Un retour accompagné
Depuis la décolonisation, nombre de migrants africains sont venus en France dans l’espoir d’améliorer leur condition de vie. Certains y parviennent alors que d’autres restent sans papiers ou vivent dans une situation de précarité professionnelle et financière. Pour ne plus avoir à subir ce type d’humiliation, des migrants tentent de retourner au pays et d’y créer une entreprise. La Fafrad (Fédération des Associations Franco-Africaines de Développement) tente de faciliter leur parcours grâce à un accompagnement individuel.
20 %, c’est le taux de chômage des immigrés en France, chiffre deux fois plus élevé que la moyenne nationale. A l’aune de cette donnée, il est plus aisé de comprendre l’augmentation du nombre de demandes de retour au pays. Deux choix s’offrent à eux : réclamer un rapatriement humanitaire par l’intermédiaire de l’Office des Migrations Internationales – OMI (Voir l’article « Aide au retour : tour d’horizon des différents organismes ») ou concrétiser un projet de création d’association ou d’entreprise. Pour le premier, le départ peut se faire en un mois.
Pour le deuxième, la route est plus longue : montage du projet, étude de faisabilité et demande de subvention. C’est à chacune de ses étapes que la Fafrad (voir l’article « La Fafrad : une association au cœur du développement ») intervient en direction des ressortissants africains. Depuis mai 2003, ils sont 62 à avoir quitté la France pour rejoindre leur famille grâce au soutien de l’association. 41%* des demandes sont liées à des projets de commerces (alimentation ou céréales). Les autres projets concernent le domaine des transports en commun ou de marchandises (36%*), les travaux agricoles (15%*) ou encore l’artisanat (5%*) et la restauration (7%*).
Une étude réalisée en 2000 pour le compte de la Fafrad montre que plus des trois quarts des demandes émanent d’hommes âgés entre 30 et 50 ans. « Les promoteurs accompagnés sont originaires à 90% du bassin du fleuve du Sénégal qui traverse le Mali et le Sénégal. La majorité d’entre eux sont mariés avec plusieurs enfants, tous restés au pays. », observe Sophie Emery, chargé de projet pour les retours à la Fafrad.
Elle distingue deux profils bien distincts. Pour 50 % des demandes, les personnes sont sans papiers et souvent en foyer depuis plus de deux ans. « Lorsqu’ils viennent nous voir, ils sont épuisés psychologiquement et physiquement. Ils travaillent généralement au noir dans le domaine du bâtiment et ne sont pas toujours payés. La seule issue qui s’offre à eux est de rentrer au pays. » Un choix par défaut.
Le poids de la famille
Mais il n’est pas question de rentrer au pays les mains vides. « Tout le monde pense que si vous avez vécu en Europe, vous avez de l’argent. Alors vous ne pouvez pas rentrer les bras ballants, sans rien », confie Ruth, originaire de Douala. Ainsi émerge l’idée de créer une entreprise. Le premier rendez-vous permet d’établir un rapport social pour l’OMI afin de bénéficier d’un financement pour le billet d’avion. Ensuite, la personne prépare son projet de création d’entreprise. « Bien souvent, ils veulent reprendre la même activité qu’ils avaient abandonnée en Afrique, car ils n’ont pas le temps de suivre une formation. Beaucoup se dirigent vers les travaux agricoles ou le commerce de détail », explique Sophie. Reste à monter le dossier dans le cadre du PDLM (Programme Développement Local Migration) qui s’adresse aux ressortissants du Mali, du Sénégal et de la Mauritanie.
