. Il y a du pain sur la planche. Cet espoir ne doit pas être gâché.

Mais, par où commencer? Quelles mesures mettre en place en priorité? « Pour nous, l’essentiel est que la loi de programmation de l’économie sociale et solidaire promise soit mise en place avant la fin de l’année, explique Emmanuel Verny, délégué général du CEGES (une organisation représentative du secteur). C’est important, car elle va définir les leviers d’actions pour le secteur. Par exemple, pour favoriser la reprise d’entreprises en coopératives, il faut des mesures techniques qui doivent figurer dans cette loi.”
La création de la Banque publique d’investissement et du fonds d’un milliard d’euros qui sera consacré aux entreprises sociales est de nature à faciliter le financement. De même serait-il urgent de rendre prioritaire la clause sociale dans les marchés publics. Mais il n’y a pas que le financement, il y a aussi l’éducation. La formation des jeunes dans les universités ou les écoles de commerces pour enseigner les différentes manières d’entreprendre doit inclure l’économie sociale à part entière.

L’économie sociale est appelée à devenir une véritable alternative dans une économie de marché désormais régulée, fondement d’une nouvelle économie durable. Pour ce faire, un impératif s’impose : lui donner une réelle présence, parler de son actualité, coordonner ses initiatives, déférer ses énergies. Il lui faut une plate-forme, un espace ou penser son futur.

En tant qu’association et acteur à part entière de l’économie sociale, Place publique entend participer à cet enjeu et amplifier son rôle de diffuseur des initiatives.

L’économie sociale doit gagner en lisibilité et mettre en avant ses réussites, raconter ses histoires, mettre en avant ses leaders. Il faut qu’elle parle plus fort sur le place publique et qu’elle se débarrasse de sa timidité. Enfin, c’est aussi un défi de reconnaissance politique.

En tant qu’Observatoire de l’économie sociale, Place Publique répond présent à tous ceux, associatifs, coopératifs qui souhaitent créer une force de proposition pour explorer les méthodes permettant de valoriser ce secteur d’avenir.

*Livre à paraître « Sociétale démocratie: un nouvel horizon » , Aux Editions Lignes de Repère/Place Publique.

Au sujet de Yan de Kerorguen

Ethnologue de formation et ancien rédacteur en chef de La Tribune, Yan de Kerorguen est actuellement rédacteur en chef du site Place-Publique.fr et chroniqueur économique au magazine The Good Life. Il est auteur d’une quinzaine d’ouvrages de prospective citoyenne et co-fondateur de Initiatives Citoyens en Europe (ICE).

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