Augmenter la TVA, de quoi parle-t-on ?*
Compenser une baisse des cotisations sociales par une hausse de TVA : l’hypothèse est à nouveau étudiée pour augmenter les rentrées fiscales. Avec des créations d’emplois à la clef – pas garanties – mais aussi une érosion du pouvoir d’achat.
Où l’on reparle de TVA.
Pour François Fillon, l’objectif est de retrouver des marges de manœuvre budgétaires pour contenir le déficit public à 5,7% du PIB en 2011 (avec en ligne de mire 4,6% en 2012, 3% en 2013 et 2% en 2014). Pour trouver, comme l’a annoncé le ministre de l’Economie François Baroin, quelques milliards d’euros de recettes supplémentaires ou d’économies afin de compenser une croissance insuffisante (et même nulle au deuxième trimestre 2011 selon l’Insee), les conseillers de l’Elysée et le gouvernement planchent sur une série d’hypothèses, notamment sur le rabotage de certaines niches fiscales.
Une autre hypothèse concerne un schéma de TVA dite « sociale » mais qui n’en a que le nom, et qui n’en finit pas de revenir dans les débats. Certes, le gouvernement a toujours affirmé qu’il n’était pas question d’augmenter la TVA. Mais un artifice de communication reste toujours possible. Ainsi, Matignon prend bien soin de préciser, sur son site, qu’une TVA « sociale » doit être perçue comme une compensation : « au lieu d’être financée par des cotisations pesant sur les salaires, une partie des prestations sociales serait financée par de la TVA, prélevée sur la consommation. » Si elle devait voir le jour, cette TVA ne correspondrait donc pas, selon cette affirmation, à une hausse des prélèvements obligatoires : le dogme élyséen serait respecté.
De « sociale » à « anti-délocalisation »
Pourtant, le sujet est sensible. Après le premier tour des élections législatives de 2007, il avait coûté à Jean-Louis Borloo le ministère de l’Economie et des Finances qu’il briguait, pour avoir révélé qu’un projet en ce sens était dans les tiroirs. Mais ce projet n’a jamais été enterré. Par exemple, à la demande de François Fillon en juin 2007, Eric Besson – alors secrétaire d’Etat à l’évaluation des politiques publiques – bouclait en septembre de la même année un rapport sur la TVA « sociale », présentée comme « favorable à la compétitivité de l’économie ».
Puis, en octobre 2010, le patron de l’UMP Jean-François Copé qui avait au départ critiqué cette hypothèse en la jugeant explosive, est revenu sur le sujet, cette fois pour le défendre en présentant cette TVA « sociale » comme une disposition anti-délocalisation. Quelques mois plus tard en février 2011, il remontait au créneau en s’appuyant sur l’expérience allemande d’une hausse de 3% de la TVA en 2007.
Sollicité peu après sur le sujet dans l’émission « Paroles de Français, Nicolas Sarkozy confirmait que la question restait ouverte. Même le Sénat a planché sur cette hypothèse, suggérant une hausse de 4 points de la taxe sur la valeur ajoutée. Et à gauche, à l’occasion du débat des primaires socialistes, Manuel Valls s’est déclaré favorable à ce mécanisme. Le chantier de la TVA devrait-il finir par être publiquement ouvert?
Coup de pouce à la compétitivité
La mesure est malgré tout loin de faire l’unanimité. Le principe consiste à transférer une partie des cotisations sociales sur une hausse de TVA. Dans cette hypothèse, les prix de vente des produits fabriqués dans l’Hexagone et proposés aux consommateurs resteraient, a priori, inchangés. Mais les prix des produits importés qui supporteraient une TVA plus élevée, seraient mécaniquement augmentés.
C’est à ce titre que la TVA « sociale » est présentée comme une mesure anti-délocalisation, puisqu’elle restaure la compétitivité du made in France. Et elle répartie la charge des prestations sociales puisqu’elle oblige les importateurs à participer à leur financement – ce qui ne serait pas illégitime puisque les prestations sociales qui son versées aux ménages servent aussi à acheter des produits importés.
Une inflation mécanique
Mais cette disposition est obligatoirement inflationniste. Car sauf si les importateurs compensaient la hausse de TVA par une réduction de leurs marges, les produits fabriqués à l’étranger et mis sur le marché en France subiraient une hausse des prix. Ce qui ne manquerait pas d’être fort mal perçu par les consommateurs ; c’est d’ailleurs la raison qui avait valu au projet d’être gelé en 2007.
