La Goutte d’Or en survie
Gel de certaines subventions, difficulté de pérenniser les emplois jeunes, changement d’interlocuteurs suite aux élections, etc., le monde associatif vit dans l’instabilité. Cependant, si, cette année, les difficultés se sont amoncelées, ce secteur est structurellement fragile. Enquête dans un quartier populaire de Paris, la Goutte d’Or, où les associations font particulièrement oeuvre d’utilité sociale.
Classé « politique de la ville » depuis plus de dix ans, le quartier de la Goutte d’Or, situé dans le 18e arrondissement de Paris, concentre un nombre important d’associations. Celles-ci œuvrent dans des domaines divers, mais le champ du social soit l’orientation, l’éducation (soutien scolaire, alphabétisation) ou l’accueil de toxicomanes est plus largement couvert. Place Publique est partie à la rencontre de ces acteurs de terrain, un an après les élections présidentielles, pour mesurer les difficultés rencontrées et les moyens d’y faire face.
Très peu de financements pérennes
Réunies au sein d’un collectif inter-associatif à direction tournante (1), les associations de la Goutte d’Or connaissent, pour la plupart, des difficultés financières. Ce n’est malheureusement pas un fait nouveau ; tout n’était donc pas rose sous Jospin… Loin s’en faut. Directrice de l’association Espoir Goutte d’Or (EGO), un lieu d’accueil pour toxicomanes, Lia Cavalcanti explique ainsi que la structure qu’elle anime n’a jamais vraiment trouvé les moyens suffisants pour se financer correctement. L’équipe d’EGO travaille, chaque année, » en situation de crise « .
Le budget global de l’association est de 938 000 €, dont 55% sont financés par la DASS (Direction des Affaires Sanitaires et Sociales), le seul financement pérenne : » C’est la panique tous les ans, on se demande à chaque fois si on recommence ou pas !, indique Lia Cavalcanti. Notre situation est précaire de façon chronique « .
Selon Fabien Nicol, directeur de l’association ADOS (Association pour le Dialogue et l’Orientation Scolaire), » la situation n’est pas normale, mais habituelle… ». Enfin, pour Lydie Quentin, directrice de l’association Enfants de la Goutte d’Or (EdGO) qui, comme ADOS, travaille essentiellement avec les enfants de la Goutte d’Or : » Nos activités sont nécessaires sur le quartier ; c’est d’ailleurs bien la raison pour laquelle elles sont financées depuis des années. Il n’est donc pas logique que les financements ne soient pas réguliers « .
Pour faire face à ce manque de régularité des financements extérieurs, nombre de structures de la Goutte d’Or consacrent beaucoup de temps et d’énergie à la gestion et à la recherche de fonds, au détriment des activités elles-mêmes. Et plus encore cette année, puisqu’avec le nouveau gouvernement sont arrivés de nouveaux interlocuteurs, remettant à zéro le » travail de fourmi » effectué depuis des années pour collaborer sans difficulté avec les institutions.
Activités menacées
Outre le fait qu’elles regrettent de ne pouvoir signer de conventions pluriannuelles, qui leur garantiraient une partie au moins de leurs financements, les associations doivent aussi faire face, cette année, à la suppression annoncée des emplois-jeunes et au gel – temporaire – des crédits du FASILD (2).
Chez ADOS, on considère que, sans emplois-jeunes, c’est l’ensemble des activités de l’association qui est menacé. La structure a certes négocié des conventions triennales pour une sortie progressive du dispositif (deux de ses postes emplois-jeunes sont en effet arrivés à terme), » mais cela reste brutal ! « , commente Fabien Nicol.
Outre la centaine de bénévoles qui travaillent dans son cadre, ADOS emploie aujourd’hui 7 personnes dont 4 emplois-jeunes. Actuellement, la subvention du CNASEA représente 16% du budget global de l’association (335 000 €). Elle va passer d’environ 15 000 € par poste par an (80% du SMIC) à 11 430 € en 2004, puis 9144 € en 2005 et 5715 € en 2006. Quant à la sortie des deux autres postes arrivant à échéance en 2005 et 2006, elle pourrait s’effectuer dans de plus mauvaises conditions financières encore !