Le PDLM fait partie intégrante du Programme Migrations et Initiatives Economiques, soutenu par le ministère de l’Emploi et de la Solidarité et le ministère des Affaires étrangères. Depuis sa création en 1996, 600 migrants se sont réinstallés dans leur pays. La somme attribuée est de 3000 euros en moyenne. 90% des dossiers reçoivent un avis favorable. Le plus dur n’est donc pas tant d’avoir de l’argent mais plutôt de résister au poids de la famille. « Celui qui vient d’Europe est souvent perçu comme le Moïse qui doit régler les problèmes de tout le monde », analyse André Mayengo, responsable de la Cedita, une ONG basée à Kinshasa (République démocraitque du Congo). Pour ne pas que l’argent soit dilapidé dans la nature, la somme est donc confiée à un partenaire local, chargé de le redistribuer petit à petit. Il réalise également un suivi de gestion durant la première année d’installation.
Un pari courageux
Pour l’autre moitié des personnes qui contactent Sophie, le profil est inverse. En France depuis de nombreuses années, tous sont en situation régulière et occupent un emploi ou sont à la retraite. Nombreux sont ceux qui ont la double nationalité ou seulement la nationalité française. C’est le cas de Badiane Maty (voir son portrait) dont les parents sont sénégalais. Elle souhaite créer une agence évènementielle à Dakar. « Cela fait 27 ans que je suis à Paris. Mais depuis l’âge de 14-15 ans, je souhaite retrouver mes racines. Je le fais pour moi et pour mon fils de 2 ans et demi ». D’autres s’inscrivent dans une démarche de développement économique de leur pays. Yaya Nguette (voir son portrait), un Sénégalais de 42 ans, souhaite se lancer dans l’agriculture et l’élevage : « Grâce à mon entreprise, je vais pouvoir employer 3 personnes de mon village et de ma famille pour les travaux des champs. Je souhaite aussi motoriser un des puits pour l’irrigation et pour faciliter l’alimentation en eau des familles ».
Quoi qu’il en soit, les futurs créateurs ont des projets d’envergure. Un des dossiers soutenus par la Fafrad porte, ainsi, sur la création d’une boulangerie industrielle de pointe avec les techniques françaises de fabrication.
Un suivi individuel et régulier
C’est auprès du PDLM que les dossiers sont principalement adressés. Au rythme d’un rendez-vous par mois, la préparation est longue et minutieuse. D’après Sophie Emery, « il s’écoule 2 à 3 ans entre l’idée de création et le départ effectif du migrant ». En effet, une fois le projet affiné, une étude de marché est réalisée. Ensuite, une demande de bourse d’étude de faisabilité est adressée au PMIE (Programme Migrations et Initiatives Economiques). Cette dernière permet au futur migrant de retourner dans son pays pendant une durée d’un mois, afin de se rendre compte sur le terrain de la viabilité du projet.
Cette bourse varie entre 1300 et 1500 euros selon les pays et comprend les frais de transport et de séjour, ainsi que la rémunération d’un opérateur local, chargé de guider la personne dans ses démarches. A son retour, le dossier est examiné par la commission du PDLM. La subvention peut aller jusqu’à 7000 euros. Si elle est insuffisante, la Fafrad se charge de présenter le projet devant d’autres organismes, notamment de crédits pour ceux qui disposent de fonds propres. Mais les démarches se font aussi grâce à la motivation et à l’implication du demandeur. « Dans ce système, chacun apporte ses connaissances et ses compétences. C’est un vrai travail de collaboration. Ils m’apportent souvent une vision objective de la réalité sociale, économique et politique de leur pays. C’est primordial d’ancrer le dossier dans la réalité », insiste Sophie Emery.
Mais, ces envies de départ ne doivent pas masquer tous ceux, encore nombreux, qui souhaitent rester sur le sol français. L’attachement aux racines n’en n’est pas moins fort. Certains profitent même de leur intégration sociale et professionnelle pour investir à distance dans leur pays natal. Le PMIE leur offre d’ailleurs les moyens financiers d’investir par l’intermédiaire de ses partenaires tels que la BNP Paribas et ses filiales africaines, ou le Centre International du Crédit Mutuel. Une autre alternative pour ceux à qui « l’El Dorado » français a un tant soit peu souri.
* Source : étude datant de 2000 pour le compte de la Fafrad, portant sur 69 dossiers d’aide au départ.
Disponible sur le site : www.fafrad.org
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