Muriel Jaouën

Comment réduire le décalage entre le poids du tissu associatif dans la société et son influence sur les politiques publiques. Yannick Blanc, président de la Fonda, préfet du Vaucluse, livre des pistes.

La Fonda a engagé dans le cadre de la démarche “Faire ensemble 2020” des réflexions prospectives sur le monde associatif. De quoi s’agit-il ?

Il ne s’agit pas de faire de la prospective académique, en se demandant comment les mutations du monde vont impacter nos sociétés et comment il convient de s’adapter, mais de voir quelle peut-être la contribution du monde associatif aux grandes questions qui structurent les évolutions de la société. Nous avons donc opté pour une logique proactive, dans laquelle nous emmenons les associations pour construire avec elle un travail stratégique.

C’est la posture et la démarche d’un think tank ?

La plupart des think tanks produisent de la pensée, généralement sous forme de notes publiques. A la Fonda, nous avons choisi de faire travailler ceux à qui nous nous adressons. C’est donc véritablement une posture de coproduction d’outils méthodologiques et d’éclairage dont chacun peut ensuite s’emparer.

Vous travaillez avec des prospectivistes ?

Nous avions dans un premier temps mené une enquête auprès de 1 500 dirigeants et représentants d’associations pour connaître leur vécu et leur perception du monde associatif. Cette matière nous avait permis d’élaborer des scénarios prospectifs livrés à la réflexion des participants à l’université d’été de la Fonda en 2011. Aujourd’hui, nous changeons d’axe méthodologique, en partant des travaux d’une dizaine de prospectivistes avec lesquels nous avons débattu au cours de quatre séminaires courant 2013. A partir de ces travaux, nous avons formalisé 60 tendances à l’oeuvre dans la société française parmi lesquelles nous avons sélectionné quelques tendances clés pour le monde associatif, à leur tour soumises au débat dans le cadre de notre université d’automne de 2013.

Comment réduire le fossé entre le poids avéré du monde associatif et sa relativement faible influence ?

Beaucoup plus que les pouvoirs publics, que les politiques, les associations sont de formidables capteurs des réalités de la société. Elles disposent de capacités de réflexion et d’analyses qu’elles n’utilisent que très insuffisamment. Le projet de la Fonda, c’est justement de les accompagner dans cette capacité réflexive et critique, en leur fournissant une grammaire stratégique.

Il faut les aider à construire et affirmer une vision pour pouvoir aborder la question des alliances – entre elles et avec d’autres catégories d’acteurs -, qui est aujourd’hui absolument centrale pour leur survie et leur développement. L’influence des associations sera d’autant plus marquante qu’elles auront su construire efficacement et durablement des stratégies d’alliances avec des partenaires publics et privés, et notamment avec le monde des entreprises. Les associations sont prises dans une tension un peu schizophrène, entre d’un côté leur vie statutaire intrinsèque (assemblée générale, conseil d’administration, bureau) et de l’autre des lieux de décisions de plus en plus extérieurs aux instances statutaires. Car il ne faut pas se voiler la face : les vraies décisions se prennent au sein de comités partenaires, avec des parties prenantes extérieures.
Tout dirigeant associatif doit se poser la même question : compte tenu des objectifs que je me suis fixé et des valeurs que j’entends défendre, quelles alliances dois-je passer pour accroître ma capacité d’agir ?

La stratégie contre la logique gestionnaire ?

Il y a des associations, y compris de très connues, de très visibles, qui se font bouffer par la fonction gestionnaire et voient leur réalité associative devenir très évanescente. Cette tentation gestionnaire est une menace permanente, contre laquelle les structures doivent développer des anticorps. Mais pour ce faire, elles doivent être capables de se projeter dans l’avenir, de comprendre le monde dans lequel elles sont vouées à évoluer. Il ne s’agit pas d’élaborer une stratégie commune à toutes les associations, cela n’aurait aucun sens, ce serait faire fi de l’une des caractéristiques premières du monde associatif : son extrême diversité. Il s’agit bien plutôt de permettre aux associations d’exprimer leur vision stratégique avec un vocabulaire commun. Pour, in fine, montrer que le monde associatif, dans sa grande diversité, est porteur d’une vision de la société.

Le poids du financement public n’est-il pas un piège ?

Dans les domaines du lien social, de la solidarité, de la lutte contre l’exclusion et la pauvreté, les associations se sentent en position de faiblesse car effectivement très dépendantes du financement public. En même temps, en termes d’innovation sociale, de capacité de compréhension des systèmes et des phénomènes, de capacité d’empathie avec les gens, elles ont des ressources considérables et surtout indispensables. Or, elles ne font pas suffisamment peser ce rôle décisif dans l’élaboration de leurs alliances et la négociation de leurs moyens.

Entre financement public et déploiement de nouvelles alliances, la question du modèle économique est centrale.

