D’ici une dizaine d’année, Internet aura fédéré tous les réseaux fixes et mobiles de communication et de diffusion. Et plus personne ne sera hors connexion, comme nous le sommes aujourd’hui, à 90%.

C’est ce qu’annoncent prospectivistes, ingénieurs et chercheurs en intelligence artificielle. Tel est notre environnement à venir : un confort domestique où l’on pourrait relier tous les contrôles de l’éclairage et de l’environnement avec des capteurs biométriques individuels cousus dans l’habillement pour moduler en conséquence l’éclairage et le chauffage dans une chambre, sans interruption et imperceptiblement.

Dans la maison : un système capable, entre autres, de prendre le pouls de ses habitants, de surveiller leur tension artérielle, de mesurer leur taux de glycémie et, éventuellement, de les alerter s’ils courent un risque quelconque. Dans la cuisine, un réfrigérateur « averti » de son contenu, offrant une variété de menus depuis les denrées réellement présentes et avertissant les consommateurs sur les aliments périmés ou avariés. Dans la voiture, un téléphone qui filtre les appels tout seul si le conducteur du véhicule est occupé ou n’est pas à l’arrêt. Les chercheurs en intelligence artificielle parlent de « robotisation des objets ». Ces derniers pourront nous informer en permanence de ce qui se passe. « Imaginez une table qui se rappellerait des interactions ayant lieu à sa surface ou de la structure des conversations auxquelles elle assiste. Imaginez un bâtiment qui garderait la trace des trajectoires quotidiennes de ses occupants. Imaginez qu’à chacun de ces objets nous donnions des objectifs et des possibilités d’actions » Les « puces » seront partout, captant les informations sur l’environnement, capables de les traiter et d’agir sur les centres de décisions : allumer, ouvrir, prévenir, déclencher, bloquer. Elles nous faciliteront la vie en nous assistant d’un système mnémotechnique global, par exemple, pour retrouver nos clés, chercher une place de parking, éteindre la cuisinière, ranger un document, convenir d’un rendez-vous. Plus de soucis. Voilà le monde connecté dans lequel nous devrions évoluer en 2028 !

  « Chaque application ou service technologique doit être disponible dans chaque voiture, dans chaque maison, dans chaque bureau et même quand on se promène dans la rue » annonce Fred Kitson, directeur chez Motorola, présentant le show room de la société à Schaumburg, au début de l’année 2008.  L’équipementier américain est un des tenants de « l’informatique omniprésente » (en anglais « everyware »). «Cette expression rassemble une classe de technologies émergentes qui ont toutes en commun le fait d’affranchir les systèmes, appareils et services fondés sur le traitement de l’information du paradigme de l’ordinateur, pour les ‘libérer’ dans le paysage et l’expérience bien plus vaste de notre vie quotidienne »,  explique Adam Greenfield designer numérique, qui a lancé le concept d’everyware1. En deux mots, il s’agit d’être « connecté en permanence », mais de manière non intrusive dans une sorte de confort électronique global. Interagir simultanément avec un grand nombre d’appareils et de services faisant appel à la voix, au geste, au toucher, unifier les réseaux, connecter ceux qui ne le sont pas, mettre de l’internet partout, tel est le projet de ce monde de l’ubiquité numérique qui s’installe. Il signe la fin de la dépendance entre un service et un appareil, caractéristique de l’ère du PC.  Plus besoin de réfléchir pour les actes quotidiens, tout se fera automatiquement par défaut, sans intervention humaine, car les objets laisseront une trace de leur passage qui nous dispensera d’avoir à les chercher. On pourra alors se concentrer sur l’essentiel, sans perdre de temps. Tous les objets de la vie quotidienne sont concernés.

     « Le changement le plus important est sans doute qu’à la différence de l’ordinateur individuel, dont l’usage résulte toujours d’un acte volontaire, on peut interagir avec l’everyware sans en avoir pris la décision consciente, sans y penser, sans le savoir ou même sans le vouloir », note Adam Greenfield, celui qui a développé ce concept.

Reste que même bourré de bonnes intentions, l’everyware a un côté « Big Brother » qui pose question. « Je suis moins inquiet du risque de surveillance généralisée – quoique je le crois réel, préoccupant et qu’il faille agir dès maintenant pour l’éviter – que je ne le suis de la réalité d’un mauvais design, concède Adam Greenfield. Pour le dire autrement : l’usage des technologies omniprésentes au service de la répression reste heureusement, pour l’heure, de l’ordre de l’hypothèse. Alors que la qualité de nos vies souffre déjà du désign négligent, mal pensé, voire carrément stupide de ces dispositifs. » Au-delà de cette invasion passive de l’internet, la connexion permanente risque de déboucher sur une forme soft d’ irresponsabilité qui perturbe les frontières entre la vie intime et la vie publique, entre l’individu et la société, entre le naturel et l’artificiel. Il reste que nous aurons toujours le libre arbitre de nous désactiver, de nous rendre invisible. C’est à cette exigence de liberté que le système pourra se réguler, qu’il pourra éviter l’ensorcellement pour garder l’enchantement, sans dommages collatéraux pour notre bien être mental.  

Lire :

”Every(ware)” . Adam Greenfield. FYP. Editions

“Futurs 2.0”. M. Layet, P. Bultez-Adams, F. Kaplan. FYP. Editions. 

Au sujet de Yan de Kerorguen

Ethnologue de formation et ancien rédacteur en chef de La Tribune, Yan de Kerorguen est actuellement rédacteur en chef du site Place-Publique.fr et chroniqueur économique au magazine The Good Life. Il est auteur d’une quinzaine d’ouvrages de prospective citoyenne et co-fondateur de Initiatives Citoyens en Europe (ICE).

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