Pour rétablir le pouvoir d’achat des ménages et ne pas peser sur la consommation qui est le principal moteur de la croissance, il deviendrait alors nécessaire de donner un coup de pouce supplémentaire au Smic, voire de revaloriser les prestations sociales. Ce qui, dans un deuxième temps, pourrait se révéler contre-productif pour les entreprises françaises.
Bon pour l’emploi, si les entreprises jouent le jeu
En renforçant la compétitivité des entreprises à l’intérieur de l’Hexagone, la TVA « sociale » est aussi de nature à soutenir l’emploi. Ses effets, en l’occurrence, vont dans deux directions.
D’abord, permettre aux produits fabriqués en France de reconquérir des parts de marché. Mais un peu de réalisme, toutefois : une refonte de la TVA ne saurait combler le différentiel de compétitivité qui existe avec les pays à bas coûts, elle pourrait juste le réduire un peu.
Ensuite, l’objectif consiste à être plus concurrentiel à l’export. Car les produits vendus à l’étranger étant exonérés de TVA en France, le gain de compétitivité hors des frontières serait d’autant plus grand que la TVA déduite serait importante. Ainsi, l’emploi devrait-il en bénéficier. Dans son rapport, Eric Besson considérait qu’« on peut s’attendre à ce qu’une hausse de trois points de TVA suscite un surcroît d’emplois de 75.000 à 160.000 à moyen terme selon les estimations ».
Toutefois, cette analyse théorique dépend aussi du volontarisme des entreprises pour réduire leurs prix hors taxes dès l’instant où une part des cotisations sociales serait remplacée par une part de TVA. Il est évident que si elles mettaient à profit cette transformation pour restaurer leurs marges plutôt que réduire leurs prix hors taxes, les bénéfices d’une hausse de TVA seraient beaucoup moins perceptibles.
Fiscalisation d’une partie des prestations sociales
Par ailleurs, une hausse de TVA ne pourrait effacer l’ensemble des cotisations sociales. Le SNUI (Syndicat national unifié des impôts) a calculé que même dans l’hypothèse la plus volontariste qui consisterait à passer la TVA en France à 25% – le plafond fixé par l’Europe – de façon uniforme, le gain s’élèverait à 82 milliards d’euros, soit 45% du montant des cotisations sociales.
Mais il ne s’agit pas non plus de procéder à une fiscalisation de l’ensemble des cotisations. Car s’il n’est pas illogique, selon le rapport Besson, que les prestations qui relèvent d’une logique de solidarité nationale (santé, famille) soit financées par l’impôt, il apparaît logique que les prestations de chômage et de retraite, du domaine de l’assurance, continuent d’être financées pas des cotisations liées au travail.
Une dimension européenne du projet
Alors que l’objectif au niveau européen consiste à viser un alignement des taux de TVA dans l’Union, une décision de la France pour ces aménagements de la TVA comprenant une hausse du taux plein irait à l’encontre de la consolidation européenne. Le signal envoyé aux autres membres pourrait être assimilé à un « chacun pour soi » contraire à la solidarité dont l’Europe doit faire preuve et qui a tant besoin d’être réaffirmée. Le dispositif pourrait d’autant plus être critiqué qu’il est assimilable pour les produits à l’exportation à une « dévaluation compétitive » qui sera forcément peu appréciée par les pays qui trouvent des débouchés sur le marché français.
Mais de nombreux membres de l’Union pratiquent des fiscalités compétitives pour attirer les sièges des entreprises et les usines. Ceux-là, qui empêchent de progresser sur le projet d’harmonisation fiscale européenne, auront du mal à faire la leçon à la France. D’autant que, si elle parvenait à contenir son déficit, la France restaurerait l’un des piliers qui fondent la monnaie européenne, au bénéfice de tous les autres membres de la zone euro. Nul doute que cette dimension européenne des projets français – pour la TVA « sociale » ou autres – figure au centre des discussions entre Nicolas Sarkozy et la chancelière allemande Angela Merkel, le couple moteur de l’Europe comme la crise de la dette l’a encore démontré.
*(publié sur www.slate.fr)