10. En marge du G20. Le péché de gourmandise
Certes l’obscénité des rémunérations des hauts dirigeants soulève l’indignation. Certes, l’énormité des rapports (de 1 à 500-1000) qui existent entre le SMIC et le salaire des patrons gloutons a de quoi provoquer la colère…. Certes dénoncer ces injustices et fixer, par décret, les limites à ne pas franchir, est un pas en avant pour moraliser le phénomène….
Mais cette seule dénonciation ne saurait tenir lieu de politique. Il y aurait même un peu d’indignité de la part de dirigeants politiques qui font la promotion des « gagneurs » et qui ont, lorsqu’ils s’occupaient du droit des affaires, accompagné leurs clients dans les paradis fiscaux, à stigmatiser la cupidité de quelques dirigeants en en faisant les boucs émissaires de nos malheurs.
Hypocrisie ! Car ces amateurs de parachutes et de ponts d’or étaient hier encore des héros de l’économie. Et personne, dans les gouvernements, ne trouvait anormal de tels écarts de poids dans les revenus. Il ne suffira donc pas de « sanctionner quelques personnes », par des mots, et de « fixer de nouvelles règles », par des intentions. La vindicte ne résoudra pas la crise.
C’est le système lui-même qu’il faut revoir, par des mesures concrètes. Réformer au vrai sens du terme, par des réformes de structure. Non pas par des recettes de cuisine fiscale, pour faire oublier le mauvais goût.
Le président du Fonds monétaire international, Dominique Strauss-Kahn, observe qu’en l’absence de réforme, « s’imposera l’idée du puits sans fond, de l’Etat qui vole au secours des managers incompétents et des spéculateurs cupides ». « Chaque pays votera ses propres lois » mais « les règles générales devront être universelles, parce que le système financier est globalisé », remarque-t-il, se prononçant en faveur d’un « garant global », d’une « institution qui vérifie que les normes -transparence, équité-sont appliquées partout ». Le problème est la confiance. Plus personne n’a confiance en personne.
Cette crise est celle de l’obésité d’un système, d’un monde victime de l’hypertrophie de sa masse financière. Ce monde financier a eu pour obsession pendant des années de voir les entreprises grossir, fusionner, maximiser la valeur pour l’actionnaire avec pour résultat un excès de poids, et pour finir le plus grave accident cardio-vasculaire économique jamais connu.
Cette course au profit s’est faite au détriment des salaires que les gouvernements et les entreprises n’ont pas su augmenter pour équilibrer le partage de la valeur ajoutée. D’où le surendettement des ménages, d’où les subprimes !
John Maynard Keynes disait déjà, voilà près de 80 ans, que les sociétés d’abondance souffraient de « dépression nerveuse ». Cette affirmation est plus actuelle que jamais. Dans « Reconsidérer la richesse » (Documentation Française), l’économiste Patrick Viveret explique que les sociétés ultralibérales sont surdéveloppées matériellement. Elles sont engagées dans une course folle pour la satisfaction de désirs toujours plus exigeants, désir d’argent, de vitesse, de puissance, de compétition, de consommation de services et de produits inutiles.
Le film Super Size, qui met en scène un Américain ne mangeant que des McDonalds, pendant un mois, à s’en rendre malade, a mis en évidence, de façon humoristique, cet excès calorique transformant un pourcentage de plus en plus gros de la population en mammifères insatiables, gênés par des problèmes de mobilité. La pire indécence du XXIè siècle, c’est l’Occident obèse face au tiers-monde rachitique, écrit l’écrivain malien, Fatou Diome, dans « Le ventre de l’Atlantique ». Mais l’ironie cruelle est que les plus pauvres, dans les pays opulents, à force de McDonalds, sont devenus obèses.
La diète n’est pas le seul remède à l’obésité du monde. «Plus que la pauvreté, le fil conducteur du film Slumdog Millionaire, c’est tout à la fois l’énergie, l’esprit d’entreprise et l’imagination dont font preuve les enfants des bidonvilles.» En une phrase, Barkha Dutt, journaliste vedette de la chaîne de télévision NDTV, a tout dit. Enfin presque sur l’importance du facteur «énergie».
