Sophie Hancart, chômeuse et webmestre bénévole
Sophie Hancart se qualifie elle-même de « chômatrice » professionnelle. Sans emploi depuis cinq ans, mais très active bénévolement sur un site d’informations consacré au chômage, Sophie livre ses souffrances, ses renoncements mais aussi ses espoirs… Non sans redonner l’envie de se battre à quiconque s’identifiera à son parcours.
Gothique, Sophie Hancart l’a été durant de nombreuses années. Il en reste quelques traces dans son look et sa coiffure… Mais rien à voir avec ce qu’elle fut – cheveux rouges, lentilles violettes, etc. – et n’est plus. Du reste, d’un point de vue général, la Sophie de 2006 ne ressemble plus vraiment à la Sophie d’avant. Avant quoi ? Avant les cinq ans de chômage qu’elle a traversés et traverse encore. « Chômeuse de très longue durée », dit-elle pour se présenter. A 43 ans, ça commence à faire beaucoup. La faute à qui et à quoi ? A son parcours d’abord. Atypique. Et pour cause, Sophie a débuté dans la banque après avoir obtenu son bac. « A l’époque, ça suffisait pour trouver du travail », explique-t-elle.
Elle va y bosser huit ans puis, via un CIF (congé individuel de formation), passer un DUT Tech de Co. « En 1991, c’était le diplôme à la mode, un peu passe-partout. Et puis, ça m’a permis de m’arrêter, d’apprendre et de me réorienter », commente-t-elle. Sophie aime la musique ; c’est donc vers ce secteur qu’elle se tourne et envoie son curriculum vitae à plusieurs maisons de disques. « Mon CV était tout « merdique », tout bête, tout petit… Malgré ça, sur six candidatures envoyées, j’ai reçu deux réponses positives dont une de Warner », se souvient-elle.
Elle va y rester de nombreuses années, d’abord comme télévendeuse, puis assistante à la promotion des ventes, et ensuite responsable de la logistique commerciale. C’est elle qui s’occupe des fournitures promotionnelles pour les représentants. « Ça me plaisait bien mais, la crise du disque ayant commencé à faire rage avec son lot de fusions et restructurations, la pression sur les salariés était énorme. Du coup, en 2000, j’ai fait une dépression. » Quatre mois et demi d’arrêt de travail. « Le discours ambiant, en réaction, a été : “T’as pas le droit de craquer, t’as déjà beaucoup de chance de travailler dans ce milieu” », confie Sophie, non sans amertume et regret, comme un regard que l’on jette sur un monde en voie de disparition. Et de préciser : « J’ai assisté à la dégénérescence d’un métier artistique devenu un métier industriel et financier ».
Tentative de réorientation
Après son arrêt maladie, Sophie, sous anti-dépresseurs, entre en conflit avec ses collègues, critiquant le fonctionnement de la société, qu’elle juge discriminante envers les femmes, beaucoup moins bien payées que leurs homologues masculins… Les tensions ne faisant que s’accroître, elle accepte une proposition de licenciement. « Si je restais, je devenais dingue », avoue-t-elle.
L’accord prévoit le financement d’une formation. Intéressée par la presse, Sophie s’embarque dans un cycle de maquettiste au CFPJ (Centre de formation et de perfectionnement des journalistes) qui va durer quatre mois et demi et lui apporter assez peu de satisfaction. Mais elle est décidée à chercher dans ce secteur. « Je me disais que je rebondirais facilement, car j’avais déjà changé de métier sans problème… Le souci, c’est qu’à 39 ans, on te donne moins facilement ta chance. Et puis, dans la presse et dans l’édition, les salaires sont catastrophiques. J’ai même refusé deux boulots trop peu payés. »
En septembre 2001, les attentats du World Trade Center ont une incidence forte sur le marché de l’emploi. Beaucoup moins d’offres circulent. Elle replonge dans la dépression. « Le contrecoup de ces années de boulot difficiles, de ma formation décevante, de cette réorientation qui se fait attendre, d’une rupture sentimentale… Je suis restée une année sans sortir de chez moi. Je lisais, j’écrivais. J’étais hébétée, plongée dans ma souffrance, me confrontant à mes désillusions et à mes angoisses », confie Sophie.
