Restructurations : le syndrome pandémique
Surmortalité, absentéisme, dépression, alcoolisme… Les restructurations ne détruisent pas seulement l’emploi, elles affectent la santé des salariés. C’est l’enseignement du rapport HIRES, première synthèse européenne du genre. Eloquent.
51 millions de nouveaux chômeurs dans le monde en 2009. Les projections du Bureau International du Travail (“Tendances mondiales de l’emploi” janvier 2009) sont des plus éloquentes quant aux effets immédiats des restructurations sur la planète sociale.
Des restructurations qui agissent comme des facteurs d’aggravation des inégalités, en frappant au premier chef les travailleurs précaires, les petites entreprises sous-traitantes et les territoires les moins nantis. Bref, autant de “cibles” qui ont moins que d’autres les moyens de supporter les impacts de la relégation sociale.
Une sur-fragilisation d’autant plus pernicieuse qu’elle dépasse les stricts déterminants objectifs du champ social. Lorsque l’on parle de restructurations, on pense immédiatement – et à juste titre – remise en cause des conditions de travail et menace sur l’emploi. Mais la crise touche également au plus intime et au plus vital, à la santé des personnes.
Rendu public le 15 janvier 2009 à Bruxelles, le rapport HIRES (Health in Restructuring), première synthèse européenne des études scientifiques et empiriques sur les impacts des restructurations, montre en effet que le processus de restructuration peut avoir un effet préjudiciable important sur la santé des salariés.
51 millions de nouveaux chômeurs en 2009 : “Potentiellement, les effets des restructurations sur la santé pendant la crise économique actuelle pourraient prendre des proportions identiques à celles d’une pandémie”, affirme le groupe d’experts HIRES.
«La crise a un impact évident sur les conditions de travail et la santé des salariés. Mais corrélation n’est en rien nouvelle, elle fait l’objet d’analyses depuis le XIXe siècle et la révolution industrielle. Il est d’autant plus surprenant de voir à quel point ce lien, malgré son caractère avéré, est occulté par le management», souligne Claude-Emmanuel Triomphe, co-fondateur d’Astrees (Association Travail Emploi Europe Société), ancien inspecteur du travail et coordinateur de séminaires européens HIRES.
Mortalité accrue
De fait, toutes les études compilées et commentées par le rapport HIRES convergent vers un constat sans appel : les effets avérés des restructurations sur la santé des personnes.
En étudiant les relations entre la privatisation de masse et les taux de mortalité dans 25 pays postcommunistes, des chercheurs britanniques (Stuckler, King & McKee, 2009) relèvent une augmentation de 12,8 % de la mortalité chez les hommes adultes. Un risque de mortalité accru, c’est également ce à quoi conclut une étude (Eliason & Storrie, 2004, à paraître en 2009) menée en Suède sur une période de 13 ans (1987-2000) et comparant la situation de salariés déplacés suite à la fermeture de leur entreprise à celle d’un groupe témoin “épargné”. Ce, au travers de données diverses : sorties d’hôpitaux, marché du travail, revenus et patrimoine. Objectif : analyser les effets, en termes d’hospitalisation, d’une perte d’emploi consécutive à la fermeture d’une entreprise. Que montre l’étude ? Que la perte d’un emploi frappe plus fortement ceux qui étaient déjà vulnérables. Que le stress dû à la perte d’emploi exacerbe ou aggrave une maladie ou un trouble existant plutôt qu’il ne les déclenche. Que les hommes entre 35 et 49 ans encourent un risque accru d’accident vasculaire cérébral. Que l’hospitalisation due à l’alcoolisme augmente à la fois pour les hommes et pour les femmes. Que le risque de mortalité globale était plus élevé pour les hommes quatre ans après la fermeture de leur entreprise.
“Les rescapés” ne sont pas épargnés
Une autre étude, menée celle-ci en Finlande montre en outre que les restructurations n’affectent pas que les salariés en perte d’emploi. Elles impactent également la situation – notamment l’état sanitaire- de ceux qui restent en poste dans l’entreprise restructurée. Ceux que les experts d’HIRES appellent “les rescapés”. Ils sont davantage sujets aux incapacités précoces et à une augmentation de l’usage des psychotropes (de 50% pour les hommes et 12% pour les femmes).
«Ceux qui quittent l’entreprise de leur propre chef sont souvent en meilleure santé mentale que les rescapés, alors que ceux qui sont obligés de partir et se retrouvent au chômage voient leur santé se détériorer (ils connaissent souvent des troubles dépressifs), ce qui contribue à rendre plus difficile encore leur retour à la vie active», note Claude-Emmanuel Triomphe.
Démédicaliser la question sanitaire
L’impact des restructurations relève d’une mécanique complexe, où les effets sanitaires s’avèrent trop diffus pour être considérés au prisme d’un strict regard médical. «Lorsqu’il est pris en considération, l’impact sanitaire des restructurations relève de la catégorie des risques psycho-sociaux. Cette association n’est pas satisfaisante car elle induit un contingentement à la sphère individuelle et à une lecture psychologique du problème. Or celui-ci devrait, aussi, être abordé au prisme d’un critère organisationnel», souligne Caude-Emmanuel Triomphe. Le rapport HIRES insiste d’ailleurs ici sur la nécessité de démédicaliser le problème et de projeter la réflexion sur les organisations. «La dimension de la justice, telle qu’elle est vécue par les salariés, est trop négligée, ajoute le co-fondateur d’Astrées. On ne traite pas l’impact sanitaire de la crise par des moyens sanitaires. En traitant la santé par la santé, on occulte l’essentiel du problème, c’est-à-dire la manière dont les entreprises, mais aussi plus largement nos sociétés, gèrent les restructurations».
Le constat n’est pas nouveau, mais il s’affirme avec une acuité accrue : il est De plus que nécessaire de mettre en œuvre une approche holistique de la problématique restructurations/santé, au travers de dispositifs susceptibles de mesurer les risques, de recenser les leviers de déclenchement, de parer au mieux les impacts pour la santé et d’assurer un suivi de la gestion sociale et sanitaire des restructurations.