Joël Pain, DG de PlaNet Finance France : «L’avenir économique du pays ne se fera pas sans les quartiers»
Organisation internationale fondée par Jacques Attali en 1998, PlaNet Finance développe une présence dans les zones urbaines sensibles. Bilan de cette activité, avec Joël Pain, directeur général de PlaNet Finance France.
Quel est l’objectif de PlaNet Finance France ?
PlaNet Finance France a été créé en 2005 pour répondre à l’exclusion par le microcrédit dans les quartiers. En France, les thèmes d’exclusion sont concentrés dans les cités. C’est sur ce terrain que nous avons choisi d’agir, au travers d’un réseau d’implantations dans les quartiers, animées par des salariés de l’association, eux-mêmes pour l’essentiel issus de ces quartiers et qui vont au devant des personnes en situation d’exclusion – bénéficiaires du RSA, chômeurs de longue durée – pour les convaincre que la création d’entreprise peut être une solution. Une fois les personnes identifiées et approchées, elles font l’objet d’un accompagnement, durant trois, six, neuf mois. L’objectif étant de les épauler depuis la formalisation du projet jusqu’à son lancement effectif.
Avec quels financements travaillez-vous ?
Pour les porteurs de projet, tout est gratuit. La prestation est financée par nos différents partenaires. A commencer par les bénéficiaires indirects de cette approche : Pôle emploi, qui voit ici un levier de traitement d’emplois qu’il ne sait pas traiter, et la Caisse des Dépôts, qui soutient une logique de redynamisation de territoires. Nous sommes également aidés par des acteurs privés, qui s’engagent à nos côtés dans une logique d’action citoyenne. Soit de manière transversale, en soutenant l’approche, soit de manière plus opérationnelle et locale, comme le fait L’Oréal qui finance notre implantation d’Orléans et bientôt celle de Saint-Quentin, ou encore PSA avec qui nous comptons ouvrir une antenne à Poissy. Enfin, nous sommes également aidés par les collectivités locales et les acteurs économiques locaux.
Le budget de chaque implantation est de 150 000 euros par an. Les trois catégories d’acteurs : publics, privés et locaux contribuent chacun à hauteur d’un tiers.
Combien d’implantations ?
Dix à ce jour. Nous souhaitons en ouvrir 100 d’ici 2020. C’est un objectif ambitieux, étayé par nos premiers calculs. Le modèle est en effet garant d’un véritable ROI social. Chaque emploi que nous créons coûte 3 000 euros. Dans 80% des cas, il s’agit d’emplois pérennes à trois ans. Ces chiffres sont à comparer au coût des dispositifs sociaux institutionnels, sachant qu’un chômeur indemnisé coûte 12 000 euros par an et un bénéficiaire du RSA, 500 euros par mois – fois 12 mois, fois X années…
Vous avez également créé FinanCités en 2007. De quoi s’agit-il ?
FinanCités est un fonds d’investissement, financé par HSBC, BNP Paribas, la Caisse des Dépôts, la Région Ile-de-France, CNP Assurances. Il s’agit ici d’identifier dans les quartiers les entreprises à potentiel et qui auront besoin de financer leur développement. Les critères d’éligibilité sont l’implantation dans le quartier, la volonté de croître et d’embaucher, ou encore l’impact local en termes sociaux ou d’exemplarité.
Comment identifiez-vous ces entreprises ?
C’est un travail de réseau. Nous travaillons avec tous les dispositifs et réseaux de création d’entreprise : les réseaux Entreprendre, France Initiative, France Active, l’Adie.
Sans interférence concurrentielle ?
Non. A chacun son expertise et nous nous passons le relais. Sur la création d’entreprise, nous intervenons par exemple en amont de l’Adie, vers qui nous allons orienter le créateur que nous aurons identifié. Sur les entreprises en développement, en revanche, nous allons plutôt intervenir en aval. Il y a ici tout un écosystème intelligent à développer. La concurrence n’est pas de mise. D’ailleurs, nos financeurs nous ont bien précisé qu’il était pour eux hors de question de financer la même chose deux fois. Nous sommes même en train de réfléchir avec d’autres associations à une implantation collégiale, une espèce de guichet unique de l’inclusion économique et sociale dans les quartiers.
Y a-t-il concurrence d’acteurs qui se lanceraient avec une offre similaire à la vôtre ?
