Endeavor, vu par ses promoteurs et une entreprise cooptée
Annette Preyer
Fondé en 1997 aux États-Unis, Endeavor Global a pour but de promouvoir l’esprit d’entreprise et d’aider les entrepreneurs dans les pays émergents. L’organisme accompagne dans la durée les entreprises sélectionnées.
En septembre 2012, Mareva Grabowski fait venir Endeavor en Grèce et intègre la première entreprise en octobre 2012.
Le réseau Endeavor vu par ses promoteurs
Mareva Grabowski reçoit dans les bureaux d’Endeavor Greece à Kolonaki, quartier chic et d’affaires d’Athènes. Elle arrive en retard – « je suis toujours en retard » – et surveille attentivement son téléphone. Elle vient de mettre sa fille de dix ans dans l’avion. « Les troisièmes enfants sont censés être indépendants. La mienne n’aime pas quitter la maison. »
Fine et élégante, harmonieuse d’aspect comme de style, Mareva engage un rapport direct et simple. Elle prend son temps pour trouver le mot juste. Volonté et détermination se dégagent d’elle.
Diplômée de Boston, Columbia et Havard, Mareva a passé douze ans à la Deutsche Bank à Londres, côté banque d’investissement et gestion d’actifs jusqu’en 2007. Elle crée alors sa première société MG Capital Advisors à Genève. Mariée à Kyriakos Mitsotakis, depuis juin 2013 ministre de la réforme administrative, Mareva est consciente de faire partie de l’élite grecque et estime qu’elle doit de ce fait contribuer au changement dans la Grèce a besoin.
La création récente de Zeus+Dione, sa propre marque d’habillement, va dans ce sens. Dans les villages grecs, Zeus + Dione organise la transmission à des jeunes du savoir-faire de femmes âgées, expertes dans l’art du travail de la soie, du tissage, de la broderie ou du cuir. Les musées fournissent les modèles des vêtements mis au goût du 21ème siècle pour les collections. Mareva espère ainsi sauvegarder et développer les savoir-faire de l’artisanat traditionnel menacés de disparition par l’exode rural, mais qu’elle a identifiés comme un avantage compétitif pour le pays.
Endeavor Greece, un autre projet dans lequel elle s’investit depuis deux ans, est là pour développer l’esprit d’entreprise. Elle en entend parler pour la première fois en août 2011, lors d’un dîner d’affaires à Istanbul. La nuit même, elle contacte la patronne d’Endeavor Global à New York. « Certes, Endeavor ne va que dans les marchés émergents, commente Mareva, et les Grecs me tueraient si j’appelais la Grèce un marché émergent, mais … En Grèce, l’écart s’est creusé entre les riches et les pauvres. Les classes moyennes souffrent le plus de la crise. Il s’agit de recréer ce segment moyen qui fonde la productivité et l’équilibre de la société. C’est là qu’on trouve les gens diplômés, grands travailleurs, qui acceptent de faire des sacrifices pour progresser. »
Le projet est mené tambour battant. Mareva embauche deux étudiants stagiaires pour l’aider à faire le tableau de l’entreprise en Grèce et du rôle qu’Endeavor pourrait y jouer. Elle saute à New York, argumente, persuade, fait venir Endeavor Global à Athènes et obtient un accord de principe dès octobre ! En deux mois, elle constitue le conseil d’administration, dix investisseurs sur qui elle peut compter à long terme. « J’ai été dans le marché pendant quinze ans et j’ai une très bonne réputation, constate Mareva. En premier, je me suis adressée à Michael Chandris, armateur et membre du conseil de la Banque de Grèce qui avait été mon client à la Deutsche Bank. Il était d’accord avec mon analyse sur la nécessité de changer le système et a accepté la présidence. »
Elle trouve aussi une quarantaine de mentors pour accompagner les entrepreneurs qui seront cooptés dans le réseau, sélectionnés et préparés par l’entité grecque, puis validés par un comité international. Pour l’opérationnel, Haris Makryniotis est débauché de McKinsey et en octobre 2012, Daily Secret, la première entreprise grecque, est intégrée au réseau international.
Qu’est-ce qui a poussé Haris à quitter McKinsey qu’il avait rejoint en 2005 et où il a piloté la rédaction du rapport « Greece 10 years ahead » (La Grèce, 10 ans d’avance), publié en mars 2012 ? Haris se livre à un rapide bilan : « j’ai toujours un environnement international – bien que pour l’instant, je limite les voyages pour rester avec ma femme et ma fille qui vient de naître – et rencontre des personnes de grande qualité. Ce qui change : chez McKinsey je travaillais surtout avec des dirigeants salariés alors qu’à présent je vois davantage de patrons propriétaires, des entreprises de plus petite taille, la nouvelle génération des managers qui réussissent. J’ai toujours des journées de travail très longues mais ici mon travail a un vrai sens et je me sens mieux. »
Tout naturellement, le modèle de croissance proposé par « Greece 10 years ahead » continue à guider son action. « Nous avons très peu de temps pour changer les mentalités et avoir un impact décisif », estime-t-il.
