Né il y a plus de cinquante ans, le commerce équitable se structure et cherche ses marques. Entretien avec Sylvaine Poret, économiste, chargée de recherche à l’Inra et chercheuse associée au département d’Economie de l’Ecole Polytechnique.

Les volumes de consommation du commerce équitable seraient trois fois moins élevés en France que chez nos voisins Néerlandais ou Britanniques…

Méfions-nous des chiffres. Rappeler que le commerce équitable représente environ 0,02% du commerce mondial de biens et de services a-t-il du sens au regard du faible nombre de filières de facto concernées ? Il est sans doute plus “parlant” de rapporter les chiffres aux segments effectivement ouverts au modèle. Ainsi, le café équitable, produit phare du marché labellisé, représente 0,34% de la production globale de café en volume.

Certes, mais avec une moyenne de 3,30 euros par habitant et par an, le panier moyen du commerce équitable en France reste cinq fois moins élevé qu’en Suisse…

La encore, comparons ce qui est comparable. Le panier moyen annuel de consommation équitable en Suisse doit beaucoup au poids local de la banane équitable, qui représente 50% du marché de la banane ! Cette situation spécifique à la Suisse s’explique notamment par l’absence de liens historiques entre la Suisse et les pays producteurs de bananes. En fait, si l’on veut évaluer sérieusement le poids du commerce équitable, il faudrait d’abord revoir les standards de mesure.

En quoi les standards en vigueur sont-ils insatisfaisants ?

Côté consommation, les grilles de lectures ne permettent pas de savoir si le marché se concentre plutôt sur un petit noyau de gros consommateurs ou sur un large spectre de consommateurs occasionnels. Or, il serait intéressant de connaître le nombre d’acheteurs de produits équitables par pays et par an et le montant moyen de leurs achats. Même raisonnement côté production : il faudrait pouvoir connaître le nombre de producteurs par pays et la part de leur production vendue dans la filière équitable. On suppose que celle-ci correspond à 20% de leur récolte totale en moyenne.

En quelques années, le commerce équitable a vu son écho s’amplifier auprès de la grande distribution, comme des industriels…

Cet intérêt des acteurs de l’économie conventionnelle est directement lié à l’émergence de la filière labellisée. La grande distribution est également une poche de discorde entre les deux grands courants du commerce équitable : la filière labellisée d’une part, la filière intégrée d’autre part. Si la première a d’évidence permis au commerce équitable de changer d’échelle en termes d’image et de ventes, la seconde lui reproche d’avoir bradé les principes d’une économie alternative au modèle dominant. Certains acteurs du commerce équitable refusent de mettre un pied dans un modèle de grande distribution, qui ne garantit pas d’engagement sur la durée, ne pratique pas les avances sur les commandes, peut à tout moment menacer les réseaux de déréférencement et fait pression sur les producteurs pour obtenir les prix les plus bas. La fédération Artisans du monde est de ceux-là. Elle assure la distribution de ses produits via un réseau de boutiques associatives ralliées à la cause.

Aujourd’hui, quasiment tous les acteurs de la grande distribution ont introduit quelques références équitables dans leurs linéaires… Comment les enseignes procèdent-elles ?

Elles ont plusieurs possibilités. Elles peuvent tout d’abord faire appel à des importateurs de produits labélisés, en établissant avec eux un modèle commercial calqué sur les rapports entretenus avec n’importe quel industriel. Cela a d’emblée été le choix de Monoprix, premier grand distributeur à s’intéresser au secteur. Mais Monoprix a également développé des références équitables sous ses propres marques de distributeur, avec le label Max Havelaar. Cette autre approche oblige l’enseigne à tisser des relations avec des coopératives de producteurs. En contrepartie de quoi, elle bénéficie de l’image d’un label reconnu. Une autre politique consiste pour les enseignes à créer leur propre label équitable. A l’image de Carrefour, qui associée à la marque de chocolat Cémoi, a reçu la certification “Bio équitable” délivrée par le cabinet privé Ecocert.

La multiplication de labels et de certifications d’origines diverses et couvrant des critères divers ne risque-t-elle pas de nuire à la lisibilité de l’offre ?

Le risque existe. De même qu’il y a toujours un risque à voir les mauvais labels chasser les bons. Cela étant, Max Havelaar est aujourd’hui très présent et semble difficilement déboulonnable. Et surtout, l’éclosion de labels et d’acteurs est le signe d’un marché qui se structure.

A propos de Max Havelaar, justement : Les acteurs du secteur conventionnel ne manquent pas de fustiger le prix minimum garanti mis en place par le certificateur, au motif qu’il entraînerait une hausse de la production totale et une baisse des prix.

Les arguments déployés sont très contestables. Quels sont-ils ? Le prix minimum garanti inciterait les producteurs à accroître les surfaces agricoles sans pouvoir écouler une partie suffisante de la production dans la filière équitable. Résultats mécaniques : effet de surproduction, chute des cours mondiaux. Cette argumentation est strictement fondée sur l’offre. Or, nous savons en économie que la production peut créer de la demande, en proposant plus de variétés par exemple. Par ailleurs, le modèle équitable a pour vertu d’encourager les producteurs à s’organiser, à se doter des outils pour négocier leurs prix et, partant, à retourner les cartes. De fait, nombre de recherches prennent le contre-pied des arguments développés par les acteurs du commerce conventionnel, en pointant au contraire l’effet de valorisation de la production équitable sur les cours du marché.

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Au sujet de Muriel Jaouën

Journaliste de formation (ESJ Lille, 1990), Muriel Jaouën publie régulièrement dans le magazine de Place-Publique. Ses spécialités : économie sociale, développement durable, marketing, communication, organisations, management.

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