Florent Olivier : »Les conditions de travail des jeunes chercheurs se sont dégradées »
L’hiver dernier, les chercheurs manifestaient leur mécontentement en raison des coupes budgétaires et des déficits de postes. Un an plus tard, de nombreux problèmes subsistent. Entretien avec Florent Olivier, Président de la Confédération des jeunes chercheurs (CJC).
Evelyne Jardin : Pourquoi les jeunes chercheurs ont-ils créé une Confédération ?
Florent Olivier : Il y a une dizaine d’années, des doctorants (préparant leur thèse) et de jeunes docteurs de disciplines et d’origines géographiques variées, se sont spontanément rassemblés sur Internet. Ces échanges fructueux ont permis de réunir des témoignages, de prendre conscience de la similitude des situations vécues un peu partout en France et d’organiser une réflexion commune poussée, qui a abouti à la rédaction de documents décrivant la situation des jeunes chercheurs, accompagnée de propositions concrètes pour améliorer celle-ci.
Ces jeunes chercheurs se sont alors organisés en local sous forme d’associations implantées soit dans leur centre de recherche comme l’Association des doctorants de l’Institut Curie (ADIC), soit dans leur établissement supérieur comme l’Association des étudiants de 3ème cycle en Economie et Sociologie du travail de l’université d’Aix en Provence (DECLIC).
Puis, la CJC a regroupé nombre de ces associations (il suffit qu’elles en expriment le désir), leur offrant une plate-forme de discussion et de collaboration, ainsi qu’une visibilité et une voix cohérente au niveau national, ce qui permet de faire évoluer certaines situations. Les thématiques abordées relèvent souvent de questions liées au financement, aux conditions de travail, aux droits sociaux inhérents, ou à l’encadrement.
Par exemple, les doctorants étrangers se retrouvent presque systématiquement en situation illégale en début ou en fin de thèse du simple fait de la complexité administrative impressionnante qu’ils doivent affronter et du manque de statut du doctorant.
Tous les membres d’une association adhérente à la CJC peuvent avoir accès à un intranet collaboratif et s’inscrire sur différentes « mailing lists », ces dernières traitant de thématiques précises telles que la situation des jeunes chercheurs étrangers, du monitorat, de l’Europe de la recherche, des libéralités…
E,J : Vous avez remis l’hiver dernier un Rapport sur les conditions de travail illégales au ministre déléguée à la Recherche de l’époque, Mme Haigneré, quels en sont les principaux enseignements ?
F.O. : Le statut des jeunes chercheurs qu’ils soient doctorants ou docteurs, est ambigu. Malgré un processus de professionnalisation engagé dès 1976 via la création de l’allocation de recherche (un contrat à durée déterminée qui permet de financer le doctorant durant toute la durée de son travail de recherche), leur apport à la production scientifique est souvent minimisé.
Depuis plusieurs années, leurs conditions de travail se sont dégradées avec un accroissement des rémunérations par des libéralités, c’est-à-dire des financements de type « bourses » qui ne donnent pas droit à une couverture sociale : absence d’assurance maladie, d’assurance chômage ou contre les accidents du travail, de congés, de cotisation pour la retraite à un âge déjà avancé, certains jeunes chercheurs ayant dépassé la trentaine. Une jeune femme brillante qui enchaînait ce type de financements s’est même vue refuser l’accès de son enfant à la crèche car elle n’avait jamais été déclarée comme travaillant !
E,J. : Des jeunes chercheurs travaillent « au noir » selon vous, qui les emploie ?
F.O. : Les institutions administratives (collectivités territoriales ou ministères) et les associations caritatives (dépendant donc du droit public également de par l’origine des fonds qu’elles brassent) sont de gros pourvoyeurs de ces emplois.
