Face à la crise, la quête de modes d’organisation alternatifs est plus que jamais à l’ordre du jour. Une des perspectives de l’économie sociale est de faire preuve d’imagination pour développer la solidarité. Ses différentes formes d’expression, comme les coopératives, ont le vent en poupe.
« L’économie sociale doit inventer en débordant du seul discours qu’elle s’autorise à tenir, celui sur l’économie », et « retrouver une vision sociétale, facteur de démocratie, autant que d’intégration » explique Thierry Jeantet, directeur du Gie d’assurances Euresa et auteur de plusieurs ouvrages sur la question (1).
Aujourd’hui, les principes qui fondent les Scop sont sur le devant de la scène: mise en commun des moyens pour être plus forts ensemble, fonctionnement démocratique, accession à la responsabilité et à l’initiative économique. Cette triple ambition économique, sociale et de développement durable correspond à de nombreuses aspirations dans un contexte où davantage de solidarité s’impose face aux échecs de politiques prônant individualisme, profit à court terme, et trop grande concentration des capitaux.
Des valeurs, un engagement, une responsabilisation.
Dès lors, ce modèle s’appuyant sur une philosophie de partage des valeurs et de la valeur mais aussi de responsabilisation semble une réponse face certains errements. En voulant trouver le meilleur équilibre entre les intérêts de l’entreprise et ceux de ses salariés, dans le respect de leur environnement. Fondées sur la pérennisation de l’entreprise et l’implication démocratique de tous au projet commun, les Scop ou les sociétés coopératives sous leur différentes formes , sont finalement prédisposées aux notions devenues tant à la mode de développement durable et de RSE (responsabilité sociétale de l’entreprise). Leur mode de gouvernance et de management pourrait présenter une vraie alternative. Leur ambition n’est-elle pas de placer l’Homme au cœur de l’entreprise ? La Scop est une société dont les salariés sont associés majoritaires – dont ils détiennent au moins 51% du capital, et représentant au moins 65% des droits de vote- mutualisant équitablement les risques et les grandes décisions, selon le principe d’ « un associé = une voix ».
Valorisation du travail et la pérennité de l’entreprise plutôt que seule rémunération du capital. Les salariés associés décident ensemble des grandes orientations, du partage des bénéfices et désignent leurs dirigeants (gérant, conseil d’administration..). Un schéma qui conjugue en quelque sorte démocratie participative et démocratie représentative. De plus, cette propriété commune des salariés favorise non seulement la solidarité entre ses membres mais l’étend aux échanges avec les autres partenaires de l’entreprise (territoires, fournisseurs, clients, citoyens…).
Un schéma tourné vers l’avenir.
C’est aussi un mode de gestion résolument tourné vers l’avenir. La transmission aux générations futures fait partie du projet coopératif, en constituant des réserves qui consolident les fonds propres, qu’il s’agisse de coopératives récemment créées sur des secteurs à forte croissance ou de scoop nées de la transmission de PME-PMI à leurs salariés. Face au départ à la retraite de plusieurs milliers de dirigeants d’entreprises dans les 10 prochaines années, la reprise d’entreprises sous forme de coopérative apparaît comme une solution à mettre en avant. La Confédération générale des Scop a d’ailleurs signé avec le Crédit Coopératif et l’association APERE dans ce sens.
Cela ne veut pas dire que les Scop échappent à la crise, certaines connaissent comme toutes entreprises des problème financiers, de trésorerie, mais peut être représentent-elles un modèle qui correspond davantage aux aspirations du moment. Il est intéressant de souligner que sur des secteurs porteurs comme l’habitat durable et l’éco-construction, nombre d’entités récemment créées ont choisi ce mode de management conjuguant un état d’esprit responsable et durable.
Jean-Michel Mézange, co-gérant de Tierrhabitat, Scop nantaise créée en 2005 dans la construction bioclimatique met en avant le fait de devenir associé de son outil de travail, mais aussi l’échange des savoirs et des savoir-faire, et que chacun se sente responsable du bon fonctionnement de l’entreprise. Autre secteur en fort développement où le modèle coopératif fait recette, celui des services à la personne. A l’instar d’Alternative-Assistance Informatique, spécialiste du service informatique aux particuliers en Alsace, créé en octobre 2006. Pour son dirigeant, seule la Scop permet de placer les intérêts des clients et des salariés au dessus de ceux des financeurs.