Endeavor cherche en priorité des entreprises dans le tourisme, l’agro-alimentaire, l’énergie et les technologies de l’information et de la communication. « Nous ne cherchons pas des stars, mais des entrepreneurs solides ; non des start-ups, mais des « scale-ups », c’est-à-dire des sociétés de 10 à 40 salariés, » précise Haris. Comme le fabricant de raisins de Corinthe et de vinaigre balsamique Papadimitriou de Kalamata.
Endeavor vu par une entreprise cooptée
Signe de l’activisme de l’organisation, ce n’est pas Christos Papadimitriou, patron de l’entreprise du même nom, qui est allé vers Endeavor, mais Endeavor qui est venu le chercher.
Son histoire est caractéristique de la Grèce d’aujourd’hui. Rentré à Kalamata la veille de vacances en Crète consacrées à la plongée et la pêche, il la raconte, dimanche matin, dans un café sous des platanes au bord de l’eau. C’est côté mer que toute la vie de cette petite ville tranquille (62 000 habitants) du sud-ouest du Péloponnèse semble se concentrer au mois d’août.
Christos, 33 ans, bon sourire, barbichette et deux petits anneaux dans le lobe de son oreille gauche, est déjà depuis 2008 à la tête de l’entreprise familiale. Comment son père et les anciens de la société ont-ils vécu son arrivée ? « Nous avons traversé des années de pertes entre 2004 et 2008 et j’ai aidé à redresser les affaires. Mon père me fait donc confiance et il sait très bien s’occuper hors du bureau !, sourit Christos. Quant aux autres, ils savaient très bien qu’un jour un fils allait prendre les rênes. C’est pareil dans toutes les sociétés familiales grecques et elles sont nombreuses. »
Sa responsabilité : 60 salariés, un chiffre d’affaires de 9 millions d’euros (2012) et 1200 paysans qui livrent leurs raisins. Cela n’empêche pas Christos de dégager du temps pour contribuer au développement de sa ville. C’est ainsi qu’il a fait venir le championnat du monde de plongée libre (Association internationale pour le développement de l’apnée) à Kalamata en 2011 et, à nouveau, du 15 au 22 septembre prochains.
Avec le même entregent, il est intervenu dans le cadre du premier événement TEDx qui s’est tenu à Kalamata en décembre 2012 avec 300 participants. Christos y a expliqué comment il est devenu n°1 du vinaigre balsamique en Grèce puis a pu résister à la récession en se réorientant à l’export, notamment au Royaume-Uni, Suède, Finlande, République Tchèque et en Australie.
Panagiotis Karampinis, 25 ans, tout juste embauché chez Endeavor et originaire de Kalamata lui aussi, organisateur de ce TEDx, estime que Papadimitriou serait un candidat idéal pour son organisation. Encore faut-il convaincre Christos de faire acte de candidature. Ce qui implique de révéler beaucoup de chiffres sur l’entreprise et Christos, a priori, n’est pas prêt à le faire. Il se renseigne sur la réputation et la fiabilité d’Endeavor au sein des organisations dont il est membre : l’association des PMI, l’association des sociétés de l’agro-alimentaire.
Personne n’a la moindre idée sur Endeavor. Seul un ami qui a fait l’Insead lui confirme qu’Endeavor est un important réseau de développement d’entreprises qui vient de débarquer en Grèce. Christos décide de faire confiance à son intuition.
Commence alors un processus intense sur trois mois pour bâtir le profil de son entreprise selon le schéma prévu par Endeavor, en travaillant avec l’équipe opérationnelle, des mentors et des membres du conseil d’administration. « Une remise à plat très utile, après mes cinq années à la direction ! »
En mai 2013, Christos part en Argentine pour la sélection internationale d’Endeavor. Il y rencontre des dirigeants de Starbucks, de PayPal, et autres grands noms qu’il n’aurait jamais croisés autrement. De plus « ils savent tout sur mon entreprise et posent des questions hyper pointues et pertinentes ! », avoue-t-il, mi-admiratif, mi-éberlué. Un secrétaire prend tout en notes pour le candidat qui reçoit ainsi un matériau précieux pour sa réflexion.
Coopté, Christos revient réconforté à Kalamata. Les dirigeants rencontrés lui ont donné confiance. Il voit son business en plus grand et à plus long terme, décide de rénover les installations de production, étoffe son équipe. Il constitue son comité consultatif Endeavor qui l’aidera régulièrement à prendre du recul et tester ses idées. Il prend contact avec des sociétés du réseau international qui sont sur le même créneau de marché qui lui. L’été 2014 il envisage de suivre le séminaire spécial Endeavor de 10 jours à Stanford. Cela vaut bien les 10 000 dollars/an qu’il faut payer pour entretenir le réseau !
reportage réalisé en juillet/août 2013
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