Politique industrielle : The Winner is…
Le patriotisme industriel en question. Denis Ettighoffer s’inquiète des discours qu’il juge passéistes sur la reindustrialisation de la France
Les discours sur la « ré-industrialisation » de la France ont la côte, pourquoi s’en
priver !? En dépit des réalités de notre époque, j’entends des discours engagés au
nom du patriotisme industriel dans une reconquête du marché digne des années
70/80.
Triste situation où l’on se tourne vers le passé plutôt que de clarifier les
stratégies économiques, les enjeux, du nouveau siècle. Le fétichisme affiché
envers le renouveau industriel de la France est inquiétant. Il n’est pas inquiétant
parce qu’il répond à une aspiration ancienne et louable d’offrir du travail à des
milliers d’ouvriers en voie de déclassement. Il n’est pas inquiétant parce qu’il tend
à rapatrier, à relocaliser des activités de main d’oeuvre parties à l’étranger. Non, il
est inquiétant parce qu’il est dans la bouche de gens qui devraient avoir compris
que l’enjeu est de fournir des biens à haute valeur ajoutée, mais aussi des services
et des savoirs faire en matière d’ingénierie et d’organisation que possèdent et
maitrisent les pays avancés dans des secteurs aussi différents que la santé, la
banque, le droit, les transports ou l’énergie.
Personne ne semble s’étonner que la France avec moins de 4 % d’agriculteurs
reste un des champions du monde de l’exportation agroalimentaire (1). Voir se
réduire le bataillon des ouvriers des industries aux environs de 11% ne devrait
donc pas nous inquiéter outre mesure. Ni nous étonner. La disparition de milliers
d’emplois industriels et le faible taux d’activité de la population française tiennent
autant de notre indigence à nous doter d’une politique industrielle moderne qu’à
la punition que nous imposons à notre industrie avec trop de taxes et d’impôts (2).
La dégradation bien réelle de nos exportations et des revenus correspondants est
une catastrophe, mais en fait elle n’illustre que le déficit de la présence française
à l’étranger. C’est par voie de presse que l’on apprend que le Qatar, pays
immensément riche, est preneur des expertises françaises afin de se doter de
compétences dans le domaine de la santé et de l’assurance mais aussi des
industries et des transports du gaz naturel liquéfié. Message envoyé par le
Ministre de l’Economie et des Finances du Qatar qui entend diversifier ses
partenariats. Encore récemment, un membre du gouvernement indien, qui
souhaitait lui aussi diversifier les partenariats signés par son pays, a proposé une
rencontre exploratoire avec un dirigeant d’un des plus grands groupes du BTP
français pour la construction de routes et d’autoroutes. Il s’est entendu répondre
qu’un rendez vous ne s’imposait pas, l’Inde n’intéressant pas le groupe de BTP en
question.
Dommage, dommages ! Lorsque des ouvriers et des techniciens français
partent monter une usine en Pologne, prendre en charge l’ingénierie d’une
plateforme pétrolière en Afrique ou participer à la construction d’une centrale
nucléaire ou d’un barrage quelque part en Asie, ils incarnent la présence des
compétences françaises dans le monde. Mais cela reste encore le cas lorsque ce
sont des juristes qui aident un gouvernement à construire son administration
judiciaire ou lorsque des ingénieurs en sécurité industrielle mettent en place des normes qualité dans une usine Seveso en Bulgarie. La France fait partie d’une immense chaîne de pays savants. C’est son expertise qu’elle doit projeter sur les nouveaux marchés à l’étranger. C’est cela, une politique industrielle des années 2000.
Nous devons prendre garde à nos vieux réflexes. Ils me font penser à l’époque où la France investissait à tour de bras sur une industrie charbonnière moribonde alors que déjà le secteur des services en plein développement manquait de soutien et de financements.
Dans un monde industriel sans frontières nous devons déjà distinguer entre l’endroit où l’on créer le chiffre d’affaires et celui où l’on constitue la meilleure marge. Une démonstration que j’ai souvent faite avec l’Entreprise Virtuelle. En Mars dernier, le journal Les Echos, revenait sur le sujet dans un papier de Yann Rousseau. Ce dernier rapporte une étude faite en Californie qui décortique le revenu engendré par la fabrication de l’iPod d’Apple composé de 451 pièces achetées à différentes sociétés, en Asie notamment.
L’étude de la chaine de la valeur montre que les disques durs fabriqués en Chine ou aux Philippines pour Toshiba sont facturés 73 dollars à Apple. Une vingtaine de dollars seulement resteront à Toshiba après règlement de ses sous traitants. Des firmes américaines apportent les puces multimédias, elles même produites à Taiwan, les cartes mémoires viennent du coréen Samsung. Finalement, lorsque l’on fait le bilan de la répartition de la chaine virtuelle, de la conception à la mise sur le marché, on s’aperçoit que, sur la valeur de production globale de 163 dollars, la Chine n’a perçu que 4 dollars par Ipod, les entreprises japonaises 26 dollars, contre 80 dollars pour Apple.
Ma question est la suivante : Qui gagne le plus d’argent ?
En admettant que cela soit possible, voulons nous devenir une industrie de main d’oeuvre qui manipule à longueur de journées des chaînes de machines outils, devenir le maillon industriel de l’Europe pour des biens produits et achetés quelques euros !?
Nos vieux réflexes ont la vie dure. Notre problème n’est pas de faire simplement du chiffre d’affaires, mais de dégager des marges, des bénéfices rapatriés en France pour financer notre R&D et les écoles assurant les formations de nos techniciens et la présence des réseaux d’expertises français à l’international. Nous devons prendre conscience que les concurrences économiques, les facteurs clés de compétitivité des nations se sont déplacées sur d’autres terrains (3). «