Nous conseillons à ceux qui voudraient se lancer de ne pas réinventer la roue. D’autres se sont cassé les dents pendant des années. Nous, entre autres. Ce sont des systèmes très longs à mettre en place. Aujourd’hui, notre modèle est toujours pas équilibré, et je ne peux pas encore vous dire s’il est viable. Mais très franchement, il y a peu d’initiatives concurrentes. Sur la création d’entreprise en amont, nous sommes les seuls. Même les business angels, que nous essayons de faire venir dans les quartiers pour chasser en meute, ne viennent pas.
Après quelques années, comment percevez vous la réalité entrepreneuriale dans les quartiers ?
Il y a du dynamisme, c’est indéniable. Mais ce n’est pas l’eldorado de la création d’entreprise que l’on avait imaginé. La création est souvent forcée plus que voulue. Comme un choix auquel on se résout par défaut. Il n’y a pas de raison qu’il y ait en banlieue plus de création par habitant que n’importe où ailleurs. En revanche, il y a moins d’argent qu’ailleurs, d’où notre légitimité.
Globalement, tout cela reste extrêmement dur, parce qu’on a affaire à des gens insuffisamment formés, insuffisamment accompagnés, dans un contexte peu propice au développement des activités (vandalisme, racket). Pour autant, on observe chez ceux qui ont envie d’y aller une volonté incroyable. Je ne suis pas loin de penser que l’avenir économique du pays passe par les quartiers, à condition de savoir capitaliser sur des énergies aujourd’hui laissées en jachère. En tout cas, l’avenir ne se fera pas sans les quartiers. Ils offrent une créativité qui n’attend que d’être encouragée, accompagnée et canalisée.
Quel est votre bilan ?
Côté PlaNet Finance France : 900 entreprises créées pour 1 200 emplois. Il s’agit à 90% d’entreprises individuelles, créées pour 60% des cas par des hommes et 40% par des femmes. Côté FinanCités : 45 projets financés depuis 2007, dont 22 encore en portefeuille. En termes d’emploi, on peut parler d’une centaine d’emplois créés ou préservés.
De quoi manquez-vous pour atteindre un seuil supérieur d’efficacité ?
D’un peu tout… Nous avons des candidats en nombre suffisant au regard des moyens dont on dispose. Mais si nous avions plus de moyens, nous pourrions accélérer l’efficacité du modèle, qui est finalement très itératif. On passe du temps à chercher des dossiers et des sous pour les financer. Quand on cherche de l’argent, on néglige le sourcing des dossiers. Quand on a beaucoup de dossiers, on n’a pas l’argent sous pour les financer. Nous sommes tout le temps en train de naviguer entre ces deux pôles de tension.
Ce qui est certain, c’est que nous sommes microscopiques à l’échelle nationale et qu’on aurait largement de quoi dépenser dix fois plus d’argent et nourrir dix fois plus de projets. Pour remettre de l’argent dans la balance, nos actionnaires nous demandent des preuves de viabilité, ce qui est bien normal. Mais, encore une fois, ce modèle vit sur le long terme et la composante temps est indispensable pour pouvoir en démontrer la rentabilité. Avec Financité qui a démarré en 2007, nous commençons à peine de sortir du capital des premières entreprises.
Quels sont vos objectifs ?
Sur PlaNet Finance France, nous visons l’impact significatif. 1200 emplois, ça n’est pas rien, mais ça n’est pas grand chose au regard des millions de chômeurs en France. Il faudrait couvrir au moins 20% des 750 ZUS (zones urbaines sensibles) à échéance 2020. Ce qui représente une centaine d’implantations. Avec 100 implantations, on peut espérer créer 4 000 entreprises et entre 5 000 et 6 000 emplois par an. On pourra alors parler d’un poids significatif au regard de la population bénéficiaire des dispositifs de type RSA. Et là, tout dépendra de notre capacité à trouver des financements. Nos partenaires sont fidèles. L’Oréal en est à sa troisième implantation, PSA veut ouvrir à Poissy dans les mois qui viennent et peut-être à Mulhouse. Même Pôle emploi, qui connaît aussi des difficultés, augmente sa contribution : 500 000 euros en 2012. Il faut que l’on arrive à évaluer plus précisément l’impact de leur investissement. Je souhaite aussi pouvoir me rapprocher des conseils généraux, qui gèrent le RSA.
Et le financement par les particuliers ?
J’y pense de plus en plus. La thématique des quartiers, de la banlieue, trouve un écho grandissant dans la population. Reste que la collecte de fonds publics est très complexe à piloter d’un point de vue juridique. D’autant plus que le risque est important.
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