Que penser de ce concept nouveau de « lanceur d’alerte » destiné à attirer l’attention sur des comportements frauduleux dans l’entreprise ? En vogue dans les entreprises anglo-saxonnes, le sujet intéresse peu à peu les tenants du développement durable. Faut-il y voir le risque de règlement de compte sous couvert d’éthique ou bien une rupture salutaire de silence complice ? C’est la question que se posent depuis quelque temps des experts, des responsables d’entreprise et syndicats en France.


Faut-il révéler les fraudes dans l’entreprise au nom de l’éthique et du développement durable au risque d’agir en délateur ? C’est l’un des thèmes des débats du Congrès de la CFDT du mois de juin 2005. Ethique ou déshonneur ?, titre, de son côté, le Cercle d’éthique des affaires qui a présenté un rapport sur le sujet en février dernier.

D’un côté, le whistleblowing renvoie à la délation et évoque les pires heures de la collaboration. De l’autre, ne rien dire lorsqu’on connaît la nature délictueuse crée de fait un comportement coupable. A l’étranger, le principe du whistleblowing est largement pratiqué, la dénonciation des fraudes et malversations étant quasiment normalisée. La législation américaine impose d’ailleurs aux filiales françaises que des procédures répondant à ce principe soient mises en place. « C’est un progrès », note Yves Médina, un des initiateurs de la réflexion sur ce thème, au nom de l’ORSE (Observatoire de la responsabilité sociétale des entreprises). « L’obligation de révélation facilitée par une ligne d’appel permet d’obtenir un suivi statistique des infractions rapportées. Les appelants doivent toutefois donner leurs noms afin d’éviter les dénonciations mensongères. »

Sujet tabou ? Pas pour tout le monde. Exemple : Shell France a mis en place un dispositif de whistleblowing pour être en conformité avec la politique de développement durable du groupe au niveau mondial, « en prenant soin de le décliner selon nos propres critères culturels », précise aussitôt Philippe Nagel, responsable des relations sociales. Et d’ajouter : « Notre culture est récalcitrante au « numéro vert ». De plus, un tel mécanisme ne peut être imposé d’en haut. Nous ne voulions pas exclure les syndicats de la discussion ».

Dès 2003, le groupe a mis en route un groupe de réflexion collégial qui s’est concrétisé en avril 2004 par le démarrage du Cap éthique (Comité d’application des principes de conduite). Il réunit des membres de la direction mais aussi les délégués de 5 représentations syndicales et un médiateur universitaire. L’objectif, qui reste éthique, est de réaliser une sorte d’audit des bonnes pratiques et d’observer si des dérives existent. « Nous orientons les whistleblowing autour des respects des principes de conduite. Il ne s’agit pas de créer un déversoir de rancoeurs ou un bureau des plaintes où on passerait son temps à démêler le vrai du faux mais de responsabiliser les gens, de faire évoluer les mentalités. La pérennité de l’entreprise est fonction du respect de l’éthique. Révéler la corruption est donc un fait positif », poursuit Philippe Nagel.

La procédure est simple, le salarié prend contact avec un membre du Cap éthique. Lorsqu’il y a saisine, le comité vérifie s’il y a réellement une anomalie et si cela mérite sanction ou pas. Lorsque la fraude est avérée, alors le méfait est dévoilé mais sans que celui qui a sonné l’alerte soit nommé, le risque pour le salarié restant une question importante. « La participation des syndicats au comité constitue un garde-fou, fait observer Philippe Nagel. De même la charte déontologique du Cap insiste sur la protection du salarié qui porte à sa connaissance un fait délictueux. »

Côté syndical

Côté syndical, on met en évidence plusieurs cas d’alertes lancés par des responsables qui ont été remerciés poliment après coup. « C’est le principe de responsabilité qui est au cœur du sujet », souligne François Fayol, secrétaire général de CFDT-Cadres, résolument opposé à l’esprit de délation qui existe dans le whistleblowing à l’anglo-saxonne. Et d’évoquer le cas de Kingfisher où le comité d’entreprise employés rejette ces méthodes.

Les employés refusent que sous couvert de transparence, le dispositif se transforme en instrument de dénonciation des salariés chapardant dans les rayons. « Pas question de mettre en place une police interne, enchaîne Patrick Jampy, délégué CFDT chez Shell France. Le lanceur d’alerte est là pour aider les cadres à se tirer d’un mauvais pas quand ils connaissent un dilemme éthique. Nous ne voulons pas de boite aux lettres anonymes ou de numéro vert à travers lesquels on peut dénoncer à tout va. Le signalement d’un fait délictueux ne doit pas être anonyme. Mais la confidentialité doit être assurée. Le mode de traitement doit être clairement établi. »

Le plus difficile est de faire reconnaître l’intérêt du dispositif par les personnels. Les responsables d’établissements ne sont pas très favorables. Quant aux salariés de la production, ce qui descend du haut de la hiérarchie est généralement considéré comme suspect. Le tempérament français est de dire : cela ne me regarde pas. Bref, un tel dispositif sera long à être accepté. Le problème central étant de savoir comment assurer la protection du salarié qui exerce cette alerte. Pour les syndicats ouverts à cette question, plusieurs conditions sont nécessaires afin d’arriver à un dispositif acceptable. Celui-ci doit être un outil de dialogue social, inclus dans une négociation.

Illustration : Noée

Au sujet de Yan de Kerorguen

Ethnologue de formation et ancien rédacteur en chef de La Tribune, Yan de Kerorguen est actuellement rédacteur en chef du site Place-Publique.fr et chroniqueur économique au magazine The Good Life. Il est auteur d’une quinzaine d’ouvrages de prospective citoyenne et co-fondateur de Initiatives Citoyens en Europe (ICE).

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