Les jeunes nés après la seconde guerre mondiale ont été les premiers développeurs de l’informatique. Quarante ans plus tard, ils n’ont rien perdu de leur goût pour le noovo et sont parmi les plus férus utilisateurs d’internet.

Certains de leurs mots d’ordre, comme Do it, lancé par Jerry Rubin, datent des sixties, mais sont repris aujourd’hui au sein du mouvement des makers comme les expressions de ralliement do it yourself, Raspberry Pi, open-source, hack etc. Ce langage un peu ésotérique fait partie de leur vocabulaire. Le terme de maker désigne aussi bien les bidouilleurs de high tech que des artistes ou des entrepreneurs qui passent des heures à faire de l’impression 3D, des drones, de la robotique, des objets connectés ou encore des nanovêtements. La familiarité est évidente.

Pour se convaincre de leur « modernité », une étude Médiamétrie1 indique que les seniors de 65 ans sont les usagers du web qui avec les juniors de 13 à 24 ans tirent le plus les pratiques en ligne.

Depuis mi-2006, les 50-64 ans sont les internautes les plus adeptes des services en ligne. Près d’un senior sur cinq est inscrit sur un réseau social. 53% des internautes de plus de 50 ans les utilisent. 3 millions sont « amis » sur FaceBook et plus de 500 000 sont actifs sur twitter. 71 % réseautent une fois par jour, contre 49 % pour les juniors. Et leur temps de connexion est plus long que celui des jeunes2. .Selon le Baromètre de la Fédération du e-commerce et de la vente à distance3, 78 % des internautes de 50-64 ans achètent sur les plates formes de e-commerce. C’est plus que la moyenne nationale (77 %).

Toujours selon Médiamétrie, le panier web moyen des seniors est 75 % plus élevé que la moyenne des cyberacheteurs français. Une fois appréhendé le fonctionnement du GPS, de Google Earth, de Wikipedia et des réseaux, les seniors sont les plus assidus des internautes. En outre, les seniors sont réguliers et fidèles. Leurs usages sont en forte progression. Au point que Médiamétrie n’hésite pas utiliser le terme de « senior numérique ». Ces seniors 2.0 se connectent en moyenne une fois par semaine à Internet. Plus « accrocs » que leurs congénères, ils sont plus de deux sur trois à pratiquer leurs activités médias et multimédias au cours de déplacements. La moitié d’entre eux considèrent qu’internet est essentiel pour leur vie sociale.

En 1997, Ils étaient 30 000 seniors à utiliser internet dans l’hexagone. En 2000, ils étaient déjà un million. Leur nombre a ensuite explosé. En 2014, on compte plus de 11,5 millions d’internautes âgés de plus de 55 ans, soit 24% des internautes, sur une population totale de 48 millions d’internautes. La démographie aidant – en 2060, une personne sur trois aura ainsi plus de 60 ans – les seniors 2.0 de + 55 ans pourraient rattraper les 25-54 ans (16,2 millions internautes). La petite poucette4, cette génération de jeunes mutants baptisés ainsi par le philosophe Michel Serre, à cause de l’impressionnante dextérité avec laquelle ils utilisent leurs deux pouces pour envoyer des SMS à leurs milliers « d’amis » et twitter leur vie en temps réel, sera-t-elle détrônée par le Super papy tactile devant sa tablette ?

La première motivation des silver surfers est de pouvoir entretenir des contacts réguliers avec leur famille. Ils sont particulièrement adeptes du mail électronique pour communiquer principalement avec leurs enfants et petits enfants du fait de la communication basée sur la lenteur de l’échange et la non urgence de la réponse. Mieux que le téléphone, car on ne dérange personne. La communication repose sur le respect du temps pour répondre. Pas d’urgence.

