L’islam entre « Lumières » et obscurité
Plusieurs notes éditées par la Fondation pour l’innovation Politique (fondapol.org) viennent éclairer les citoyens sur le rôle que peut jouer l’Islam de France. Cette série vient combler un manque : l’ignorance quasi générale des Français sur cette question. Une ignorance qui, à la faveur des raccourcis, aboutit au fait que un Français sur deux se dit hostile à l’Islam. C’est d’ailleurs le thème majeur de Marine le Pen, pour qui il suffit, avec facilité de remplacer le mot « émigration » par le mot « Islam » pour faire le plein de voix extrêmes
Il est vrai aussi que les autorités représentatives des Français de confession musulmane, n’ont sans doute pas assez fait entendre leur voix pour exercer une fonction pédagogique, et pour dénoncer les odieux crimes de l’hyperCacher et de Charlie Hebdo. Elles ont été trop promptes à accuser la société ou le système d’être les principaux responsables de la radicalisation des jeunes djihadistes, fournissant ainsi un alibi commode à ceux qu’elles considèrent comme des enfants perdus. Les voix qu’on a le plus entendu, du moins dans les médias, étaient celles qui répétaient qu’il n’y avait pas de fumée sans feu. La déraison de ces anti Charlie consistait à répandre l’ignominie selon laquelle si les Kouachi et Koulibaly ont tué les caricaturistes et les clients juifs de l’hypermarché, c’est que les victimes avaient des choses à se reprocher.
Le point d’orgue de cette inversion des rapports – la victime devient coupable, le coupable se transformant en enfant perdu, en damné de la terre, en pauvre colonisé – fut la légitimation des crimes par des radicaux qui, notamment à Copenhague, sont venus se recueillir sur le lieu où a été tué le meurtrier islamiste de Copenhague. Sur ce chapitre de la victimisation des assassins, la passivité des responsables a été incapable de produire un discours cohérent qui lève tous les doutes. Au lieu d’être en pointe sur la condamnation des agressions, le discours des autorités religieuses musulmanes (sauf quelques exceptions courageuses à Drancy, Bordeaux ou Lille) s’est cantonné à un attitude défensive : « notre communauté est la principale victime ».
Aussi bien est-il nécessaire de neutraliser ces confusions fautives en posant la question de la réforme de l’Islam de France. Pas simple. Comment réformer l’islam en France quand on sait qu’il y autant d’Islam que de musulmans ? « Islam de bazar, c’est le BHV » s’amuse Riss de Charlie Hebdo, dans son édito du 4 mars 2015. Il n’est pas sûr que l’Islam compatible l’emporte. « En 2006, au moment des procès des caricatures, le dessin représentant Mahomet avec une bombe dans le turban avait ulcéré, plus que tous les autres, les responsables du culte musulman en France », raconte Riss de Charlie Hebdo. «
Au lieu de s’interroger pour savoir si effectivement l’Islam ne pouvait pas être parfois à l’origine d’une certaine violence, ils préféraient balayer cette question d’un revers de manche en hurlant à la provocation et à la stigmatisation ». Le CFCM (Conseil français du culte musulman), contesté pour ce qu’il ne fait pas, a surtout mis de l’huile sur le feu, incapable de remplir son rôle de médiateur, d’initiateur d’un Pacte civique. La moindre question sur les excès de l’Islam est vite devenue une provocation. Les représentants du culte en France n’ont eu que le mot Paix à la bouche. Quelle paix ? Leur indignation à propos des massacres commis par Boko Haram, Daech, les églises brûlées, en Centre Afrique, les persécutions des Chrétiens d’orient n’a jamais dépassé le murmure.
« La religion est une chose trop sérieuse pour être confiée aux religieux » soutient Riss avec sagacité. Ce dernier se demande s’il ne faut pas remplacer les vieux imams par les philosophes, des esprits libres, des écrivains, comme Malek Chebel, Fethi Ben Slama, Abdelwahab Meddeb (disparu). La question se pose: l’augmentation du nombre de mosquées est-elle le moyen de normaliser l’Islam? Pas si sûre. Des objectifs méritent en tous les cas d’être poussés: la formation des imams et une meilleure diffusion des connaissances sur l’histoire de l’Islam.
Les Notes de Fondapol ouvrent le débat. La publication de ces textes dans la collection « Valeurs d’islam » permet d’apporter des éléments de contexte essentiels pour la compréhension du problème de l’être musulman dans son histoire. Cela va du rapport à la virilité et à la tendresse, des relations avec les femmes, jusqu’au rapport à l’image, au lien entre spiritualité et citoyenneté, entre la loi et la foi, en passant par la question de l’identité nationale, ou l’allégeance aux pays d’origine.
L’un de ces textes (le soufisme : spiritualité et citoyenneté) analyse le rapport entre lumière et obscurité. Il montre avec intérêt la production d’intelligence, de science et de culture apporté par l’âge d’or de l’Islam avant la renaissance. La pratique soufie, par exemple, qui a su dans son histoire inscrire la femme comme l’égale de l’homme, « convoque la raison, la bienveillance et le dépassement de soi », explique Bariza Khiari. On définit à partir du IX ème siècle l’humanisme comme « adib » relève Ahmed Bouyerdene (L’humanisme et l’humanité en Islam). « Ce mot prend le double sens de « lettré » et de « convenance morale ».
A cette époque de l’humanisme musulman, la confrontation des idées insiste sur l’esprit critique, la diversité des opinions, la responsabilité, le devoir. L’Islam spirituel s’oppose à l’Islam du sacré, mais la raison qui est considérée comme un don de Dieu n’a pas été sanctifiée comme elle l’a été après dans la chrétienté. Elle reste spirituelle et ne prend pas la voie philosophique des européens comme Descartes. Tandis que la tolérance pronée par les encyclopédistes, parmi lesquels se trouve Voltaire, s’installe, la convenance de l’Adib est la règle.
Réformer l’islam de France
Un pas a été franchi avec la mise en place par Bernard Cazeneuve d’une instance de dialogue entre les différentes composantes de l’Islam en France afin de rapprocher le monde musulman des valeurs de la République. Mais c’est aux citoyens en général, laïques ou religieux, de porter le débat sur la scène publique.