Participation des salariés, motivation, projet commun, démocratie économique sont donc les valeurs « solidaires » qui animent les créateurs en Scop. Entreprendre dans le secteur de l’économie sociale offre finalement la possibilité de travailler en phase avec certaines de ses convictions personnelles. Ne revient-il pas à cette forme d’entreprises de démontrer que la mondialisation peut être acceptée à condition d’en changer le cours ? « Pour en changer le cours il faut qu’il y ait d’autres entrepreneurs qui se manifestent au niveau mondial, précisément les coopératives, les mutuelles et les associations. Elles doivent prouver que l’on peut être efficace à la fois dans le secteur marchand et profondément solidaire » conclut Thierry Jeantet.
(1) « l’Economie sociale, une alternative au capitalisme », par Thierry Jeantet, chez Economica, mars 2008
Eroski, la plus grande coopérative de travailleurs au monde
La coopérative basque Eroski spécialisée dans la grande distribution, filiale de la constellation coopérative Mondragon qui compte 264 entreprises , a donné son feu vert au projet EMES qui permet à 38.500 de ses employés de devenir membres et d’entrer dans son capital, ce qui permet ainsi d’achever le processus de conversion de l’ensemble de ses 52000 employés en associés-propriétaires de la coopérative. Et qui pourront ainsi participer à la gestion et aux résultats. Eroski, dont le siège est Elorrio, devient la plus importante coopérative du monde. En 2008, l’entreprise a distribué 47 millions d’euros entre les titulaires des « parts Eroski » au titre des intérêts correspondant au dernier exercice, elle a réalisé en 2007 un chiffre d’affaires de 7, 6 milliards d’euros avec 207 millions de bénéfices.
La courbe démographique des Scop en France est en bonne santé.
Témoin les chiffres pour 2008 font état de 1 916 entités, représentant 40 163 salariés (hors filiales) et 3,7 milliards d’euros de chiffre d’affaires, 1,7 milliards d’ euros de valeur ajoutée et 191 millions d’euros de résultat net. Le modèle est durable : le taux de survie des coopératives de production nées en 2002 est de 55% en moyenne, soit dans la fourchette haute des taux des entreprises classiques. Le pourcentage d’emplois existant toujours 5 ans après y est supérieur avec 72%. 77% des Scop issues de mutations (transformations, transmissions) existent toujours 5 ans après et 45% des coopératives issues de réanimations (entreprises qui ont failli disparaître) sont toujours existantes, avec un taux d’emploi de 81%.
Les Scop ont également illustré leur capacité de développement à l’international tel le Groupe Chèque Déjeuner, avec plus de 2,8 milliards de chiffre d’affaires et 1700 collaborateurs , qui est présent dans dix pays, devenu 3 éme mondial sur son secteur. Pour l’avenir, les dirigeants du mouvement des Scop souhaitent faciliter les regroupements inter-entreprises, et développer les partenariats pour doter les Scop d’outils financiers complémentaires qui leur permettent de mener leurs opérations de croissance externe, y compris à l’international.
Une reconnaissance européenne
Au sein de l’Union européenne, on dénombre environ 300 000 coopératives qui emploient 2,3 millions de personnes. Un pas supplémentaire a été franchi récemment avec la société coopérative européenne – SCE- enfin transposée en droit français en 2008. Les coopératives disposent donc d’un outil juridique opérationnel au niveau européen. Elles peuvent ainsi construire des partenariats économiques sans devoir renoncer à leur identité de coopérative. Ainsi plusieurs coopératives de nationalités différentes peuvent créer une filiale commune de droit européen. Le Règlement adopté en juillet 2003 par le conseil reconnaissait déjà les coopératives comme sociétés de personnes et leurs principes spécifiques dont l’engagement coopératif, le principe démocratique applicable dans l’Europe des 27.