Sarah Jacquet a suivi de longues études de philosophie et de lettres, et effectué des stages prestigieux dans le milieu littéraire parisien. C’est pourtant en écrivant des histoires à l’eau de rose pour adolescentes qu’elle gagne sa vie, non sans s’être fixée une mission : investir la culture de masse, et y diffuser des messages militants.

Le discret autocollant fustigeant la pub sexiste annonce la couleur dès la porte d’entrée de Sarah Jacquet. Celle-ci vient de publier son deuxième livre « Qui m’aime me suive » (Pocket Jeunesse), un roman qu’elle qualifie de  » féministe « . Toutefois, loin d’être une exaltée de la cause, elle s’exprime calmement, toujours après un temps de réflexion, cherchant la nuance, plutôt que d’affirmer des idées à gros traits : un petit autocollant plutôt qu’une grande affiche.

Sarah habite avec deux colocataires dans un bel appartement lumineux d’un coin calme du 10e arrondissement de Paris. Le parquet grince et la cuisine est démodée. Douce, posée et réfléchie, elle accueille tout, questions, critiques et remarques avec le même calme, le même sourire, et elle écoute. Puis répond avec attention. Sarah relate son parcours tout en versant du thé fumé, à l’aide d’une théière japonaise, dans des bols asymétriques.

Elle a 27 ans, une licence de philosophie, une maîtrise de lettres et un DEA de littérature anglophone. Elle a effectué des stages dans des maisons d’édition, la presse et pour le Salon du livre de la jeunesse où elle a été chargée de l’animation, la rédaction de catalogues, l’organisation de rencontres entre les auteurs et les enfants. Elle a par ailleurs écrit des piges pour la revue  » Pages des libraires « . Pour gagner sa vie, elle a aussi travaillé à la librairie parisienne  » L’œil écoute  » à Montparnasse, et fut ouvreuse au cinéma du Quartier Latin  » Le Saint André des arts « .

Faire réfléchir

Avant d’écrire pour Pocket Jeunesse, Sarah avait déjà une solide expérience des histoires à l’eau de rose pour adolescentes, puisqu’elle écrit depuis 5 ans des nouvelles pour la revue mensuelle Miss. C’est du reste la rédactrice en chef de Miss qui l’a introduite chez Pocket.

Sarah est assistante de coordination d’action culturelle dans une association de Bobigny (93) quand naît l’idée du roman « Qui m’aime me suive ». N’ayant rien d’autre à faire le midi, elle déjeune le plus souvent d’un sandwich au centre commercial, où elle écoute les jeunes. Elle finit par parler avec quelques adolescentes, pour savoir si elles souffrent du machisme des garçons. Les filles, fatalistes, répondent qu’ils peuvent être  » lourds « .

 » J’avais une idée forte au départ et le désir de faire réfléchir sur le sexisme « , raconte Sarah. Toutefois, soucieuse de ne pas imposer un discours à des lectrices potentiellement résignées ou peu sensibilisées, et pour les  » accompagner « , elle crée une héroïne qui éprouve elle-même des difficultés à prendre conscience de sa révolte et à la faire accepter.

Les romans édités par Pocket Jeunesse sont distribués en grandes surfaces, pas dans les librairies parisiennes,  » trop snobs « , selon Sarah. Ils sont lus par une majorité de jeunes adolescentes (âgées de 10 ˆ 14 ans). « Qui m’aime me suive « , numéro 28 de la collection  » Toi + Moi = cœur « , est l’histoire d’Alex, adolescente de quinze ans, que la publicité sexiste dérange au point de l’éloigner un temps de ses amis et de son amoureux Ariel, qui ne comprennent pourquoi elle en fait une telle histoire.

Alex et ses proches habitent Bobigny ; ils partagent leurs journées entre le lycée et le centre commercial. Des ados de banlieue, auxquels Sarah prête un langage châtié, bien éloigné de leur réel mode expression :  » il fallait en effet rester proche de la grande proportion de lectrices de province « , explique Sarah. Autre obligation imposée par la collection : l’histoire d’amour entre Alex et Ariel. Mais, pour Sarah, celle-ci sert à évoquer le machisme des garçons, et la révolte confuse que ressentent certaines jeunes filles, confrontées au machisme d’une partie de leur entourage, et à la représentation sexiste et excessivement sexuée du corps féminin dans la publicité.

Investir la culture de masse

La réalité de Sarah paraît bien loin de celle de ses héros, et de ses lectrices. Pourquoi s’y intéresse-t-elle ? Elle sourit à la question, et avec un regard à la fois doux et amusé :  » lectrice et spectatrice avertie, aux goûts éclectiques, j’ai fini par céder au plaisir que j’avais face à des œuvres populaires « , explique la jeune femme.

Sarah fait penser au personnage de dessin animé, Princesse Sarah (1), avec ses manières si gentilles, jusque dans sa façon constructive de parler des critiques qu’elle a essuyées. Elle raconte par exemple une rencontre survenue lorsqu’elle présentait son livre sur le stand Pocket au Salon du livre de la jeunesse. Une petite fille semblant être issue d’une famille privilégiée s’est approchée du stand, attirée par le livre. Sa mère l’a retenue, puis s’est attaquée à Sarah, lui assénant que  » les petites filles intelligentes ne lisent pas ces romans de gare « . Ni blessée, ni agressée, l’auteure dit comprendre sa réaction, et juge simplement que cette mère n’avait  » pas assez réfléchi « .

Car loin d’en avoir honte, Sarah souhaite pour le moment continuer à écrire pour Miss, ou pour des collections comme Pocket.  » Il faut investir la culture de masse, qui a toutes les raisons d’être bien faite, si elle est faite avec le cœur et avec ferveur « , poursuit celle qui veut  » apporter une prise de conscience et de la qualité  » à ses jeunes lectrices. Son objectif : aborder des sujets tels que le féminisme, ou la critique du sexisme, soit de front, ou au moins en arrière plan.

Grande diffusion

A sa connaissance, Sarah est le seul auteur chez Pocket à avoir donné une dimension sociale à son roman ; elle est reconnaissante qu’on lui en ai laissé la liberté. Elle dit de ce roman qu’il est  » assez militant  » et assume pleinement l’aspect didactique de son histoire. Elle le revendique même, contente d’être publiée à 20 000 exemplaires par Pocket, plutôt qu’à 1 000 exemplaires par un éditeur plus prestigieux, mais moins lu. Elle compte écrire un troisième roman pour cette collection, dont les héros évolueront sur fond de télé réalité.  » Ce sera une critique de ce type d’émissions, mais pas de haut « , assure Sarah, auteure d' »Harlequins citoyens ». Sarah accepte ce qualificatif… à condition qu’il n’y ait pas de mépris dans l’expression. Sarah n’aime pas le mépris.

(1) Inspiré du roman de Frances Hodgson Burnett

Au sujet de Louise Bartlett

Anglaise installée en France, j’ai adapté des scénarios, pièces de théâtre, synopsis, campagnes de pub, articles de presse écrite (tourisme et cinéma). J’ai coordonné le projet multimédia Territoires de fictions, composé de « POM » (petites œuvres multimédia, des montages animés de photos, création sonore, illustrations…), diffusées sur lemonde.fr. J’ai également assuré la représentation du projet lors de festivals en France et à l’étranger. Après plusieurs années à la rédaction en chef de titres de presse écrite, j'ai suivi en 2013 une formation d'assistante de production au CEFPF (production audiovisuelle), pour collaborer à l'écriture et à la réalisation de contenus (documentaires, reportages, magazines) pour tous types d’écrans (TV, ciné et web).

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