Durant les dernières décennies notre système de santé a été amené à se transformer radicalement sous la poussée des découvertes de l’industrie pharmaceutique. Les progrès de la biotechnologie qui ont facilité les séquençages, ceux de l’exploitation des données, ont accompagnés la découverte de nouvelles molécules. Enfin, le mariage entre les industries pharmaceutiques et les grands opérateurs informatiques du Big Data aura donné une impulsion toute particulière à cette mutation qui consiste à maintenir « le capital-santé de l’individu plutôt qu’à le soigner lorsqu’il est malade ». Tous ces acteurs ont compris et contribué à la naissance d’un «business» très contemporain : vous empêcher de tomber malade !

Vieillir, oui, mais dans quel état !?

La mutation en cours de l’offre de santé n’est pas en soi une révolution. De plus, elle se fait très progressivement. Déjà la médecine chinoise consistait à empêcher son patient de tomber malade et, nous dit-on, le médecin de famille était payé en fonction du succès de sa mission : empêcher la maladie. La médecine moderne emprunte désormais la même démarche mais cette fois avec une ambition supplémentaire : limiter, retarder le processus de vieillissement. Certains vont même plus loin en nous promettant de stopper le vieillissement de l’être humain. Pour cela l’offre de surveillance et de soins a été profondément modifiée par les progrès des technologies biomédicales. Des progrès qui intéressent prioritairement les seniors mais pas seulement.

Notre vieillissement commence à 20 ans et ne cesse de produire ses effets en fonction de notre ADN mais aussi de nos modes de vie et de travail. Au début de notre ère, l’espérance de vie était tout au plus de 25 ans. Elle passera à 35 ans en Europe au XVIIIème siècle avec la révolution industrielle. Aujourd’hui nous savons cette espérance de vie capable de dépasser les 86 ans, oui… mais en bonne santé ? Car actuellement un homme peut s’espérer en bonne santé jusqu’à 63,3 ans et une femme jusqu’à 64,2 ans. Ensuite commence la ronde des bobos et des problèmes parfois très handicapants, pour la vie de tous les jours, et pour ceux qui auraient pu ou voulu travailler encore.

Dans le feu des échanges sur les retraites, sur leurs poids économiques et les conditions de leur financement, on oublie bien trop souvent de s’interroger sur l’état de santé des heureux postulants, ceux qui arrivent enfin à profiter de cette fameuse retraite. Malheureusement, il est rarement brillant. L’INED (Institut National d’Etudes Démographiques) nous apprend qu’un ouvrier commence à souffrir de douleurs articulaires à compter de 59 ans, bien avant de partir à la retraite. Les incapacités plus conséquentes frappent dès 67 ans et les dépendances vers les 73 ans. Les cadres gagnant en général 7 ans sur les ouvriers. En d’autres termes, face à l’âge nous avons des chances très inégales de bien vieillir, de maintenir notre capital-santé au mieux de nos capacités.

Connaissez-vous l’EVSI ? « L’Espérance Vie Sans Incapacité » ?

Elle correspond à l’évaluation de la date jusqu’à laquelle vous pouvez envisager de « bien vieillir », sans les misères qui accompagnent toute vieillesse. Elle est une donnée surveillée par tous les spécialistes en gérontologie. La modification de sa courbe a commencé à les inquiéter car si l’espérance de vie en France continuait à croitre, l’indice d’EVSI diminuait passant à 63,5 ans pour les femmes et à 61,9 pour les hommes (1) . En d’autres termes, on observait une dégradation de la santé des jeunes séniors alors que la longévité de la population continuait à croitre. Ce qui se traduit par une augmentation des coûts des soins due à cette dégradation.

La « silver économie », n’est malheureusement pas uniquement un marché de la consommation de services mais aussi des besoins considérables de soins supportés par la collectivité. A ce jour, une personne sur trois dépasse les 60 ans. Cela représente une hausse de 80% sur le demi-siècle passé. Si la majeure partie de ces populations reste autonome, une partie en forte croissance présente des limites fonctionnelles qui les rendent inaptes au travail. Enfin, environ 10% de ces personnes âgées sont dépendantes et ont besoin d’être aidées pour l’accomplissement des actes essentiels de la vie courante.

Une double question se pose. Si nous allions vers des solutions qui porteraient à plus de cent ans notre espérance de vie, s’accompagneraient-telles d’une qualité de vie qui justifie de telles avancées scientifiques ? Enfin, notre économie serait-elle capable de faire face au poids de cette vieillesse alors que la population des retraités augmente de 16 %, par an après une longue pause due au recul de l’âge de la retraite, à une politique d’incitation au maintien en activité et à la croissance du temps partiel rémunéré pour les plus de 65 ans.


La science des années futures va-t-elle préserver notre bonne santé !?

