Le premier congrès international du « féminisme musulman » s’est tenu à Barcelone du 26 au 30 octobre 2005. Organisée par la « Junta islamica » (association musulmane espagnole), la manifestation a reçu le soutien de la région de Catalogne et accueilli 400 personnes.

« Ce n’est pas l’islam qui opprime les femmes, c’est la lecture machiste qui en est faite ». Pourquoi une femme ne pourrait-elle pas prier à côté d’un homme ? Au nom de quel commandement divin ne pourrait-elle pas mener la prière si elle est la plus compétente pour le faire ?

Pour attirer l’attention sur ces questionnements, Amina Wadud, professeure d’islamologie à la Virginia commonwealth university, a dirigé une prière mixte à New York le 18 mars 2005. Son initiative, un aboutissement logique de son travail de relecture féminine du Coran, a choqué et les réactions ont souvent été très violentes. Pourtant, à Barcelone où vient de naître un mouvement international de « féminisme musulman », l’ambiance n’était ni à la revanche ni à la vindicte.

Des Américaines, Pakistanaises, Indiennes, Françaises, Malaisiennes, Espagnoles, Maliennes, Nigérianes ont simplement expliqué en public qu’elles rejetaient le dogme selon lequel toutes les religions oppriment par essence et entendaient donc défendre le droit des femmes à partir de leur référence musulmane. Militantes de terrain et intellectuelles se sont pour la première fois rassemblées devant un public pour exposer leurs situations, pour échanger leurs expériences, pour expliquer leur stratégie : « Nous n’acceptons plus qu’on parle à notre place, qu’on décide de ce que nous pouvons faire ou pas », a été l’une des phrases leitmotiv du congrès, formulée par la plupart des participantes.

Féminisme, religion et savoir

Entachée d’anti-religiosité et même de « maternalisme », l’expression même de « féminisme » a longtemps posé question, sinon problème. Asma Barlas enseigne les sciences politiques à l’université d’Ithaca à New York et reconnaît indubitablement « sa dette » envers les textes féministes qui lui ont fait découvrir la notion de patriarcat, lui ont fourni des outils de réflexion et donner des méthodes d’action. « Mais c’est bien dans le Coran que j’ai découvert l’égalité des hommes et des femmes, la nécessité de justice et d’équité », confie-t-elle.

Amina Wadud se dit, elle, « croyante avant d’être féministe. C’est au nom de l’islam et des valeurs qu’il défend que je me bats pour le droit des femmes à être reconnues comme des êtres humains ». Les approfondissements théologiques en donneraient la preuve, notamment parce que le Coran ne ferait pas de différence ontologique entre l’homme et la femme. Il pourrait faire référence à des fonctions, mais n’établirait jamais de hiérarchie entre les sexes ; « le croyant musulman » serait sexuellement neutre, sans aucune mention de « genre » (au sens de la construction sociale du « gender » anglophone).
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Avant tout, ces musulmanes intègrent le droit des femmes dans les « droits humains » qui promeuvent la liberté de religion certes mais aussi la liberté de s’exprimer, de travailler, de s’instruire, de vivre en sécurité et en paix. C’est bien au nom de la religion que Djiangarey Maiga, de l’association « Femmes et droits humains », se bat contre les traditions : « l’excision est toujours pratiquée dans le sud du Mali au nom de l’islam. Moi, je viens du nord, la première région islamisée où cette pratique est considérée comme païenne ».

Les moyens de cette lutte varient, mais « le principe de ré-interprétation des textes sacrés » – le terme « principe » est important, elles ne veulent pas imposer leur lecture – en est le fondement. Sans d’ailleurs présumer des résultats. Combien existe-t-il aujourd’hui de musulmanes reconnues comme « savantes » et dont les avis sont considérés comme valides par les autorités religieuses ? Quasiment aucune.

La formation, l’enseignement, l’apprentissage sous toutes ses formes ont été proclamés comme prioritaires parce qu’on « ampute des femmes de leurs libertés sans même qu’elles le sachent », affirme Djiangarey Maiga. Il leur faut donc accéder en même temps à la connaissance des sources et des interprétations musulmanes mais aussi à celles des droits fondamentaux, chacune à partir de son statut, de ses moyens et de sa culture : « En Malaisie, par exemple, 70% des étudiants à l’université sont des femmes, elles sont armées pour revenir vers le sens de leur religion », relate Zaïnah Anwar, directrice de « Sisters in Islam », mouvement de défense et de promotion du droit des femmes dans les pays musulmans.

La dynamique spécifique de ces musulmanes s’intègre à un mouvement beaucoup
plus large de réforme de l’Islam et qui se résume en quelques questions : qui interprète la parole divine du Coran, la vie et les propos du prophète ? Quelle est l’articulation légitime des autorités religieuses avec le pouvoir politique ? Des interrogations qui renvoient directement au mouvement réformiste chrétien. Les féministes musulmanes incitent les femmes à se réapproprier les textes dans le cadre de la tendance progressiste de l’islam qui encourage l’ensemble des croyants à le faire.

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D’un mouvement minoritaire à un combat global

Mais la minorité active, sereine et déterminée, qui s’est exprimée à Barcelone reste bien isolée, le mouvement des féministes musulmanes provoque une opposition diverse, profonde et puissante. Asma Barlas explique : « la majorité des musulmans accepte la vision patriarcale du Coran mais l’histoire nous a montré que la majorité peut se tromper ».

Puisqu’une alliance d’intérêt relie les conservateurs de toutes religions contre le droit des femmes, les féministes musulmanes se disent prêtes à travailler avec toutes les femmes et mouvements féminins, qu’ils soient religieux ou pas. « Baobab for human rights » au Nigéria est une coalition de diverses religions qui agit pour le droit de toutes les femmes, l’urgence étant de combattre l’application pour le moins « stricte » de la charia dans une partie du pays qui a condamné des « femmes adultères » à la lapidation. Le dialogue inter religieux entre féministes devrait donc logiquement se développer, tout comme les combats en commun avec des « non-croyantes ».

Aucune de ces fortes personnalités ne s’est autoproclamée gardienne, porte-parole ou garante d’un féminisme musulman qui existerait en lui-même, hors de tout contexte social, culturel ou politique. Cette volonté d’ouverture et d’inclusion, en commençant par les multiples pratiques musulmanes, a fortement irradié le congrès de Barcelone.

Ces « mauvaises filles de l’islam » ont des principes universels, une foi solide, une vision d’organisation plus juste de la société, des stratégies de lutte qui couvrent en même temps l’action sociale et la recherche théorique, autant de bonnes raisons pour être dénoncées à la fois par les structures religieuses traditionnelles et par les tenantes d’un féministe exclusif.

A partir d’une posture spécifique, elles viennent de faire leur entrée dans le combat global pour le droit universel des femmes. C’est le sens de l’histoire. Valentine Moghadam, sociologue et directrice de la section « Egalité des genres et développement » à l’Unesco, en conclut : « le discours féministe transnational pourrait bien se transformer en mouvement social ».

Au sujet de Nathalie Dollé

Diplômée de l’École Supérieure de journalisme de Lille puis détentrice d’un Master « information et éthique des droits de l’homme », Nathalie a quitté le groupe France-Télévision après 20 ans de carrière pour se lancer dans des missions autour de la presse et de la communication, en France et à l’international. Essentiellement pour l’Union européenne.

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