Grèce : l’épopée des 38 ouvriers de Vio.Me
Annette Preyer
L’usine Vio.Me se trouve dans la banlieue de Thessalonique. Un membre du mouvement de solidarité avec les ouvriers de Vio.Me m’a décrit le trajet : bus 2, 3 ou 8, descendre à l’arrêt avant Ikea. Puis une allée de cyprès. Seulement quatre voitures sur le parking, pas de vrai portail ? Est-ce bien ici ?
Christos Baras, le seul des 38 ouvriers de Vio.Me qui parle anglais, vient me chercher. Nous rejoignons ses collègues installés pour un mix de pause et d’assemblée quotidienne. A l’ombre sur une plateforme de chargement, ils discutent dans une atmosphère chaleureuse et détendue, certains avec l’obligatoire café frappé à la main (qui semble avoir remplacé le café traditionnel que nous appelons « turc »).
Christos me montre la production.
Autrefois 72 salariés fabriquaient ici des colles et des enduits pour carrelage. La faillite de la maison mère entraîne l’usine dans sa chute. En juin 2011, la direction disparaît sans laisser d’adresse. Pendant un mois, les ouvriers continuent la production. Mais aucun camion ne peut plus entrer ni sortir. Le 8 juillet 2011 c’est la fin. Une date que Christos n’oubliera jamais. Au contraire de toutes les autres dates mentionnées dans la suite de la conversation qui resteront approximatives.
Les employés de bureau, les agents de maîtrise et les techniciens (à l’exception d’un électricien et d’un mécanicien) s’étaient déjà avoués vaincus. Mais 38 ouvriers croient toujours en la santé structurelle de leur usine et remuent ciel et terre pour reprendre la production en tant que coopérative.
Un mouvement de solidarité très large se développe à Thessalonique, en Grèce et en Europe.
Soutien moral et matériel dont les 38 ont cruellement besoin. Ils ne sont pas officiellement licenciés et ne peuvent donc s’inscrire comme chômeurs. Trouver un autre travail relèverait du miracle. Les petits boulots – plomberie, menuiserie, peinture, jardinage – et les emplois des épouses (les 38 Vio.Me sont tous des hommes) ne suffisent pas à joindre les deux bouts. Et au fond, ce qu’ils désirent vraiment, c’est produire. D’où la question : « que pouvons-nous fabriquer avec nos machines, destinées à mélanger et conditionner des liquides ? »
Dans le mouvement de solidarité il y a des écolos. Alors, un jour, émerge l’idée de produire des détergents bio. Ceux qu’on trouve dans le commerce sont pour la plupart importés et chers. Voilà enfin une perspective concrète qui les mobilise tous. Un petit producteur de savon bio leur fournit une première recette. Consultation d’ouvrages de chimie, d’internet, d’un professeur de la fac de Thessalonique, de quoi expérimenter et tester des mélanges.
Mi-mai 2013 ils sont prêts. Les premiers flacons de lessive, de liquide vaisselle et de savon sont étiquetés Vio.Me. Le design laisse à désirer aux yeux de Christos (et je partage son avis) sans affecter son enthousiasme. Avec une satisfaction non dissimulée il montre les nouveaux produits à l’essai.
L’activité paraît plus artisanale qu’industrielle, les bâtiments semblent surdimensionnés. Comme un pied de petite fille dans les escarpins de sa mère. En même temps, le professionnalisme des ouvriers est évident, chacun maîtrise chaque étape du processus de production. Il a aussi fallu se mettre à la gestion. « Dur, mais enrichissant, » estime Christos, actuellement affecté à l’entrepôt. Sa femme est comptable et l’a aidé à comprendre les subtilités des stocks et des flux. Néanmoins, il attend avec impatience la prochaine rotation des postes.
Toutes les décisions, de la répartition du travail aux orientations stratégiques sont prises en assemblée générale, tenue presque tous les vendredis.
La situation des Vio.Me est précaire et les menaces nombreuses.
L’entreprise en faillite a ainsi d’énormes impayés chez les fournisseurs d’électricité et d’eau. Pour l’instant les coupures ont été reportées. On négocie un transfert de l’abonnement au nom du syndicat. La distribution, ensuite, est loin d’être facile. Sans statut juridique on ne peut pas vendre et encore moins exporter.
Pourquoi ne se font-ils pas prêter un bâtiment industriel abandonné, ailleurs, ne créent-ils pas une coopérative ex nihilo afin de pouvoir produire « en règle » ? « Ce n’est pas possible, tranche Christos, car nous perdrons le mouvement de solidarité. Les Grecs pensent avec leurs émotions. Et puis le déménagement des machines aurait un coût que nous ne pouvons pas financer. »
Néanmoins, les Vio.Me arrivent d’ores et déjà à se payer 10 euros par jour alors qu’ils vendent 1 euro ce qui en coûte 8 dans le commerce officiel. Ils espèrent passer à 20 bientôt. Un salaire de 700 à 800 euros par mois semble bien à leur portée !
reportage réalisé en juillet/août 2013
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