Comment financer ces postes à l’avenir ? « On nous renvoie vers les crédits de droit commun ; nous avons contacté la DASS et le ministère de la Jeunesse et des Sports, or aucun des deux n’accepte de nous financer. Quant aux financements privés, ils ne s’inscrivent jamais dans la continuité ; donc ils ne répondent pas aux besoins spécifiques des associations comme la nôtre », regrette Fabien Nicol.
Et ne pas garder les emplois- jeunes mettrait tout simplement en péril les activités. Or ce sont tout de même 300 enfants du quartier qui sont concernés par les activités de l’association. » Nous avons formé ces emplois-jeunes et ils sont devenus indispensables à la structure, poursuit Fabien. Leur embauche a en effet permis de développer à la fois le nombre et la qualité de nos activités. Aujourd’hui, nous ne pouvons revenir en arrière, d’autant moins que tout fonctionne ensemble « .
Confrontée au même problème, Lydie Quentin fait le même constat : amputer l’association d’une activité, c’est remettre en cause son projet global. EdGO a pourtant dû l’envisager lors du gel des crédits du FASILD, qui a mis en danger son fonctionnement. Finalement, l’association devrait recevoir les financements annoncés, mais cette réponse n’a été donnée qu’oralement. » Sans un banquier compréhensif, on serait déjà fermé ! « , remarque Lydie.
Incohérences
Toutes ces associations sont pourtant reconnues, et les institutions reconnaissent le travail effectué. Leurs résultats ne sont peut-être pas spectaculaires, mais ils sont néanmoins précieux, les besoins sur le quartier étant bien réels.
Dans un rapport sur l’offre d’accompagnement scolaire à la Goutte d’Or, le cabinet d’audit Passion a, par exemple, reconnu et salué la complémentarité des associations sur le quartier. EGO est largement reconnu pour la qualité de son travail avec les toxicomanes. Pourtant, cette année, l’association a dû réduire son activité pour faire des économies : pour la première fois depuis sa création en 1987, son lieu d’accueil a été fermé une quinzaine de jours cet été et le centre STEP (échange de seringues, également ouvert par EGO) est désormais fermé tous les week-end et jours fériés. Enfin, faute de crédits, un poste est menacé. Il s’agit d’un ancien usager devenu journaliste dans le cadre de l’association : » Tout le monde est épaté par son parcours, mais personne ne veut plus financer ! « , s’indigne Lia Cavalcanti.
Cette reconnaissance « morale » sans reconnaissance financière est une incohérence que déplorent la plupart des associations du quartier. » Les grands discours d’utilité ne sont pas en cohérence avec la façon dont sont traitées les associations « , constate Fabien.
Autre incohérence souvent pointée : le décalage entre l’exigence croissante des institutions et de la société en général vis-à-vis des associations, notamment en termes de professionnalisation, et la faiblesse des moyens qui leur sont accordés. Cette exigence accrue ne s’accompagne, hélas, d’aucune augmentation proportionnelle des moyens. Pire, certains budgets se réduisent parfois comme peau de chagrin !
C’est un sentiment de survie qu’expriment aujourd’hui les associations de la Goutte d’Or. Comme tous les ans, l’année 2003 fut difficile mais, le suspens des gels budgétaires aidant, encore plus inquiétante que d’habitude. Pour la plupart des animateurs associatifs, le pire resterait à venir : selon eux, c’est à partir de 2004 que les premiers effets sur les contrats emplois jeunes se feront sentir.
Sensibiliser à l’utilité de leur action, voilà comment ils espèrent trouver une porte de sortie qui leur permette de poursuivre leur action. A la fin de l’année dernière, la coordination inter-associative avait organisé une semaine de mobilisation qui fut l’occasion, selon elles, de faire la preuve de cette utilité sociale. Lors de débats sur l’apprentissage de la langue, par exemple, certains habitants sont venus témoigner de l’importance qu’avait eu pour eux le fait d’apprendre à lire et écrire au sein d’associations du quartier. Des représentants des pouvoirs publics étaient-ils présents dans la salle pour les entendre ? …
(1) Actuellement, la coordination inter-associative réunit 16 associations, et la direction est assurée cette année par Patrick Gosset, animateur de l’ADCLJC, club de prévention spécialisée implanté sur le quartier depuis une trentaine d’années.