La question du modèle économique a été au centre d’une réflexion menée durant toute l’année 2013 au sein d’un collectif de dix structures du monde associatif (dont La Fonda, le Labo de l’ESS, l’Avise, la CPCA, Le Rameau…). Quatre modèles élémentaires ont été identifiés. Là encore, il ne s’agit pas d’enjoindre les associations à rentrer dans des cases, mais de les aider à se situer, à repérer leurs points forts et leurs points faibles pour adopter les modèles les plus adéquats.

En se plaçant dans une perspective durable de réduction des financements publics…

La question qui se pose est donc celle de la diversification des sources de financement. Mais attention, le financement public reste un facteur clé. Et il ne faut pas exclure que, dès lors que le travail stratégique sur les alliances aura été correctement fait et que la valeur ajoutée aux politiques publiques pourra être démontrée, certaines associations ou certains regroupements d’associations obtiennent un redémarrage des financements publics.

La reconnaissance d’une réalité associative porteuse d’une vision de la société ne passe-t-elle pas par la reconnaissance de nouveaux critères de création de valeur ?

Les outils de mesure de la contribution globale au bien commun vont devenir de plus en plus pertinents autant que nécessaires. Un exemple, avec une structure d’insertion, les Vergers de la Méditerranée à Avignon qui a créé une activité de récupération de fruits et légumes auprès des enseignes de la grande distribution. L’objet de cette activité est à la fois simple, ingénieux et socialement bénéfique. Comment ça fonctionne ? Lorsqu’une grande surface reçoit une palette de pêches qui compte une poignée de fruits moisis, elle renvie la totalité de la livraison. Pour le distributeur, pour le transporteur, pour le fournisseur, démonter la palette cagette par cagette, trier les fruits et reconstruire une palette est en effet économiquement insoutenable. Mais jeter des kilos de fruits quand plein de gens n’ont pas les moyens de s’en acheter, c’est tout bonnement inacceptable. C’est ici qu’intervient cette structure d’insertion : elle va récupérer la palette, reconditionner les produits pour les distribuer aux banques alimentaires, Resto du Cœur, etc.
Revenons sur le modèle économique de cette structure. Il doit être bien sûr être mesuré sur la base du coût comptable net de fonctionnement (salariés, entrepôt, trieuses, véhicules de transport…). Il relève également, côté entreprise d’insertion, du financement public (repérage, rémunération et accompagnement des personnes en insertion). Mais l’équilibre économique de la structure ne se résume pas à la seule équation comptable “compte de résultat + coût pour les finances publiques”. Il intègre une dimension supplémentaire : la contribution globale au bien commun, au travers d’un bénéfice social, l’insertion et d’un bénéfice éthique, la lutte contre le gaspillage aliemntaire.

Une activité totalement insérée dans le circuit économique et créatrice de la richesse sociale, c’est l’équation posée par l’économie sociale et solidaire…

On va s’apercevoir que les acteurs économiques, quels qu’ils soient, et sous la pression de l’opinion et de contraintes réglementaires, vont de plus en plus en plus devoir recourir à l’économie sociale et solidaire. Notamment les PME, dans le cadre de leurs stratégies de mutualisation.

Parlons des forces vives des associations. Les études pointent régulièrement une pénurie de cadres dirigeants. Y a-t-il urgence ?

Oui, et c’est un sujet difficile. Je pense qu’il faut fondamentalement que les associations se débarrassent d’une illusion démocratique qui voudrait qu’elles fassent nécessairement émerger leurs dirigeants de leurs forces vives. Le fonctionnement démocratique est bien sûr constitutif du monde associatif. Cela n’est pas en cause. Les dirigeants associatifs, il faut continuer de les élire. Mais il faut aussi les recruter. Ce qui soulève directement la question du recrutement des bénévoles et de la professionnalisation des associations.

Pour autant, il n’y pas globalement de baisse potentielle de l’engagement bénévole.

La valeur du bénévolat reste très forte dans la société, les aspirations, les valeurs de la population. Mais en même temps, les modes de vie changent, les cycles de vie de l’engagement aussi. Il y a vingt ans, entrer dans une association, c’était “prendre sa carte”. Aujourd’hui, les jeunes s’engagent intensément, mais pas forcément très longtemps.

On s’engage jeune, on relâche l’engagement pour élever les enfants et on se réengage à la cinquantaine…

Du coup, les associations doivent résoudre un paradoxe. Elles souffrent d’un vieillissement incontestable de leurs cadres et, en même temps, la vraie ressource de leur encadrement se trouve chez les seniors actifs. Il ne faut donc pas écarter les seniors, ce serait un contresens et une erreur stratégique. Mais il faut maîtriser le gap générationnel et c’est possible. Le monde associatif s’avère particulièrement propice aux approches intergénérationnelles. Faire travailler les jeunes et les vieux dans le cadre de l’engagement bénévole, ça marche toujours extrêmement bien.

Au sujet de Muriel Jaouën

Journaliste de formation (ESJ Lille, 1990), Muriel Jaouën publie régulièrement dans le magazine de Place-Publique. Ses spécialités : économie sociale, développement durable, marketing, communication, organisations, management.

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ECONOMIE

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