Communication et économie solidaire : de la parole aux actes
Le sociologue Eric Dacheux a convié les acteurs de l’économie solidaire à Roanne le 25 juin dernier, pour débattre de la communication des utopies. Parmi les différents ateliers proposés, celui dédié aux médias fut le moins fréquenté. Et pourtant, l’enjeu est de taille pour ce secteur d’activités.
Premier constat : les médias s’intéressent assez peu aux modèles économiques et aux innovations du secteur solidaire (voir à ce sujet l’article : « Médias : économie solidaire, connais pas »). La raison à cela : « La réalité nommée sous le terme « économie solidaire » n’est pas clairement identifiée et demeure invisible, par manque de statistiques sur ce secteur et à cause de la diversité des pratiques, parfois concurrentes », explique Eric Dacheux, sociologue au centre national de la recherche scientifique, dans son discours d’ouverture du colloque de Roanne dédié à la communication des utopies. Et d’ajouter : « En tant qu’utopie, l’économie solidaire heurte l’idéologie dominante, et peut être assimilée aux dérives tragiques du système soviétique ».
Si les obstacles entre économie solidaire et médias demeurent nombreuses, la communication de l’utopie solidaire n’est pas impossible. Pour ce chercheur, elle paraît même essentielle : « L’utopie est source de communication. Elle questionne le réel institué et dynamise ainsi l’espace public. Mais aujourd’hui, notre société étouffe les utopies, avec pour résultat un déséquilibre démocratique et des réflexes sécuritaires. »
Mais, à l’inverse, force est de constater que rares sont les acteurs, des présidents d’associations aux porteurs de projets en passant par les coopératives et les entreprises d’insertion, à organiser leur communication, voire à s’y intéresser.
Preuve en est, le colloque n’a pas mobilisé les foules : seule une soixantaine d’acteurs se sont déplacés.
Transmettre son message
A Roanne, la plupart des congressistes se sont avant tout rués vers des ateliers portant sur l’animation des associations ou les questions européennes. Seule la gestionnaire pour l’Auvergne du Fonds social européen est venue questionner les journalistes dans le cadre de l’atelier sur la communication auprès des médias. « Je souhaite qu’on m’explique comment faire passer son message à un journaliste, car souvent, l’article ne mentionne pas l’intégralité des éléments donnés », explique Emmanuelle Poix, également auteure de réflexions sur son secteur*. « Il faut s’efforcer de communiquer un message simple, prendre le temps de l’expliquer au journaliste, qui n’est pas formé à tous les sujets, et parler de réalisations concrètes », conseille Laurent Thoviste, rédacteur en chef de TESS et Associations Mode d’emploi, deux magazines spécialisés dans l’économie solidaire.
En racontant comment il recycle l’huile de friture en carburant, Christophe Oudelin, automobiliste marseillais, a, de son côté, retenu l’attention du correspondant local de Libération, et s’est vu consacré une double page dans le quotidien en 2005. Reste : les grands titres de presse disposent de peu de place pour ce type de sujets. Eric Larpin, fondateur de l’agence de presse Epices, spécialisée dans l’économie solidaire et journaliste pour le quotidien La Croix, rappelle que « de nouveaux médias émergent depuis 2000, notamment sur Internet. Spécialisés, ils sont plus accessibles que la presse généraliste ».
Accepter la critique
Autre difficulté : certains acteurs solidaires redoutent la retranscription journalistique de leur activité. Les entreprises d’insertion restent souvent présentées comme une planche de salut pour toxicomanes et anciens détenus, alors que ce public initial s’est étendu à des personnes divorcées, chômeuses de longue durée ou malades. « Il faut accepter la simplification du discours par le journaliste. Cette médiation du professionnel permet de faire entendre le message aux non-initiés, voire aux réfractaires », préconise Laurent Thoviste. Le journaliste écrit pour son lecteur, et non pour sa source. Contrairement au communicant publiciste, il ne cherche pas à enjoliver la réalité, mais à la décrire, parfois crûment. Et les retombées attendues par la source ne sont pas toujours au rendez-vous. « La presse régionale a relayé mon appel à projet dans le cadre de l’attribution des fonds européens aux activités solidaires. Je n’ai quasiment pas eu de retour suite à ces articles. C’est le bouche-à-oreille qui a fonctionné », détaille Emmanuelle Poix, qui reconnaît néanmoins une utilité aux médias : « les regards extérieurs permettent d’affiner la réflexion sur son propre projet ».
Médiatiser le secteur solidaire
Conclusion : si des recettes existent en termes de communication et qu’elles peuvent être exploitées par les structures de l’économie solidaire, reste à savoir comment faire passer l’idée de secteur économique à part entière. « Rien ne pourra avancer à ce niveau tant que durent les querelles de chapelles, tranche Laurent Thoviste. Les acteurs doivent cesser de juger qu’untel n’est pas suffisamment solidaire, et que tel autre ne l’est pas de la bonne manière. Il est temps de s’accorder sur des valeurs communes à mettre en avant ».
Eric Dacheux propose, quant à lui, un consensus autour de la dimension politique des activités solidaires. Mais Emmanuelle Poix redoute un manque de militantisme : « La plupart des 32 porteurs de projets que j’accompagne faisait de l’économie solidaire sans le savoir avant qu’on ne mette une étiquette sur leur activité », relate-t-elle.
Et pourtant, s’identifier et se fédérer sans perdre son indépendance s’avère possible, et efficace auprès des médias. Le réseau marseillais Ecoforum, par exemple, regroupe 120 associations, toutes écologistes, mais chacune luttant dans un domaine précis : le nucléaire, l’eau, les 4×4 en ville… Leur charismatique président, Victor-Hugo Espinosa, parvient régulièrement à faire passer les différents combats de ces associations dans les médias locaux. Des pistes s’ouvrent donc. Mais sans volonté de rassemblement, les nombreux débats (trois pour le seul mois de juin) sur la communication de l’économie solidaire, menés depuis des années, risquent de ne jamais aboutir dans les actes.
* Pour une alternative économique et solidaire, collectif MB², éditions l’Harmattan, 2001.