Outre l’énergie humaine qui est la première des énergies, le moteur du changement de système se trouve dans la multiplicité des ressources énergétiques. L’énergie (du grec ; energeia, force en action) est la capacité d’un système à produire un travail entraînant un mouvement, de la lumière ou de la chaleur. Changer de système pourrait revenir à transposer sur le plan humain ces champs de force.
On le sait : à force de gloutonnerie énergétique, les jours des combustibles fossiles – pétrole, gaz, charbon – sont comptés. En 2050, il n’y en aura plus assez pour tout le monde. Les prévisions sont impitoyables : il faudrait trois fois les ressources énergétiques de la Terre pour que tous les citoyens de la planète accèdent au même niveau de vie que les pays développés. Le réalisme nous oblige à considérer la crise de l’énergie comme une chance. C‘est l’occasion de penser la ressource au pluriel et de miser sur l’innovation dans le « green power ».
Changer de système revient à substituer au « greed » qui veut dire en anglais « l’avidité », « la cupidité » mais aussi la « gourmandise »), le « green », c’est à dire l’environnement. Il y a quelques années David Gottfried (Greed to green : the transformation of an industry and a life. Worldbuild Publishing. 2004) proposait une telle mutation dans le domaine de la construction.
Green contre greed (l’industrie verte contre l’avidité financière) : c’est ce qu’a bien compris Barack Obama. Le plan de relance du Président des Etats-Unis se situe dans cette perspective du « green » power. Green au sens large puisqu’il inclut aussi la santé, le bien être et l’éducation des nouvelles générations. Le chantier est massif et prometteur comme le montrent les innovations énergétiques dans l’eau, dans l’air, sous terre, dans le corps, sous des formes diverses : mécanique, thermique, cinétique, en passant par l’hydrogène, le soleil du désert, les vagues, les marées, les vents, les microalgues. La question aujourd’hui est la suivante. Comment grâce à l’énergie de la foule, mettre en marche les ressorts d’une société future qui saurait utiliser tous les possibles et remettre l’économie réelle avant la finance ?
La bataille n’est pas gagnée. Car cette transformation radicale va contrarier beaucoup de monde. Le sommet du G20 à Londres est un véritable moment de vérité sur le caractère concret des mesures à mettre en place. Les membres du G20 ont annoncé 5.000 milliards de dollars injectés dans l’économie, 1.000 milliards pour le FMI et la Banque mondiale, 250 milliards de dollars pour le commerce, la publication par l’OCDE d’une liste des paradis fiscaux.
« Le temps du secret bancaire est révolu », a proclamé le communiqué final avec triomphalisme. Vigilance ! On peut craindre que les incantations de la France sur le nettoyage à entreprendre ne restent que théoriques, tant notre pays est incapable de balayer devant sa porte, à Monaco ou ailleurs. Une preuve de la réalité de cette volonté de nettoyage serait de demander « l’échange automatique d’informations ». Il n’en sera probablement rien. Plus réelle et concrète, plus attendue par les citoyens est l’option « relance choc» défendue par Barack Obama et Gordon Brown. Elle est plus sûre, car elle s’attaque au plus urgent : enrayer la crise.
On sera tout de même attentif à la façon dont peut se déployer la lutte « antigreed ». Attentifs et exigeants. Les banques continueront-elles à traiter avec ces refuges fiscaux de l’obésité financière? Une autre question est rarement posée : que deviendront les hedge funds, ces fonds d’investissement spéculatifs qui forment le « trou noir de la finance mondiale » et qui n’ont pas l’intention de baisser les bras? Et les « parachutes dorés» ? Le sujet est évacué. Enfin verrons-nous un jour l’écart des rémunérations entre salariés d’une même entreprise se réduire de 1 à 20 ainsi que le proposait dans les années 90, le banquier John Pierpoint Morgan?
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