Sensibiliser le grand public à l’importance de la recherche sur le cerveau, ses fonctions cérébrales et ses troubles, tel est l’objectif de la Semaine du cerveau qui est organisée du 14 au 21 mars, simultanément, dans tous les pays d’Europe.

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Paris, 10 février 2028. « Finis, les troubles de mémoire ? Verrons-nous des implants cérébraux permettre de retrouver la mémoire ? Jusqu’où pourra-t-on modifier l’homme et son cerveau ? » En sortant du colloque « Connaissance et mémoire », Joachim, étudiant en psychologie remuait toutes ces questions dans son esprit. Il en savait désormais beaucoup plus sur les rouages chimiques, génétiques ou électriques qui régissent les aptitudes, les émotions, les décisions. _
« Les temps ont changé, avait dit le professeur Brain dans son allocution d’ouverture. Les philosophes et les psychologues qui élaboraient des théories sur la pensée font désormais référence au cerveau. Ils marchent main dans la main avec les neurologues qui tentent de faire le lien entre les choses de l’esprit et les états du cerveau et avec les spécialistes de l’intelligence artificielle qui pensent qu’il est possible de répliquer la pensée dans la machine ».

Mais la phrase la plus distincte que retint Joachim, c’était ce qu’avait dit le second intervenant, l’historien du cerveau, le docteur Storm, citant le philosophe Nietzsche : « Le futur appartient à celui qui a la plus longue mémoire ». Et ce dernier avait ajouté : « ce qu’on sait aujourd’hui, c’est que tout le cerveau qui draine pas moins de 4 milliards de messages à la seconde entre nos deux hémisphères, sert à la mémoire ». Ainsi donc, pensait Joachim, l’aptitude à se projeter dans l’avenir, à élaborer des projets, et donc à changer, reposerait sur la capacité à se souvenir. Pour savoir où l’on va, il faut savoir d’où l’on vient. 

Revenons à aujourd’hui…. Le constat est clair : le cerveau n’est plus une boite noire depuis le début des années 2000, au cours desquelles les neurosciences ont émergé.  Il existe toutes sortes de mémoires ; à court terme, à long terme, sensorielle, épisodique, sémantique, procédurale…Ce qu’on sait aujourd’hui, c’est que la mémoire à court terme est restreinte. Elle ne peut retenir qu’un nombre réduit d’informations. En revanche, les stocks de la mémoire à long terme ne peuvent jamais être saturés. Et notre plasticité cérébrale est source permanente de nouvelles connexions. Sauf en cas de maladie, un octogénaire peut encore engranger des connaissances.

Ces recherches sont d’autant plus utiles et nécessaires que l’environnement technologique n’est pas propice à la maintenance de ses capacités d’apprentissage.  « Internet ne fait qu’accélérer encore le mouvement d’externalisation de la mémoire humaine, entamé avec l’invention de l’écriture » soutient Christian Vandendorpe de l’Université d’Ottawa. A la différence des générations précédentes qui, à force d’apprendre par cœur, étaient capables de réciter les poèmes de leur enfance, les nouvelles générations de la culture numérique, du zapping, sont fréquemment confrontées à un problème de court-circuit. Avec Internet, en un clic, tout ou presque se dématérialise, les livres, les sons, les images, les journaux.

Chacun se forge sa culture personnelle, un savoir parcellisé, immédiat, en fonction de ses intérêts, mais pas durable. Pourquoi se donner la peine d’apprendre et de retenir puisque tout est à disposition immédiatement ? Pourquoi se casser la tête à réfléchir puisqu’il suffit de copier-coller. Et si nos méninges ne sont pas sollicitées, qu’arrivera-t-il ? Serons-nous en mesure de faire des calculs mentaux ? Vouée à la paresse intellectuelle, l’inquiétude est grande de devenir amnésique, de perdre la faculté de chercher, puisque tout est trouvable immédiatement. Les consoles de jeux n’aident pas à exercer la mémoire. La lecture, l’apprentissage par cœur des poèmes est beaucoup plus fructueux. Et même dormir ! Des études montrent en effet qu’un bon sommeil requinque le cerveau, favorise l’apprentissage d’une langue étrangère  ou d’une chanson. Ce qui est sûr, c’est que pour affronter le grand âge et entretenir leur mémoire, nos enfants seront mieux outillés sur le plan thérapeutique.

