Le lobby anti-éolien qui, en France, donne de la voix, est alimenté par le refus de voir l’Allemagne imposer ses conceptions énergétiques à l’Europe.

D’abord, quelques repères. Le nucléaire fournit les trois quarts de la consommation française d’électricité, et les énergies renouvelables environ 7% – soit environ dix fois moins. Parmi les renouvelables, l’hydroélectricité prend une part de quelque 85% (lorsque la pluviométrie s’y prête)… et l’éolien 6%. Soit environ 1% de l’énergie totale consommée en France. Aussi, lorsqu’on assiste à une levée de boucliers contre la poussée de l’éolien qui mettrait en péril la politique nucléaire française, on peut s’interroger sur le bien-fondé d’une réflexion qui occulte le fait que, entre les deux données du problème, on est aujourd’hui, d’après les statistiques de la Direction générale de l’énergie et des matières premières, dans un rapport de 1 à 75.

Des renouvelables en retrait

Ensuite, allons un peu plus loin. En 1990, la part d’énergies renouvelables dans la consommation française d’électricité se montait à 15% grâce à l’hydroélectricité. Cette proportion s’est approchée de 20% en 1994, mais elle n’était plus de 13% en 2007. En cause, la progression de la consommation électrique qui a augmenté plus vite que la capacité des énergies renouvelables. Et on sait aujourd’hui que l’objectif de 21% d’électricité d’origine renouvelable en 2010 ne sera pas atteint. Au mieux, avec beaucoup de volontarisme et si la pluviométrie est favorable, les spécialistes tablent sur 17%. Dans deux ans, la France n’aura donc pas tenu ses engagements en matière d’énergies renouvelables vis à vis de l’Europe. Et par rapport à l’entrée en vigueur en 1994 de la Convention cadre des nations unies sur les changements climatiques adoptée deux ans plus tôt à Rio de Janeiro et ratifiée par la France, la proportion de renouvelables a reculé dans l’Hexagone.

La France compte aujourd’hui environ 2.000 éoliennes. Compte tenu des objectifs du Grenelle de l’environnement, on peut estimer à 8.000 le nombre d’aérogénérateurs qui devront être installés dans l’Hexagone (dont un petit quart en mer grâce à des installations off-shore). Quatre fois plus qu’aujourd’hui qui pourraient permettre de produire, grâce aux progrès technologiques, 10% de la consommation d’électricité – ce qui paraît bien optimiste, même si on considère que les installations off-shore, mieux acceptées par les défenseurs de l’environnement, permettent d’utiliser des aérogénérateurs de plus forte puissance. Quelle que soit la progression, les ordres de grandeur ne sont pas bouleversés. Aussi, de quelle guerre de religion parle t-on lorsque les anti-éoliens montent au créneau pour la défense du nucléaire ?

Un face à face complexe

Le débat qui se développe en France prend ses racines dans la politique européenne. Et dans le face à face, en matière d’énergie, entre la France et l’Allemagne. Les positions symétriques des deux pays ne sont pas nouvelles. Ainsi lorsque la France fit le choix de l’hydroélectrique dans les années 50, l’Allemagne poussait les feux du thermique. Plus tard, la France a fait le choix du nucléaire, seul capable à ses yeux d’assurer son indépendance en matière de production d’énergie électrique. Ce choix sert la réduction des émissions de gaz à effets de serre, et s’inscrit favorablement dans le respect du protocole de Kyoto. L’Allemagne a fait un autre choix : pour se détourner du nucléaire, elle privilégie les énergies renouvelables… et le charbon. « Ce choix a été le résultat de la pression exercée sur l’ex-chancelier Schroeder par une alliance rouge-vert, les uns voulant défendre les débouchés du charbon dans la production électrique, les autres donnant la priorité les énergies renouvelables », dénoncent le lobby anti-éolien français, estampillé à droite.

Mais sans nucléaire, le bilan carbone de l’Allemagne est particulièrement mauvais : toutes activités confondues, un Français émet 40% de CO2 de moins qu’un Allemand. En limitant ce bilan à la production d’électricité, le rapport lui est encore plus défavorable. Pourtant, la première économie de l’Union européenne a mis au point un programme ambitieux de soutien au développement des énergies renouvelables, sur le mode de ce que la France a introduit plus tard, avec des rachats obligatoires des énergies produites à des tarifs très avantageux et sur des périodes longues fixées par contrat. Ce qui ne l’empêche pas de faire toujours mauvaise figure en matière de CO2 comparativement à la France. Certes, il est beaucoup question de « charbon propre », concept impliquant de produire de l’électricité à partir du charbon en stockant le CO2 dans des cavités souterraines et des aquifères. Mais le principe pose encore maints problèmes, dont l’acceptabilité par le corps social de telles concentrations souterraines de gaz carbonique. Comme pour les déchets nucléaires.

C’est alors que le lobby français du nucléaire donne de la voix. Pourquoi la France – et l’Europe toute entière – devrait-elle se laisser imposer cette priorité donnée aux énergies renouvelables, décidée en Allemagne pour des raisons électoralistes, très coûteuse et à l’origine d’une politique énergétique qui ne permet pas de tenir les engagements pris contre le réchauffement climatique ? Pourquoi, en résumé, céder au lobby allemand de l’éolien ? Lobby contre lobby : c’est dans ce cadre que le Comité stratégique sur le coût des énergies renouvelables animé par l’ancien président Valéry Giscard d’Estaing, a vu le jour. Non pas pour défendre une option nucléaire qui, en France, n’est pas remise en cause. Mais pour défendre l’idée que, puisque le nucléaire existe, l’éolien est superflu, surtout au prix des subventions consenties.

Une subtile complémentarité

Veut-on nous démontrer que le kWh d’électricité verte revient plus cher que le kWh nucléaire ? C’est possible, mais la problématique est ailleurs : dans la perspective d’augmenter les capacités de production d’électricité non émettrices de CO2, toutes les solutions doivent être mises en oeuvre. Car le nucléaire pose le problème de la gestion des déchets. Aussi, lorsqu’on est dans un rapport de 1 à 75, il y a de la marge pour produire des kWh qui ne produisent ni gaz à effets de serre, ni déchets. Les éoliennes mettraient-elles en péril l’avenir de l’EPR, la centrale nucléaire de troisième génération ? Là encore, compte tenu des modes de vie, des consommations toujours plus élevées d’électricité quelles que soient les campagnes de sensibilisation menées pour inciter à économiser l’énergie, les deux modes de production ne s’excluent pas. Sauf à vouloir multiplier les EPR en France… ce qui déclencherait un rejet plus fort qu’aujourd’hui de ces centrales par le corps social. Parle-t-on des centrales de quatrième génération, qui présenteront l’avantage de consommer une grande partie de leurs déchets ? Certes, mais le relais ne pourra être assuré avant au moins le milieu du siècle à l’échelle industrielle. Or, la durée de vie d’une éolienne est d’une vingtaine d’années, et le démantèlement d’un parc d’éoliennes ne pose pas les mêmes problèmes qu’une centrale nucléaire…

Les choix techniques ne s’excluent pas, ils se complètent. Les affrontements politiques subsistent, qui ne combinent pas forcément réalisme et efficacité. La France a, au contraire, tout à gagner à se doter d’un vrai bouquet énergétique qui laisse une véritable place à chaque technique de production dès l’instant où elle fournit un élément de réponse à un besoin global. Toute autre approche n’a guère de chance de devenir légitime au regard d’un débat qui transcende les stratégies d’influence réductrices et les approches comptables restrictives.

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