Le risque climatique, un enjeu économique à modéliser
Plus fréquents, plus intenses, plus coûteux, les événements climatiques extrêmes soulèvent des questions majeures de provisionnement, de prévention et de solidarité.
Le 31 mars 2014, le groupe intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) publiait le deuxième volet de son cinquième rapport intitulé « Changements climatiques 2014 : impacts, adaptation et vulnérabilité. Et la recension des impacts s’avère une fois de plus alarmante : sécheresses, inondations, pandémies, migrations, pénuries alimentaires, conflits… Les effets des changements climatiques se font déjà ressentir dans tous les secteurs et dans tous les milieux (agriculture, santé, écosystèmes terrestres et océaniques, approvisionnement en eau), et sur tous les continents et océans, des zones les plus riches aux plus pauvres.
Les premiers relevés climatiques ont été réalisés en 1880. Depuis, la planète s’est réchauffée en moyenne de 0,8°C. Si la tendance continue de s’accélérer, le réchauffement pourrait atteindre les 6,4°C d’ici 2100 (source GIEC).
Neuf des dix années les plus chaudes enregistrées depuis la fin du XIXe siècle se concentrent dans la dernière décennie. La période 2000-2010 a aussi connu un nombre record de précipitations extrêmes : inondations dramatiques au Pakistan en juillet 2010 (20 millions de personnes touchées, au moins 3 000 morts) et en Australie en décembre de la même année (2,5 milliards de dollars de dégâts). D’ici 2100, la proportion des terres exposées aux sécheresses extrêmes devrait passer de 3% actuellement (1% en 1952) à 30% de la surface terrestre totale. Or, la sécheresse des sols accroît les inondations : l’eau pouvant difficilement s’infiltrer, elle a tendance à ruisseler à la surface, à gagner directement les ruisseaux et les rivières et à générer des phénomènes de crues. D’ici 2100, les précipitations devraient augmenter 20% en Europe, en Asie du nord et au nord de l’Amérique du nord.
Autre tendance constatée par les climatologues : l’augmentation et l’intensification des ouragans, cyclones et tempêtes tropicales. 2004 a vu le plus grand nombre de cyclones jamais recensés au cours d’une même année, et le doublement des plus violents d’entre eux. C’est également en 2004 qu’un cyclone a été enregistré pour la première fois en Atlantique sud.
En 50 ans, des pertes économiques multipliées par dix
Les impacts conjugués du réchauffement climatique posent, entre autres enjeux, des questions économiques majeures. Comment modéliser le risque, comment le prévenir ?
La première lecture économique du réchauffement climatique date seulement de 2006 : le rapport Stern, du nom de l’économiste Nicholas Stern, résonne alors comme un coup de semonce. L’ancien vice-président de la Banque Mondiale annonce franchement la couleur : si les Etats tardent à mettre en place les politiques adaptées et à investir 1% du PIB mondial par an dans la réduction des émissions de gaz à effet de serre, le coût du risque climatique pourrait atteindre entre 5% et 20% du PIB mondial chaque année. A l’époque, cette vision alarmiste divise la communauté économico-scientifique. Approuvé d’un côté par un aréopage de prix Nobel (Stiglitz, Mirrlees, Solow), le rapport Stern fait de l’autre l’objet de vives critiques. Pour sa part, Nicholas Stern affirmera en 2008 avoir “gravement sous-estimé” l’ampleur du risque climatique.
En cinq décennies, alors que le nombre de catastrophes majeures a été multiplié par cinq, les pertes économiques consécutives ont été elles multipliées par dix. Pour la seule année 2011, l’ONU a enregistré 302 catastrophes naturelles qui ont provoqué le décès de 29 782 personnes, affecté quelque 260 millions d’êtres humains et infligé des coûts économiques jamais atteints, de l’ordre de 286 milliards d’euros, dont une grande partie imputable au séisme qui a touché le japon. Dans un rapport récent, Le GIEC augurait un surcoût de 30 milliards d’euros imputable à l’augmentation des événements extrêmes à l’horizon 2030.
Certes, le lien entre les évolutions du climat et l’intensification des catastrophes naturelles procède davantage d’un raisonnement inductif que d’une causalité scientifiquement avérée. Tout d’abord, quelle est la valeur réelle de constats qui portent au mieux sur des périodes de retour de 50 ou 60 ans – le réseau sismique mondial, conçu pour mesurer les effets de la bombe atomique, date de la fin de la seconde guerre mondiale – quand la mesure de l’évolution du risque climatique suppose que l’on puisse travailler sur des tranches minimales de 100 à 150 ans ? Ensuite, comment distinguer dans l’augmentation de la sinistralité économique les effets du réchauffement climatique de ceux de la croissance ? Un exemple : dans les régions à forte croissance, les ménages construisent des maisons de plus en plus grandes, dotées de plus en plus de valeurs, et qui sont de plus en plus nombreuses pour répondre aux contraintes créées par l’éclatement des schémas familiaux.