La toile est aussi requise pour trouver des informations pertinentes dans les domaines qui les intéressent : loisirs, voyages, bien-être, finance, sites de généalogie. Beaucoup l’utilisent pour la diffusion des photos de vacances, ou encore pour l’application Skype qui offre l’avantage de voir et de correspondre sur écran avec les enfants habitant à l’étranger. Enfin, nombre d’entre eux expliquent qu’ils apprécient les réseaux sociaux pour la facilité avec laquelle ils leur permettent de rencontrer des personnes partageant les mêmes passions ou centres d’intérêt. « Si le web est plébiscité par les seniors c’est non seulement qu’il est un outil d’information incontournable mais aussi parce qu’Internet c’est une fenêtre sur le monde, un moyen de rester intégré et aussi un lieu et une activité personnelle, comme peut l’être l’établi de Monsieur dans le garage» indique l’Institut Français des Seniors5.

Il apparaît ainsi clairement que ceux qu’on appelle les « soixante huitards retraités » sont à l’aise dans l’économie numérique. Pour ceux qui en doutaient, il n’y a donc pas de fracture numérique. Certes, n’ayant pas grandi avec le haut débit, FaceBook, e-Bay, twitter et Google, ils sont moins agiles que leurs enfants. N’étant pas des digital natives, nés avec une souris dans la main, les plus âgés des seniors ont en effet plus de mal à amadouer le caractère intempestif du smartphone dont l’usage est plus compliqué et dont le format nécessite des lunettes. Ils maîtrisent cependant parfaitement un grand nombre d’applications. Ce qui est simple pour les sexagénaires et une partie des septuagénaires l’est naturellement moins pour les octogénaires. Il a suffi d’une dizaine d’années pour que le fossé se creuse.

Une étude réalisée par la société suédoise Doro, leader des télécoms simplifiés, montre que les plus âgés, en France, restent réservés face aux nouvelles technologies. Les + de 80 ans éprouvent plus de mal à intégrer les dot.com et les nouvelles technologies de l’information et de la communication (NTIC ). Il faut dire : l’envahissement du numérique a été plus rapide que toute autre technologie. Les difficultés se sont surtout produites au début de l’Internet grand public au milieu des années 1990. Si les octogénaires éprouvent plus de difficultés à maîtriser les iphone, ipad et les applications, il y a cependant des exceptions. La motivation à communiquer sert de mode d’emploi aux plus hardis d’entre eux.

Des exemples montrent que certaines catégories d’octogénaires sont de plus en plus nombreux à s’emparer du web pour créer du lien. A 80 ans, il est encore naturel d’éprouver du désir, de rencontrer de nouveaux amis, d’échanger des projets, de partager des idées, bref de donner du sens à sa vie qui semblait condamnée à l’isolement. Et c’est sur la toile que ça se passe ! Sur son blog, le sociologue Serge Guérin cite le cas de ces hype(r)Olds, ces femmes de plus de 77 ans, réunies au sein d’un atelier internet/multimédia. Hype(r)Olds, est un jeu de mot pour définir ce public particulier. Elles sont hype : (dans le coup) et olds : (âgées). L’atelier se veut convivial et se déroule autour de la création numérique. Il ne s’agit pas d’un cours mais d’un rendez-vous à l’heure du thé. Internet est utilisé comme outil de connaissance, de production de contenu multimédia, et de support à la discussion. « Elles, comme bien d’autres + de 60 ans préfèrent des ordinateurs ou des tablettes tactiles pour la liberté qu’ils leur donnent et les innovations qu’ils permettent. C’est un bel exemple contre tous les clichés sur les personnes âgées », commente Serge Guérin. Comme quoi, il n’est jamais trop tard pour devenir un(e) geek ! L’engouement des seniors pour les réseaux sociaux est bien réel.

* Ce texte est tiré du livre récent « les seniors ont de l’avenir », publié par les Editions Yves Michel dans la nouvelle collection dirigée par Place Publique (avril 2015

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Au sujet de Yan de Kerorguen

Ethnologue de formation et ancien rédacteur en chef de La Tribune, Yan de Kerorguen est actuellement rédacteur en chef du site Place-Publique.fr et chroniqueur économique au magazine The Good Life. Il est auteur d’une quinzaine d’ouvrages de prospective citoyenne et co-fondateur de Initiatives Citoyens en Europe (ICE).

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