Le système de santé de la plupart des pays doit se transformer pour résister économiquement au poids de la vieillesse. L’urgence n’est plus simplement de soigner les malades mais d’empêcher autant que possible la maladie. Désormais les progrès médicaux vont se concentrer sur les techniques et les solutions de prévention afin de maintenir le capital-santé de chacun. Ne pas tomber malade était le nouveau challenge pour l’industrie pharmaceutique. Une véritable filière de produits de la « gérontechnologie » s’installera progressivement dans le paysage social.

Les gériatres spécialistes du maintien de notre capital-santé sont en première ligne pour alerter les pouvoirs publics et interpeller les industries pharmaceutiques sur la nécessité de s’intéresser à cet or gris qu’étaient devenus les séniors désireux de rester aussi alertes et actifs que possible. En France, des gériatres et de gérontologues ont développé des offres de services spécialisés. Elles consistent dans un premier temps en un diagnostic approfondi des paramètres biologiques et physiologiques de leurs patients. Toute une batterie de tests qui évalue et mesure votre âge « biologique » ainsi que les carences ou les déséquilibres hormonaux qui pénalisent votre qualité de vie ou affectent votre patrimoine génétique. Les patients les plus âgés, ceux qui restent à domicile reçoivent une tablette connectée à un serveur qui contrôle les paramètres de santé sélectionnés. Les situations les plus délicates ou problématiques font l’objet d’un suivi partagé par les acteurs de la chaîne de santé concernés. Les hôpitaux n’ont pas tardé à suivre afin de s’insérer dans les écosystèmes de santé proposés par des sociétés de téléservices de santé.

Outils de médecine préventive à domicile

Il y a bientôt un siècle nous nous moquions volontiers de cette manie de certains japonais les plus aisés d’installer des toilettes qui recueillaient leurs déjections et leurs urines afin d’en analyser les caractéristiques. Aujourd’hui selon les résultats, le système informatique relié au laboratoire de la famille donne des informations sur les carences et les besoins de chacun en matière d’alimentation ou de compléments alimentaires. Le marché de la « gérontechnologie » s’intéresse à tirer parti de l’analyse régulière de notre biochimie corporelle. En Europe, Visistate, s’est spécialisé dans la fabrication de micro-appareils de mesure du sang mais aussi de l’eau. Branché sur votre W-C il analyse l’urine et fournit en direct des indications de santé sur son utilisateur récupérable sur son Smartphone. L’option désormais ouverte est celle de vous donner au jour le jour les oligoéléments, les molécules correctrices nécessaires au maintien optimal de votre forme, donc de votre santé. Aux Etats-Unis, lors de leur introduction en bourse, les start-up biotech reçoivent des apports de capitaux considérables d’investisseurs qui n’hésitent pas à prendre des risques impensables en France. Voilà pourquoi les activités les plus rentables de l’industrie pharmaceutique française se font « hors sol » ! Pfizer, Sanofi, Takeda, ont passé des contrats avec des laboratoires de biotechnologie afin de mettre au point des kits de diagnostics divers et variés installés majoritairement chez les particuliers. Par exemple, l’entreprise Scanacost, spécialiste de la médecine préventive à domicile propose son scanner permettant de collecter et stocker des informations sur les signes vitaux. Il suffit de placer les capteurs du scanner sur le front pour vérifier les signes vitaux, les analyser et suivre leur évolution. Cela permet d’accéder à des données que nous fournit notre corps au quotidien et donc de détecter les problèmes de santé plus tôt en prenant des mesures adéquates dès la détection de symptômes. L’offre de tests de diagnostic rapide de régulation de la biologie du corps explose sur des marchés en forte croissance : tests d’auto-mesure, suivi de la biologie moléculaire.

On a vu une majorité de pharmaciens s’équiper progressivement d’équipements d’autodiagnostics disponibles dans leur officine. Des mutuelles ont encouragé leurs clients à s’équiper d’outils de suivi propice à la prévention, par exemple, en mesurant la qualité de l’air afin de limiter les crises d’asthme ou d’allergie. Stimulés par le coût croissant de la santé, des informaticiens spécialisés en Big data ne cessent de proposer des logiciels d’aide à l’évaluation de l’état de santé d’un patient. Selon des chercheurs américains, l’utilisation de l’intelligence artificielle pour suivre un patient en cabinet ou à distance a fait passer le coût d’un traitement de 500 à 200 dollars. En fait, on l’aura compris, le maintien en bonne santé des individus est autant un objectif sanitaire qu’économique.

Notes:

(1). http://www.maxisciences.com/esp%E9rance-de-vie/l-039-esperance-de-vie-en-bonne-sante-en-leger-recul-en-france_art23823.html

Au sujet de Yan de Kerorguen

Ethnologue de formation et ancien rédacteur en chef de La Tribune, Yan de Kerorguen est actuellement rédacteur en chef du site Place-Publique.fr et chroniqueur économique au magazine The Good Life. Il est auteur d’une quinzaine d’ouvrages de prospective citoyenne et co-fondateur de Initiatives Citoyens en Europe (ICE).

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