Des dispositifs de prévention des risques sous-exploités
Pour autant, face aux lignes de tendances dessinées par les experts, il semble urgent que l’ensemble des acteurs impliqués dans la réflexion sur les impacts du risque climatique engagent un travail de fond sur le champ de la prévention. En France, le risque lié aux inondations apparaît comme le plus préoccupant. En matière d’inondation, la prévention se gère au niveau d’une zone géographique, impliquant des choix en matière de permis de construire, de construction et l’entretien des digues, de systèmes d’évacuation des eaux, d’aménagement du territoire.
Le fonds de prévention des risques naturels majeur (FPRNM), appelé Fonds Barnier, a été créé en 1995 pour financer les politiques de prévention publique, les indemnités d’expropriation, les dépenses liées à la limitation de l’accès et à la démolition éventuelle de biens exposés, les études, travaux ou équipements participant à la prévention des risques naturels (PPRN).
Mais les dispositifs de prévention prévus par le législateur ne sont pas toujours suivis de mesures effectives. en 2011, seulement 37 % des communes exposées à des crues importantes disposaient d’un plan de prévention des risques inondation (PPRI) approuvé. Si les tempêtes constituent l’aléa climatique le plus coûteux sur ces 20 dernières années en France, les politiques publiques de prévention des tempêtes sont quasi-inexistantes.
La complexité des couches administratives de responsabilité et de décision agit comme un frein. Par ailleurs, une politique de prévention appelle une vision exhaustive, homogène et cohérente des zones exposées aux aléas naturels et des enjeux humains et économiques associés. Or, si La France ne manque ni d’experts, ni de modélisateurs, ni de climatologues de qualité, leurs connaissances sont trop cloisonnées pour permettre une vision globale des expositions.
Si le système français, basé sur la répartition des rôles entre acteurs publics et privés, a montré une bonne résilience et fait preuve d’une bonne stabilité dans le temps, il le doit en partie à la relative modération de ses aléas climatiques et naturels. L’Europe de l’ouest et en particulier la France bénéficient d’un climat particulièrement régulier avec une fréquence des événements extrêmes nettement plus faible qu’aux Etats-Unis par exemple.
Le chiffrage des dommages demeure très complexe
De manière plus générale, il reste très difficile de quantifier les dommages, a fortiori à l’échelle de la planète, où il bute sur de nombreuses questions méthodologiques, économiques et éthiques. Comment répartir le coût dans le temps, dans l’espace et dans la population ? Quelles coopérations mettre en place pour aider les pays en développement à supporter ce facteur supplémentaire d’aggravation de la pauvreté ? En Afrique, continent sans doute le plus vulnérable face aux catastrophes naturelles, pour compenser la faible présence des mécanismes assurantiels contre le risque climatique, un certain nombre d’initiatives sont nées, à l’image Planet Guarantee, lancé fin 2011 par PlaNet Finance, avec le soutien d’ONG comme Oxfram, d’institutions de microfinance (IMF), d’assureurs comme Allianz Africa. L’objectif étant de couvrir les agriculteurs par un système d’“assurance indicielle” : plutôt que d’indemniser après dommage, ce qui suppose une vérification sur place, le système repose que une modélisation de la variation du rendement en fonction de l’eau disponible dans le sol pendant la croissance de la plante.
Au-delà de ces initiatives salutaires, la modélisation des risques souffre
Encore aujourd’hui de certaines lacunes méthodologiques. L’évaluation des catastrophes est née dans les labos de recherche des campus américains et a trouvé ses première marques dans les années 90, après le passage de l’ouragan Andrew. Mais c’est véritablement avec Katrina, en 2005, que la modélisation est entrée dans un processus d’industrialisation, aujourd’hui dominé par des sociétés comme AIR, EQECat et RMS. Pour autant, les scénarios commercialisés rencontrent certaines limites. Prenons les trois grandes catastrophes de 2011 (Japon, Nouvelle Zélande, Thaïlande) : aucune n’avait été scénarisée. Pourquoi ? Parce qu’elles ont développé un niveau de complexité encore inédit, actionnant des dimensions multiples : naturelle, environnementale, économique, humaine.
Définir des mesures plus dynamiques
Les variables utilisées pour mesurer les risques reposent pour beaucoup sur des statistiques collectées dans le passé. Si l’on veut mieux provisionner, mais également mieux évaluer et mieux couvrir les risques, il faudra définir de nouvelles mesures, moins stationnaires – basés sur des statistiques collectées dans le passé – et plus dynamiques – prenant en compte les phénomènes avérés d’évolutions climatiques. Il faudra surtout améliorer des
systèmes plus adaptés à apprécier une situation constatée qu’à anticiper des situations à venir. L’évaluation économique du risque climatique appelle donc une réflexion en profondeur quant aux ressorts méthodologiques, aux mécanismes financiers, au partage des responsabilités. Ce, dans une logique d’équité et de solidarité rendue imparable par la globalisation des causes et des effets.