De temps à autre, la jeune-femme travaille au noir dans une association qui organise des soirées gothiques et rock. Elle prépare les flyers, tient le bar durant les soirées, etc. Et, peu à peu, relève la tête et se remet en quête d’un emploi. On est en 2003, elle a 41 ans. Sophie touche les Assedic jusqu’en décembre – durant trois ans de chômage, elle n’a jamais été convoquée par l’ANPE – puis, début 2004, passe aux ASS (Allocations de solidarité spécifique). « Sans un don de ma mère, je serais à la rue », dit-elle.
Requinquée, Sophie refait son CV et cherche dans la presse, l’édition, la PAO, la signalétique… Bilan : 1800 CV envoyés, un entretien tous les six mois ! Son explication : « C’est un secteur « stagiophage » où le jeunisme fait rage ; mon âge était donc un handicap. Et puis, en France, les parcours atypiques n’ont pas la cote. Les changements d’orientation ne sont pas bien vus ».
En 2005, Sophie, découragée, arrête à nouveau de chercher. Elle va même jusqu’à se dire : « J’ai une fille de 22 ans, une petite-fille, une vie de femme accomplie, je peux mourir à 50 ans. A ce moment-là, j’ai cessé de me dire que l’on pouvait s’épanouir dans sa vie professionnelle… ».
Des rencontres
Au moment du combat des recalculés pour faire entendre leurs droits, Sophie se solidarise et milite à AC ! (Agir ensemble contre le chômage). Elle y fait des rencontres importantes, des personnes avec qui elle met sur pied un projet de site Internet d’informations « dont l’objet serait de présenter le chômage autrement, de nous montrer en tant que chômeurs, d’expliquer nos situations, mais aussi d’influer sur la mentalité des gens et sur le discours politique », résume-t-elle.
Ainsi sont nés l’association Apnée (Alternatives pour une nouvelle économie de l’emploi), puis le site Internet Actu chômage (voir encadré). Sophie en est respectivement la trésorière et le webmestre. « C’est un travail bénévole à temps plein : je m’occupe de l’écriture et de la sélection des textes, du rewriting, des chroniques, de la surveillance et de l’animation des forums… Ça m’a permis de retrouver une santé mentale : se battre, c’est essentiel. Ne pas avoir honte de s’afficher comme chômeur aussi. C’est ça qui te bouffe. Tu te réappropries une identité quand tu cesses de te sentir coupable », dit-elle.
Aujourd’hui, Sophie n’a plus envie de chercher un emploi salarié. « Mais ça reviendra, confie-t-elle. De toutes façons, à mon âge, je retrouverai par le réseau, les rencontres que je fais via le site… ». Une chose est sûre : elle n’a pas envie de se brader dans un emploi sous-dimensionné ou trop mal payé. Elle en a fait l’expérience en 2004, travaillant un mois et demi dans une revue professionnelle, payée au smic : « J’ai rompu la période d’essai, je préfère être pauvre mais digne ».
Sophie dresse un bilan en demi-teinte de cette période, mais elle y voit aussi des effets positifs. « J’étais joviale, à l’écoute, patiente, tolérante, généreuse. Je suis devenue méfiante, sauvage… Je catalogue les gens rapidement. Je n’ai plus assez d’énergie pour la dépenser auprès de gens qui n’en valent pas la peine ». Et d’ajouter : « J’ai affiné ma conscience politique. Quand on travaille, on porte un regard plus superficiel sur le monde qui vous entoure. Je me suis bonifiée du cerveau. Et puis, quand on est pauvre, on va à l’essentiel ».
Le moins que l’on puisse dire, c’est que le site Actuchômage est riche en informations. Définissant la ligne éditoriale du site comme engagée et pluraliste, Sophie Hancart précise : « Ce qui nous intéresse avant tout, c’est l’analyse et la mise en valeur d’informations objectives qui viennent enrichir une réflexion ». Dans ce domaine, il y a de quoi faire ! Le site propose aussi bien des dossiers pratiques sur les seniors, l’accompagnement des chômeurs, le recrutement, etc. que des forums de discussion, des petites annonces, des coups de gueule, des interviews de personnalités… Site : www.actuchomage.org |