Nous sommes empreints sans en avoir forcément conscience de la culture des pays entrants. Etat des lieux.
Non ! L’Europe de l’Est n’est pas une mosaïque de pays tristes et boueux dont la seule spécialité serait les mines en grève et les usines sidérurgiques en faillite !
Non ! Les nouveaux citoyens de l’Union européenne ne sont pas grisâtres, alcooliques, dévots et sensibles au populisme !
Notre vision est marquée par les clichés de la guerre froide, de l’époque de Solidarnosc et plus récemment de la guerre yougoslave. La notion de » bloc communiste » nous a conduit à oublier que chacun de ces pays a une identité spécifique. Les cinquante dernières années ont fait disparaître notre proximité avec ceux-ci, pourtant forte avant la seconde guerre mondiale. Or, nous partageons la même culture ; il ne tient qu’à nous de nous rappeler de ces liens et de les raviver.
En littérature, une bonne partie du chemin est fait : les tchèques Kafka et Kundera, les écrivains Joseph Conrad et Marek Halter, tous deux nés en Pologne, font partie de nos références. Et » notre » Romain Gary a vu le jour en Lituanie.
Mais d’autres auteurs plus récents, ou un peu moins connus chez nous, méritent notre lecture : le tchèque Bohumil Hrabal pour sa vision intense et ironique de la vie, le prix Nobel de littérature 2002 Imre Kertesz, qui vient de publier Liquidation sur la Hongrie des années 80-90, et Sandor Marai, hongrois lui aussi, dont on peut lire avec bonheur Divorce à Buda et Les révoltés.
La Lituanie a vu naître Emmanuel Levinas, philosophe majeur pour sa réflexion en matière de morale. Et la Slovénie dispose d’un des plus intéressants penseurs actuels, Slavoj Zizek, dont la réflexion porte notamment sur la réalité du virtuel, et qui a influencé à ce titre les auteurs de Matrix !
L’art nouveau et l’art déco doivent beaucoup aux artistes et architectes tchèques, hongrois et slovènes. Mucha, l’un des plus grands représentants de l’art nouveau, était tchèque. Il en est de même de Kupka, pionnier de l’art abstrait.
Mais, ne passons pas à côté des représentants actuels de cette discipline, tels les hongrois Franyo Aatoth et El Kazovskij, ou le tchèque Michal Singer. La Slovénie dispose, elle aussi, d’une forte création en art contemporain, notamment les œuvres de Marko Jakse ou Ursula Berlot.
Tout comme pour la littérature, la musique d’Europe de l’Est fait partie de nos références. La Hongrie nous a donné Bartok, Liszt et Kodaly, la Pologne Chopin et le pianiste Rubinstein.
Face à la diversité de la création musicale actuelle dans ces pays, prenons le parti de ne citer que le prodigieux saxophoniste-clarinettiste hongrois Akosh S.
Mais la photo est le domaine où les pays d’Europe de l’Est apportent une contribution majeure depuis le début du siècle. La Hongrie nous a offert, à elle seule, Brassaï, Robert Capa, Laszlo Maholy-Nagy et André Kertesz.
Et, en la matière, les nouveaux pays de l’Union européenne continuent à rivaliser de talent. Il faut s’intéresser aux photos du polonais Tadeusz Paczula, et des déjà célèbres photographes tchèques Jan Saudek et Josef Koudelka, ainsi qu’au slovaque Martin Kollar.
Enfin, c’est la Pologne qui rafle l’essentiel de nos connaissances en matière de cinéma concernant les pays de l’Est, avec Polanski, Zulawski, Kieslowski et Wajda. Cependant, Milos Forman – réalisateur d’Amadeus notamment – a permis à la république tchèque de trouver sa place aussi. On peut également se souvenir que malgré le lien indissociable entre l’œuvre d’Eisenstein et la révolution russe, celui-ci était letton.
Malgré la difficulté pour les films récents, originaires de ces pays, à parvenir jusque dans nos salles, ils renferment souvent une poésie, un sens de l’absurde, une vision onirique du monde bien plus proches de notre culture que le manichéisme des productions dont sont submergées nos cinémas.
Nous connaissons la culture de ces pays qui nous rejoignent, elle fait partie de notre socle. La découverte de leurs œuvres actuelles nous fait redécouvrir ce qui constitue vraiment l’Europe : une culture, des valeurs, une vision, qui doivent nous soutenir pour créer une contre-proposition à un modèle planétaire qui ne nous convient pas.
Accéder à ces œuvres n’est certes pas si facile – nous n’en sommes abreuvés ni par la télé ni par les cinémas, ni par la radio. Mais, beaucoup de ces richesses sont accessibles sur Internet et dans les centres culturels de ces pays. Sans parler des rencontres individuelles. Car, accueillir ces pays, leur redonner chair dans notre vision, c’est aussi nous retrouver et tracer une voie pour notre futur.