Ces dernières financent souvent des recherches dans les sciences de la vie, disciplines où cette situation est particulièrement fréquente. Des organisations-écran (associations ou fondations) servent, par ailleurs, d’intermédiaire entre l’employeur et le jeune chercheur, dissociant faussement le commanditaire de l’employeur, ce qui a pour effet notamment de noyer la responsabilité de chacun tout en renforçant de fait l’efficacité du contrôle des recherches menées. Les jeunes chercheurs sont dans un état de subordination de par la précarité engendrée mais sans lien de subordination direct, comme lorsqu’un contrat de travail est signé entre un employeur et un employé. L’emploi dissimulé de chargés de recherche contractuels financés par des libéralités est beaucoup plus répandu qu’on ne pourrait le croire.
E,J : Quelles solutions propose la CJC pour faire sortir de l’illégalité ces jeunes chercheurs ?
F.O. : Une prise de conscience de l’ensemble de l’écosystème est nécessaire, tant des financeurs eux-mêmes que de toutes les personnes dans les laboratoires pour qu’elles refusent d’utiliser ce type de financements qui semblent avoir beaucoup d’avantages (notamment celui d’exister) mais se révèlent pernicieux.
Les institutions réagissent petit à petit au risque évident que cela représente pour elles. Il faut aussi inciter les associations caritatives à salarier les jeunes chercheurs. Trop d’organismes n’ont pas encore compris qu’elles risquaient de lourds ennuis judiciaires et fiscaux. Des régularisations qui se sont produites dans quelques associations très connues, via un protocole d’accord avec le ministère, ont montré que cela s’effectuait au profit de chacun. Toutes les associations doivent se sentir concernées et passer à l’acte. Les écoles doctorales implantées dans les établissements supérieurs pourraient veiller à l’application de ces bonnes pratiques. Nous allons entamer un recensement des libéralités qui persistent.
E,J : Outre la question des libéralités, l’insertion professionnelle des jeunes chercheurs peut-elle aussi inquiéter (voir encadré) ?
F.O. : Il y a environ 10 000 nouveaux docteurs par an. Les débouchés dans la recherche et l’enseignement supérieur publics ne sont seulement que de l’ordre de 3 000 postes annuels. Et encore, la Loi d’Orientation et de Programmation de la recherche actuellement en cours de négociation ne prévoit pas le renouvellement des départs en retraite dus au pic de la pyramide des âges de ces personnels (1).
Il faut ajouter encore les docteurs des années précédentes en concours pour ces mêmes postes. Rappelons que tous ces chercheurs diplômés ont développé au cours de leur thèse des compétences de travail en équipes souvent internationales, de gestion de la complexité, de gestion de projets souvent coûteux, de prise de décisions pour respecter les deadlines…
Autant de qualités qui pourraient favoriser leur insertion dans le secteur privé. Néanmoins, les grandes entreprises, dans le contexte socio-économique international actuel, considèrent avoir complété leur potentiel de recrutement de docteurs en Recherche & Développement.
D’autres types de fonctions où les compétences acquises s’avèreraient utiles peuvent néanmoins être développés. Les PME, aussi bien start-up que d’autres plus classiques, forment un creuset d’emplois largement méconnu. D’une part, ces entreprises n’ont pas l’habitude d’employer des docteurs, d’autre part ceux-ci ne songent pas forcément à y postuler. Il faudrait recréer de la communication entre le système universitaire et l’entreprise ; toute communication repose sur une base d’acceptation et de respect de l’autre, d’où notre demande de reconnaissance du niveau « doctorat » dans les conventions collectives (2). Ceci n’entre pas en contradiction avec une demande forte d’une recherche publique plus accueillante et plus juste pour les jeunes chercheurs.
Entretien réalisé par Evelyne Jardin
Site Internet : http://cjc.jeunes-chercheurs.org/
(1) Cf. Population et société, N°403
(2) La CJC propose une pétition pour la reconnaissance du doctorat dans les conventions collectives sur son site.