(2) FASILD : Le Fonds d’action et de soutien pour l’intégration et la lutte contre les discriminations. Pour plus de précisions, voir l’article paru dans le magazine de mai-juin 2003. https://www.place-publique.fr/index.php/mag/magspip/article.php3?id_article=221
Contacts
Coordination inter-associative : elle est dirigée cette année par l’ADCLJC (Association pour le développement de la culture et des loisirs des jeunes de La Chapelle)
76, rue Philippe de Girard, 75018 Paris
01 46 07 61 64
Mail : adcljc@free.fr
AGO (Accueil Goutte d’Or)
10, rue des Gardes, 75018 Paris
01 42 51 87 75
ADOS (Association pour le Dialogue et l’Orientation Scolaire)
24, rue Polonceau, 75018 Paris
01 42 54 84 74
EGO (Espoir Goutte d’Or)
13, rue Saint Luc, 75018 Paris
01 53 09 99 49
EdGO (Enfants de la Goutte d’Or)
25, rue de Chartres, 75018 Paris
01 42 52 69 48
Un accès à la citoyenneté Accueil Goutte d’Or (AGO) a été créée en 1979 par des habitants de la Goutte d’Or pour aider d’autres habitants du quartier. L’association propose de nombreuses activités, telles une permanence sociale, un suivi d’allocataires du RMI, des stages d’alphabétisation pour femmes, un pôle santé, une halte garderie et un accompagnement scolaire individualisé. Que se passerait-il si l’association devait fermer ses portes ? Nous avons posé la question à Christine Ledesert, la directrice d’AGO. » Les gens se débrouilleraient, mais cela leur demanderait énormément d’énergie, et ce ne serait pas forcément efficace. Par exemple, ce sont les enfants qui rempliraient les papiers administratifs ! Mis en situation de ne pas être de bons parents, les gens seraient ainsi encore plus marginalisés. Je pense vraiment que ni l’alphabétisation ni l’accompagnement scolaire ne sont remplaçables. De plus, en tant qu’association, nous assurons un lien de cohésion : les gens viennent nous voir avec des demandes individuelles que nous inscrivons toujours dans le collectif. Ils apprennent ainsi qu’ils sont acteurs de la société avec des droits et des devoirs. Nous représentons donc un accès à la citoyenneté, nous ne sommes pas un guichet ! « . |
Patrick Gosset : » Soyons surtout porteurs d’une action commune » Directeur de l’ADCLJC, un club de prévention spécialisée du quartier, Patrick Gosset est, cette année, coordinateur de l’inter-associatif Goutte d’Or. Il témoigne de la situation : » Je crains effectivement que certaines associations disparaissent en 2004. La question budgétaire est fondamentale ; de nombreuses structures – mais pas l’ADCLJC – souffrent, en particulier, de ne pas avoir de conventions pluriannuelles. Cela dit, nous ne sensibiliserons l’opinion à notre situation qu’à travers des revendications plus globales. Il me semble ainsi intéressant de dire que les orientations politiques prises en 2002 ont des incidences sur le quotidien du quartier et nuisent à notre travail d’éducateurs de rue. Ce que je déplore au premier chef, aujourd’hui, c’est la nouvelle manière de faire de la police, les contrôles de jeunes et la pénalisation systématiques, notamment. Le comportement des policiers laisse penser qu’ils se sentent investis d’un vrai pouvoir. Par exemple, dans le quartier, ils empruntent les sens interdits ! Dans quel autre quartier voyez-vous cela ? C’est sur tout cela, et pas seulement sur les aspects financiers, que nous devons nous mobiliser. Soyons surtout porteurs d’une action commune. « |