Les nouveaux enjeux de la formation professionnelle
Et si le travail devenait le lieu de son propre apprentissage ? Cette vision n’est pas nouvelle. Elle alimente depuis vingt ans les tenants de la didactique professionnelle. Et commence à intéresser le Législateur comme les partenaires sociaux.
L’accès à l’emploi et la sécurisation des parcours professionnels sont au cœur des grands enjeux sociaux. La formation professionnelle en France, on le sait, a davantage été conçue pour être garante des procédures mises en place par les organisations du travail que pour répondre à une mission d’insertion et de maintien dans l’emploi. Historiquement polarisée à l’extérieur des entreprises, portée aujourd’hui par une offre hypertrophiée (plus de 60 000 prestataires) qui alimente un modèle transactionnel de vente et d’achat, la formation s’inscrit dans une logique essentiellement gestionnaire. Même le compte personnel de formation abonde dans le sens d’un achat de la formation, cette fois-ci par le bénéficiaire.
Les avancées de la dernière réforme
En favorisant la fragmentation des acteurs et des responsabilités, la structuration historique du système de formation a creusé un fossé entre ce qui relève du travail et ce qui relève de l’apprentissage. Or, plus on rapprochera les situations pédagogiques et les situations de travail, plus on se donnera de chances de réussir les transferts de savoirs et de compétences. Cette articulation vertueuse entre travail et apprentissage, l’accord national interprofessionnel du 14 décembre 2013 et la loi du 5 mars 2014 sur la formation professionnelle la reconnaissent et même la revendiquent. Suppression de l’obligation fiscale, émergence de l’entretien professionnel, obligation d’un bilan tous les six ans, conseil en évolution professionnelle : la réforme de la formation enjoint clairement à repenser les pratiques dans une logique de développement des compétences.
Dépasser la dialectique acquis-non acquis
Les organismes de formation eux-mêmes se trouvent d’ores et déjà percutés par les changements à mettre en œuvre au titre de la nouvelle loi, contraints de repenser leurs ingénieries dans une logique de développement des compétences et non plus dans une logique d’imputabilité des dépenses. En outre, la réduction drastique des coûts et des temps de formation, si elle est bien sûr regrettable, a eu pour effet positif d’obliger les acteurs de la formation à repenser les liens entre la formation et le travail.
C’est également dans cette ligne de réflexion que partenaires sociaux et Législateur s’accordent aujourd’hui sur la nécessité d’élargir le périmètre de l’acte de formation classique pour mieux prendre en compte la pluralité des processus d’apprentissage au sein même de l’activité de travail.
Il apparaît en effet nécessaire de changer de paradigme, tant dans l’écosystème fonctionnel de la formation que dans les prérequis méthodologiques et la formalisation des ingénieries. L’objectif étant de dépasser la dialectique acquis-non acquis, pour entrer dans une dynamique de parcours, d’accumulation, de capitalisation et de valorisation de toutes les ressources qui caractérisent l’environnement professionnel : collectif de travail, aménagement du poste, ergonomie, organisation.
Les enseignements de l’ergonomie et de la psychologie du travail
Cette vision n’est pas nouvelle. Elle alimente depuis vingt ans les tenants de la didactique professionnelle, discipline fondée dans les années quatre-vingt dix par Pierre Pastré, inspirée de l’approche ergonomique, de la psychologie du travail, de l’ingénierie de formation des années soixante-dix. En faisant de la compréhension du travail une condition essentielle à la conception de formations professionnelles, la didactique professionnelle s’intéresse aux deux lieux où l’on apprend : la formation et le travail. Elle va donc observer comment les individus apprennent en formation et par la formation, et comment ils apprennent au travail et par le travail.
Le développement d’organisations apprenantes soulève des enjeux à la fois pluriels et interdépendants.
Enjeux de performance :
Flexibilité accrue de l’organisation.
Enrichissement du contenu et de la qualité des emplois grâce au développement de la polyvalence.
Accompagnement soutenu des évolutions technologiques.
Rétention et capitalisation des connaissances via le déploiement et d’approches et d’outils collaboratifs
Enjeux de santé :
Dépassement de la stricte reproduction des postures.
Acquisition et de appropriation des bons gestes de prudence et des savoir-faire de prévention des risques.
Enjeux de conditions de travail :
Maintien dans l’emploi des seniors dans de bonnes conditions grâce aux mobilités internes et aux missions de tutorat.
Meilleure intégration des nouveaux collaborateurs
Prévention de l’usure professionnelle
Meilleure coopération au sein des collectifs de travail.
Mais placer le travail au centre des dispositifs de formation ne va pas de soi. Il faut repérer les savoirs d’expérience qui échappent à l’activité prescrite, les faire décrire par les salariés expérimentés, doter les acteurs internes (salariés apprenants et expérimentés, collectifs de travail, managers) des outils et conditions qui permettront de formaliser les stratégies d’apprentissage et d’en tirer tous les bénéfices.
Développer des organisations apprenantes
L’approche appelle donc deux registres d’action : la description du travail et des mécanismes de constitution et de transfert des savoirs acquis en situation de travail (registre relevant de la didactique et/ou de l’ergonomie) ; la mise en œuvre par les entreprises des organisations qui permettront le développement des situations de travail formatrices (registre relevant de l’action politique et opérationnelle). Le travail n’est pas “apprenant” en soi. Bien souvent, il est non seulement indispensable d’adapter les situations de travail, mais il faut les simuler. La démarche appelle nécessairement un travail didactique de commentaire qui va permettre aux individus de réinvestir les situations de travail dans une logique d’apprentissage.
L’approche de la question de l’acquisition et de la transmission des savoirs d’expérience permet de réexaminer les liens entre travail et développement des compétences, d’interroger profondément le sens et les modalités du travail pour agir sur la qualité de vie des salariés.