En tous les cas, quand on n’entretient pas la mémoire des choses passées, on éprouve plus de mal à imaginer le futur. C’est la conclusion à laquelle sont arrivés récemment des chercheurs de l’Université de Washington à Saint-Louis. « Dans notre vie quotidienne, nous passons plus de temps à projeter ce que nous aller faire demain qu’à nous rappeler ce qui s’est passé. Pourtant, on sait peu de choses sur comment se forment ces images mentales du futur », raconte Karl Szpunar, l’un des scientifiques.

Lors d’une expérience menée par Eleanor Maguire de l’Université College de Londres, cinq patients amnésiques souffrant d’un traumatisme ayant touché l’hippocampe (par où passe la mémoire explicite) ont eu les plus grandes difficultés à représenter des images détaillées et formant une suite, lorsqu’on leur a demandé de décrire des situations imaginées. Dépourvues d’éléments sensoriels, leurs images n’arrivaient pas à représenter une scène complète. Cette expérience jette une lumière nouvelle sur le rôle de l’hippocampe qui ne se limite pas à un simple enregistrement de souvenirs.

   Les malades qui souffrent de stress post-traumatique pourraient bientôt voir leur calvaire cesser. Tout cela grâce aux travaux du laboratoire de neurobiologie de l’apprentissage de la mémoire et de la communication (CNRS-Orsay) sur l’amnésie sélective.

Les chercheurs de cette équipe, viennent de démontrer chez le rat que le souvenir d’un évènement traumatique peut être effacé. Pour arriver à cette conclusion, les scientifiques ont dressé des rats à avoir peur à deux sons différents, en leur faisant écouter ces sons juste avant de leur envoyer une décharge sur les pattes. Le jour suivant,  ils ont administré une drogue provoquant une amnésie des souvenirs rappelés en mémoire et ils leur ont refait entendre un seul des deux sons. Le lendemain. Ils ont rejoué les deux sons aux rats. Ceux qui avaient ingurgité la drogue n’avaient plus peur du son.

De leur côté, des chercheurs de l’université de New York ont découvert un mécanisme moléculaire capable d’entretenir le mémorisation des souvenirs dans le cerveau. En inhibant l’action d’une molécule, appelée protéine kinase M zêta, ils ont réussi à effacer des souvenirs à long terme mais ils ont observé que cet effacement ne s’oppose pas à la capacité de rééduquer sa mémoire et de retrouver les souvenirs. Cette recherche est capitale pour le traitement des douleurs chroniques, des désordres post-traumatiques et des pertes de mémoires.

Des chercheurs du MIT de Boston ont constaté qu’un environnement stimulant favorise le développement de nouvelles connexions entre neurones. Ils ont démontré que des souris « stimulées » se souviennent beaucoup mieux de l’expérience d’un choc électrique. Quelqu’un atteint d’une maladie neurodégénérative peut récupérer la mémoire s’il est stimulé. Enfin, des souvenirs oubliés peuvent renaître en pratiquant des impulsions électriques sur une région du cerveau . Telle est la conclusion à laquelle est arrivée le professeur A. Lozano, du Toronto Western Hospital. C’est ainsi qu’un homme obèse a vu ses capacités mnésiques améliorées au moyen d’électrodes intracérébrales. Cela lui a permis de revivre une scène de trente ans et d’y voir plus clair sur les causes de sa pathologie. 

Au sujet de Yan de Kerorguen

Ethnologue de formation et ancien rédacteur en chef de La Tribune, Yan de Kerorguen est actuellement rédacteur en chef du site Place-Publique.fr et chroniqueur économique au magazine The Good Life. Il est auteur d’une quinzaine d’ouvrages de prospective citoyenne et co-fondateur de Initiatives Citoyens en Europe (ICE).

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