Les travailleurs pauvres s’installent dans le paysage social
De plus en plus précaire et morcelé, l’emploi ne protège plus contre la pauvreté. Les “travailleurs pauvres” ne sont plus seulement une catégorie émergente et conjoncturelle, ils forment un pan structurant de la donne sociale.
La Commission européenne parle de “risque de pauvreté”. Plus frontalement, économistes et sociologues parlent de “travailleurs pauvres”. Une population circonscrite par des critères strictement définis à l’échelle européenne : est qualifiée de travailleur pauvre toute personne en situation d’emploi, c’est-à-dire étant au travail plus que la moitié de l’année, et dont les revenus sont inférieurs à 60 % du revenu médian (seuil en-deça et au-delà duquel on recense 50 % de la population).
Le phénomène reste difficile à évaluer, du fait d’une atomisation des données dans le temps. Les séries statistiques sont rares. Et quand elles existent, elles connaissent des variations de sources et de définitions. De ce fait, aucune suite longue n’est véritablement possible et toute description d’évolution porte à caution. Néanmoins, au regard des chiffres et des tendances conjoncturelles, on peut légitimement avancer que la pauvreté laborieuse gagne du terrain en France (comme d’ailleurs un peu partout dans les pays “riches”).
Une population en croissance depuis 2003
Entre 1996 et 2001, le nombre de travailleurs pauvres a diminué, passant de 1,65 million à 1,58 million (source Insee DGI). Mais à partir de 2003, la tendance s’inverse. Entre 2003 et 2005, leur nombre augmente d’environ 300 000, ce qui traduit une augmentation de + 25% sur la période (source Insee SRCV-SILC). Qu’en est-il aujourd’hui ? Selon les sources européennes, la pauvreté laborieuse concerne 12% de la population française âgée de plus de 18 ans. Mais, faute de chiffres comparables disponibles, c’est sans doute l’environnement socio-économique qui dessine les lignes tendancielles les plus fiables. En l’occurrence, tout augure une amplification du phénomène de la pauvreté laborieuse.
En cause : la sensible dégradation de l’emploi.
L’organisation du chômage de masse constitue sans doute le levier le plus flagrant de cette aggravation : dans l’année qui suit la fin de la scolarité, un tiers des jeunes connaît le chômage (6 % en 1973). En trente ans, le chômage des actifs de moins de 26 ans a doublé. Selon l’Insee, un cinquième des jeunes présents sur le marché du travail est aujourd’hui au chômage et un autre cinquième en emploi temporaire.
Au premier trimestre 2009, 138 000 postes salariés ont été détruits, soit autant que sur toute l’année 2008. Le ministère de l’Economie prévoit 80 millions d’heures de chômage partiel dans les 12 mois à venir, qui concerneront entre 500 000 et 600 000 salariés.
En février 2009, Pôle emploi a recensé 3 820 200 demandeurs d’emploi inscrits, toutes catégories confondues en France métropolitaine, soit une augmentation de 9,8% sur un an et de 2,2% sur un mois (source DARES).
La détérioration gagne les emplois les plus stables
La prise en compte des motifs d’inscription à Pôle emploi en février 2009 illustre les formes que prend la dégradation du marché du travail. Plusieurs phénomènes se dessinent. En premier lieu, la détérioration ne se limite plus aux segments les plus flexibles, mais elle touche les formes d’emploi les plus stables. Ainsi, les entrées après une mission d’intérim ou un contrat à durée déterminée, à l’origine de 35% des inscriptions (cat A, B, C) en février 2009, sont en hausse de 10% sur un an. Les licenciements économiques qui engendrent 4,1% des inscriptions de février 2009 sont en forte hausse (+ 31,4% sur 12 mois). En second lieu, la détérioration s’accompagne d’un phénomène de blocage. Globalement, celui-ci est illustré par la diminution des sorties de Pôle emploi, notamment pour reprises d’emploi déclarées (-23,2%% sur un an). Ce phénomène est particulièrement préjudiciable aux personnes qui entrent sur le marché du travail (premières entrées ou reprises d’activité) dont le nombre a augmenté de 20% au cours des douze derniers mois. Cette rigidification du marché du travail s’observe aussi à travers la baisse du nombre des démissions (- 7,8%).
Parmi les inscrits au chômage depuis plus d’un an, ceux qui le sont depuis un à deux ans voient leurs effectifs s’accroître le plus en février 2009 (+8,8% sur douze mois). Or, le processus d’exclusion du marché du travail qui se
renforce à leur encontre semble s’amorcer en amont comme l’illustre, pour la même période, la forte croissance du nombre d’inscrits de trois à six mois (+20,1%) (Source Onpes 2008).
Eviction des plus vulnérables
Autre élément de dégradation sociale : les difficultés accrues à (re)prendre un emploi pour toutes les personnes qui se trouvent sur le marché du travail. Le déséquilibre quantitatif de celui-ci se double d’une concurrence accrue entre les catégories de main-d’oeuvre, ce qui peut provoquer l’éviction durable des plus vulnérables. Les jeunes sans expérience professionnelle suffisante, les femmes qui reprennent une activité après une interruption, les chômeurs de longue durée, les travailleurs peu qualifiés ou dont la qualification était spécifiquement liée à l’emploi antérieur ou encore les salariés vieillissants voient leurs opportunités de sortie du chômage se réduire (Source Onpes 2008).
Alors que les bénéficiaires de minima sociaux connaissent déjà un très faible taux de retour à l’emploi, le Comité d’évaluation des expérimentations du RSA du 26 mai 2009 souligne que la crise a aggravé leur situation en faisant chuter les taux de reprise d’emploi aussi bien en zone expérimentale qu’en zone témoin. Si un pic dépassant 4% de retour à l’emploi est observé en juin et juillet 2008 dans les zones expérimentales, le pourcentage tombe à un peu plus de 2% en février 2009.