Sites Internet |
Quel avenir après la soutenance de thèse ? Le Céreq (Centre d’études et de recherche sur les qualifications) a suivi trois cohortes d’étudiants ayant soutenu leur thèse en sciences et en sciences humaines et sociales en 1994, 1996 et 1998. Etre titulaire d’un doctorat, est-ce « rentable » ? L’un des plus hauts diplômes du supérieur protège-t-il du chômage et permet-il d’accéder à de meilleurs emplois ? Une première étude réalisée en 1999 tirait la sonnette d’alarme : être docteur ne protégeait malheureusement pas du chômage et de la précarité. Le début des années 1990 était difficile pour les jeunes docteurs corrélativement à deux phénomènes : l’accroissement de leur nombre et le tarissement des postes dans la recherche et dans l’enseignement supérieur. Un goulet d’étranglement pour accéder aux postes de chercheur et d’enseignant chercheur allongeait la file d’attente. Du coup, les docteurs devaient accepter des emplois précaires, parfois même sans couverture sociale, et un nombre non négligeable d’entre eux était au chômage. Néanmoins, les chercheurs du Céreq notaient que trois ans après la soutenance, les docteurs s’en sortaient globalement mieux que les étudiants de 3e cycles en terme de salaire, d’accès au statut « cadre »… même si certains continuaient à « galérer ». A la fin des années 1990, une nouvelle étude réactualise la situation des docteurs vis-à-vis de l’emploi et dresse trois constats. Premier constat : juste après la soutenance, la précarité n’a pas décru chez les jeunes chercheurs. La part des emplois temporaires a, au contraire, augmenté. En 2001, 47 % des docteurs étaient employés en contrat à durée limitée, contre 43 % en 1997. Mais, attention, cette précarité n’est pas de même nature selon que les docteurs occupent des postes d’ATER (Attaché temporaire d’enseignement et de recherche), l’une des meilleurs voies pour accéder à un poste d’universitaire, et selon qu’ils accumulent des contrats de recherche ou des post-doctorats. Deuxième constat, en 2001, le taux de chômage est en baisse un an après l’obtention du diplôme. Reste, la situation des docteurs est beaucoup plus difficile que celle des jeunes diplômés sortant d’écoles de commerce ou d’ingénieurs, avec des taux de chômage respectifs de 14,1%, 9,2% et 8,1%. En revanche, elle demeure plus favorable que celle des détenteurs d’un DEA ou d’un DESS. Troisième constat, tous les docteurs ne sont pas logés à la même enseigne. Les docteurs en sciences de la vie, en chimie et en sciences humaines présentent des taux de chômage supérieurs de deux à six points par rapport à la moyenne des docteurs, un an après leur soutenance. Ce sont les diplômés en droit, sciences économiques et gestion qui tirent le mieux leur épingle du jeu avec un taux de chômage de 9,9 %. Est-ce par ce qu’ils ont trouvé des emplois dans le secteur privé ? Il n’en est rien puisque les trois quarts d’entre eux ont accédé à un poste dans la Fonction publique. Les docteurs de cette section ont pu bénéficier de l’accroissement des effectifs d’enseignant chercheurs de l’ordre de 78% entre 1993 et 2004, si l’on en croit les statistiques du ministère de l’Enseignant supérieur . La situation n’apparaît pas si favorable pour leurs collègues en sciences humaines car trois ans après la soutenance, 20,3% sont encore au chômage et certains ont dû se rabattre sur des emplois où ils sont déclassés. Trois ans après la soutenance de leur thèse, ce sont les docteurs ingénieurs qui jouissent des meilleures conditions d’insertion professionnelle tant du point de vue de la stabilité de l’emploi que du salaire. Ce sont aussi ceux qui sont proportionnellement les plus nombreux à avoir décroché un emploi en R&D dans le secteur privé. Pour les docteurs en sciences humaines et sociales, au regard seulement du salaire, c’est le secteur public qui demeure attractif. Doit-on l’expliquer par un problème de reconnaissance des compétences des docteurs dans ces spécialités, du côté des entreprises ? Ou, du côté des docteurs, par une méconnaissance des ressources transférables à l’entreprise ? Sources : |